Présidentielle : Emmanuel Macron est-il le candidat des riches ?
Dépeint par Marine Le Pen comme "le candidat de l'oligarchie", appartenant au "système", Emmanuel Macron développe aussi dans son programme des mesures en faveur des plus fragiles.
"Emmanuel Macron est un banquier d'affaires. Il a le caractère pour cela, l'insensibilité qu'il faut à ce métier." Jeudi 27 avril, en meeting à Nice (Alpes-Maritimes), Marine Le Pen s'est déchaînée contre le favori de l'élection présidentielle, dénonçant "cette capacité à prendre des décisions dans le seul objectif du profit, de l'accumulation d'argent, sans aucune préoccupation pour les conséquences humaines de ses décisions."
La critique n'est pas nouvelle, ni dans sa bouche ni dans celle des autres. Avant de le rallier, François Bayrou voyait en Emmanuel Macron "le candidat des forces de l'argent". Au fil de la campagne présidentielle, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon n'ont pas épargné non plus le candidat d'En marche !, soupçonné de vouloir faire des cadeaux aux plus aisés. Mais Emmanuel Macron peut-il vraiment être qualifié de "candidat des riches" ? Franceinfo se penche sur la question.
Oui, il séduit les classes aisées
Regardons tout d'abord qui a voté pour Emmanuel Macron lors du premier tour, le 23 avril. Selon un sondage Ipsos, réalisé le jour du vote, c'est chez les plus diplômés, les plus qualifiés et les plus aisés qu'il a obtenu ses meilleurs scores. Il a ainsi recueilli 32% des suffrages chez les électeurs dont le revenu est supérieur à 3 000 euros par mois. Un vote qui tombe à 25% chez ceux qui gagnent entre 2 000 et 3 000 euros, à 18% entre 1 250 et 2 000 euros, et à 14% chez les plus bas revenus.
Plus l'électeur est aisé, plus il vote pour Emmanuel Macron. L'observation est d'autant plus remarquable que la corrélation est totalement inversée concernant Marine Le Pen (15% chez les plus aisés, 32% chez les plus modestes) ou Jean-Luc Mélenchon (16% parmi les hauts revenus, 25% parmi les plus bas). En tête chez les cadres (33%) et les professions intermédiaires (26%), il est distancé chez les employés (19%), les ouvriers (16%) et les demandeurs d'emploi (14%), à la fois par Jean-Luc Mélenchon et par Marine Le Pen.
Le premier tour de la présidentielle a démontré qu'Emmanuel Macron était bien le candidat "des gagnants de la mondialisation", par rapport à une Marine Le Pen qui séduit la "France d'en bas". Un constat que l'entourage du candidat explique par le cynisme dont le Front national ferait preuve envers les classes populaires : "Le FN a toujours prospéré sur la pauvreté. Dans les villes qu'il dirige, on entretient les gens dans la misère, on supprime les subventions aux associations…"
Oui, son parcours l'identifie comme un produit du "système"
Diplômé de l'ENA, comme de nombreuses autres personnalités politiques, Emmanuel Macron a suivi un parcours professionnel atypique avant de prétendre aux plus hautes fonctions de l'Etat. C'est bien sûr son passage à la banque Rothschild & Cie, de 2009 à 2012, qui suscite le plus de méfiance du côté des classes populaires. En trois ans, Emmanuel Macron y a gravi les échelons à une vitesse rare, jusqu'à devenir associé-gérant de la banque, et côtoyer ainsi les plus grands patrons. Son fait d'armes : avoir supervisé le rachat de Pfizer Nutrition par Nestlé, une transaction estimée à neuf milliards d'euros.
Le PDG du géant suisse, Peter Brabeck, n'est alors pas un inconnu : Emmanuel Macron l'a rencontré quelques années plus tôt, autour de la table de la commission Attali "pour la libération de la croissance française" installée par Nicolas Sarkozy au début de son mandat. Le jeune Emmanuel Macron en est le rapporteur adjoint. Alors âgé d'à peine 30 ans, il impressionne déjà les sommités membres de la commission.
Dix ans plus tard, à la veille d'une possible accession à l'Elysée, Emmanuel Macron a gardé de solides réseaux dans les milieux patronaux, qu'il a évidemment pu faire fructifier à l'Elysée comme secrétaire général adjoint, puis comme ministre de l'Economie.
"Emmanuel Macron n'est pas aussi riche que ces milliardaires, mais il est mandaté pour donner un grand coup de balai sur les divisions politiques qui paralysent les intérêts de l'oligarchie", commente la sociologue de la bourgeoisie Monique Pinçon-Charlot, coauteure du livre Les Prédateurs au pouvoir : main basse sur notre avenir (Textuel).
Début mars, en réponse à une question de Mediapart, il avait vivement répondu à ces critiques : "Moi, je ne suis pas né dans l'oligarchie financière ou la banque d'affaires. J'ai fait quatre années de ma vie professionnelle dont je suis très fier dans ce secteur d'activité économique, ça m'a beaucoup appris. Mais je suis né dans une ville de province française, dans une famille qui ne devait rien ni au monde journalistique, ni au monde politique ni au monde financier. Je me suis élevé parce qu'il y a une école dans notre République qui permet de s'élever, j'ai passé des concours de la République."
Oui, certaines de ses mesures avantagent les plus fortunés
Dans le programme d'Emmanuel Macron, deux mesures semblent avantager les plus fortunés. Il y a d'abord la réforme de l'impôt sur la fortune (ISF), qu'il veut remplacer par un impôt sur la fortune immobilière (IFI). Quelle différence ? L'IFI ne concernera plus que les biens immobiliers. Les valeurs mobilières (meubles, actions, épargne...), elles, ne seront plus prises en compte dans le calcul.
Le cadeau fiscal est estimé à environ 2 milliards d'euros. Mais qui avantagera-t-il ? Pour le secrétaire d'Etat au Budget, le socialiste Christian Eckert, cité par Marianne, "ceux qui en bénéficieront seront très peu nombreux… Et on sait que ceux qui paient beaucoup d’ISF sont ceux qui sont très investis en valeurs mobilières". Selon lui, seul le haut du panier (1% des foyers concernés par l’ISF, soit 3 400 contribuables) bénéficiera de cet avantage. Des chiffres "absurdes, qui ne viennent de nulle part", rétorque Jean Pisani-Ferry, chargé du programme à En marche !
"La réforme allègera en moyenne de moitié la charge fiscale des contribuables assujettis à l'ISF. Les 50% les moins fortunés ont un patrimoine qui n'est constitué d'immobilier qu’à 55% environ, plaide le site de campagne d'Emmanuel Macron. Des milliers de foyers aujourd’hui soumis à l’ISF ne paieront plus l'IFI demain. Il s’agit de ceux situés au bas du barème de l'actuel ISF, qui dépassent le seuil d’assujettissement si l’on prend en compte l’intégralité de leur patrimoine, mais ne le dépasseront plus avec leur seul patrimoine immobilier."
Un étude confidentielle relayée par Le Figaro révèle toutefois qu'avec cette réforme, les plus gros contribuables soumis à l'ISF (ceux dont le patrimoine dépasse 2,5 millions d'euros) ne seraient plus redevables que de 520 millions d'euros à l'Etat, contre 2,8 milliards aujourd'hui. De quoi confirmer en partie les calculs de Christian Eckert…
L'autre mesure controversée est la mise en place d'un "prélèvement forfaitaire unique" (PFU) sur les revenus du patrimoine mobilier (intérêts, dividendes, plus-values…). Il s'agit d'un virage à 180° par rapport à la politique fiscale de François Hollande, qui avait décidé de les taxer selon le même barème que l'impôt sur le revenu. Actuellement, les ménages les plus aisés peuvent ainsi voir certains de leurs revenus du patrimoine taxés jusqu'à 60%... Ce ne sera plus le cas avec la réforme Macron, puisque le taux de son PFU sera de 30%.
Non, il veut favoriser la prise de risques
Dans l'équipe d'En marche !, on réfute l'idée de vouloir favoriser les riches. "Le but n'est donc pas de baisser globalement la fiscalité des revenus du capital mais de la rendre plus lisible et plus efficace", peut-on lire dans le programme du candidat. "Une imposition extrêmement élevée, comme cela est parfois le cas aujourd'hui, peut avoir des effets désastreux sur l'investissement", complète Jean Pisani-Ferry, interrogé par franceinfo. L'économiste souligne aussi que ce prélèvement forfaitaire unique mettra fin à "un système où l'on fait de l'affichage avec des taux élevés, mais dont les assiettes sont mitées à cause de nombreuses niches fiscales", dans lesquelles s'engouffrent les mieux renseignés.
Avec une mesure comme la réforme de l'ISF, le programme d'Emmanuel Macron vise à "privilégier la prise de risques", explique l'économiste Philippe Aghion, qui a conseillé Emmanuel Macron lors de la rédaction de son programme. "On fait la différence entre la rente d'innovation", qui ne sera plus taxée, "et la rente de situation", qui continuera à l'être.
L'idée de récompenser la prise de risques est encore au cœur du programme d'Emmanuel Macron lorsqu'il propose une assurance chômage universelle, dont pourraient bénéficier non plus les seuls salariés qui perdraient leur emploi, mais aussi les démissionnaires, les indépendants, les professions libérales et les entrepreneurs.
Non, il investit aussi sur "les zones de fragilité"
"Notre but est de relancer la croissance en investissant un maximum sur les zones de fragilité, explique-t-on dans l'entourage du candidat. Ça n'a rien à voir avec le programme de François Fillon qui, lui, voulait libéraliser l'économie tout en proposant une purge." "L'objectif, c'est un modèle à la scandinave, qui repose sur le trépied suivant : encourager l'innovation, protéger et former", analyse Philippe Aghion.
Loin de s'apparenter à une litanie de mesures en faveur des nantis, le programme d'Emmanuel Macron contient aussi son lot de réformes en direction des publics plus fragiles. C'est par exemple le cas de la formation professionnelle, qui serait largement réorientée, avec un effort sans précédent de 15 milliards d'euros en faveur des jeunes et des chômeurs.
Autre promesse-phare d'Emmanuel Macron : la suppression des cotisations salariales (partiellement compensée par une hausse de la CSG), qui aura un effet positif sur la fiche de paie. "Tous les actifs verront le revenu de leur travail augmenter. Par exemple, pour un salarié qui gagne 2 200 euros net par mois, ce sera 500 euros net supplémentaires par an", est-il promis dans son programme.
Pour améliorer le pouvoir d'achat des travailleurs les plus modestes, Emmanuel Macron promet une augmentation de 50% de la prime d'activité, "qui concernera 2,4 millions de foyers", avec un gain d'environ 80 euros par mois pour une personne au smic. La taxe d'habitation, elle, serait supprimée pour 80% des ménages qui s'en acquittent aujourd'hui.
Enfin, les zones d'éducation prioritaires (ZEP) seraient placées au centre des préoccupations : les effectifs des classes de CP et CE1 y seraient divisés par deux. Un objectif ambitieux qui serait atteint en réorientant des postes existants, mais aussi en créant près de 5 000 nouveaux postes.
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