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Brétigny : la catastrophe est-elle due à la vétusté du réseau ?

La priorité donnée au TGV a longtemps empêché la modernisation du réseau classique. Au contraire des syndicats, la SNCF assure que la vétusté des lignes de TER n'est pas en cause. 

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
A Brétigny-sur-Orge (Essonne), le 12 juillet 2013, après la catastrophe qui a tué six personnes. (MARTIN BUREAU / AFP)

La SNCF n'a pas tardé. Samedi 13 juillet, au lendemain de l'accident ferroviaire qui a coûté la vie à six personnes, à Brétigny-sur-Orge (Essonne), le directeur général des infrastructures, Pierre Izard, incrimine une "éclisse". La France entière découvre alors l'existence de cette petite pièce d'une dizaine de kilos. Une simple "agrafe" destinée à relier deux rails entre eux, qui aurait fait dérailler un train de plusieurs tonnes lancé à 137 km/h.

Elle "s'est désolidarisée, elle s'est détachée, elle est sortie de son logement" provoquant la catastrophe, explique le cadre de la SNCF. Les trois enquêtes sont loin d'avoir été bouclées mais le lendemain, encore, dossier de presse (PDF) et photo à l'appui de la pièce métallique fichée dans un aiguillage, Guillaume Pepy pointe du doigt l'éclisse. 

Si cette pièce est bien responsable du déraillement, comment s'est-elle détachée ? Pas de réponse encore, mais une polémique, déjà, sur le mauvais état du réseau ferroviaire.

Un point noir du réseau ferré en Ile-de-France

Le Téoz 3657 n'a peut-être pas déraillé à Brétigny par hasard. Dans Le Parisien (article payant), un administrateur du Syndicat des transports d’Ile-de-France (Stif), François Durovray (conseiller régional UMP), affirme que le matériel date "d’avant-guerre" à Brétigny. Il dénonce un "point noir du trafic" dans la région.

En mai 2013, l'association d'usagers Circule écrivait d'ailleurs que "selon RFF (Réseau ferré de France), Brétigny est le 4e point en Ile-de-France pour les incidents d'infrastructure. Si on ajoute le fait que l’axe Brétigny / Juvisy est l’un des plus empruntés au niveau national (RER, fret, TER et Intercités), alors le besoin de modernisation et de fluidification devient évident". A l'époque, Circule dénonce "un manque d'investissement depuis 30 ans" et affirme que "Brétigny en est un des exemples des plus marquants avec certains postes d'aiguillage datant des années 1930".

Selon Pierre Serne (EELV), en charge des transports de la région Ile-de-France, dans Libération, "le réseau ferroviaire d’Ile-de-France n’est pas forcément en plus mauvais état qu’ailleurs, mais il y a infiniment plus de trains qui passent. Et ils sont bondés. La plupart des RER transportent plus de 1 000 personnes. Ce qui augmente statistiquement les risques d’accident grave". De plus, ce réseau saturé est difficile à entretenir. Finalement, "il y a eu à Brétigny une conjonction de facteurs, avec les trains les plus vieux circulant sur l'un des pires points d'un réseau vétuste. Il faut attendre les résultats de l’enquête, mais les professionnels savent que le matériel et le réseau sont à bout de souffle".

Des lignes classiques vétustes

La gare de Brétigny-sur-Orge est loin d'être la seule concernée par le problème. En 2005, un rapport d'audit de l'Ecole polytechnique de Lausanne (EPFL, document PDF) tirait sévèrement le signal d'alarme : les ressources budgétaires étaient nettement "insuffisantes pour la maintenance (entretien et renouvellement) de l’infrastructure durant les 30 dernières années". L'audit pointait une baisse de 20% des budgets de maintenance sur les 20 dernières années.

Conséquence : "Un vieillissement très important du réseau classique", celui sur lequel circulent les trains Corail ou TER. Faute d'entretien, 60% des lignes devraient être inutilisables en 2025. Un syndicaliste contacté par francetv info relève encore que "l'entretien des voies, les visites où les cheminots cognent sur les voies, sont faites moins régulièrement qu'auparavant". Il regrette que la sécurité soit sous-traitée. "Ce ne sont plus des cheminots qui font le travail, mais des entreprises privées."

Dans un nouveau rapport de septembre 2012, les polytechniciens de Lausanne constatent qu'un lifting entrepris en 2008, à coups de milliards d'euros, a permis de ralentir le vieillissement du réseau, sans parvenir à le stopper. 

Le TGV a englouti les budgets

Pourquoi ces budgets trop faibles pendant des années ? "Pour donner la priorité au TGV", affirme à francetv info Jean-Claude Delarue, président de la Fédération des usagers des transports et des services publics. Il y a "une SNCF à deux vitesses", réservant au TGV la plupart des investissements alors que "moins de 20% des usagers l'empruntent", abonde Didier Le Reste, de la fédération CGT cheminots, dans les colonnes de Libération

En région parisienne, "les pouvoirs publics ont fait de gros efforts dans les années 70-80, avec les RER, et après, plus rien, on est passé à autre chose, ajoute Jean-Claude Delarue. L'infrastructure s'est dégradée, mais les usagers ne s'en rendaient pas compte et il était difficile de les mobiliser". Du coup, aujourd'hui, "il y a des centaines de kilomètres de ligne où l'on doit rouler très lentement car la sécurité n'est pas à la hauteur"

Au milieu des années 2000, "on investissait plutôt massivement, de façon presque obsessionnelle sur uniquement des lignes grande vitesse, à 340 à l'heure, (...) et voilà l'état des lieux : c'est 3 000 kilomètres de lignes ralenties, pour raison d'insécurité liée au vieillissement du réseau", regrette encore le député socialiste Gilles Savary, sur Europe 1. 

Mais les choses changent. L'accident de Brétigny intervient en pleine rénovation du secteur ferroviaire. Trois jours avant la catastrophe, le gouvernement annonçait ses projets d'investissements dans le domaine. Fini le "tout TGV".

Le train est-il dangereux ?

La précédente catastrophe, l'accident de la gare de Lyon sur lequel revient Slate, remonte à 1988. Selon l'Agence ferroviaire européenne, la France se classe à la 3e place en matière de sécurité ferroviaire sur le continent. Enfin, depuis 10 ans, le nombre d'accidents significatifs sur le rail a baissé de 40% et celui des tués de 30%, selon le dernier rapport de RFF.

RFF martèle d'ailleurs depuis l'accident qu'il n'y a pas de lien direct entre la vétusté des voies et d'éventuels problèmes de sécurité. "Lorsqu'un équipement vieillit et que ses performances se réduisent, nous pouvons être amenés à réduire la vitesse (...), nous pouvons être amenés à augmenter l'intervalle entre les trains, nous pouvons être amenés à interrompre le trafic si nous constatons le moindre incident", a plaidé son président, Jacques Rapoport, sur France Info. En clair : "Ce qui fait que lorsqu'un équipement ferroviaire vieillit, c'est la performance de la ligne qui se dégrade, ce n'est pas sa sécurité."

Comme en écho, le Stif s'est voulu pédagogue : le sous-investissement sur le réseau explique que "les trains soient bondés ou qu'ils aient du retard", mais "n'a pas de conséquence sur la sécurité".

Toutefois, le syndicaliste contacté par francetv info se montre dubitatif : "On peut raconter tous les bobards qu'on veut. On a plus de chance d'avoir un accident quand le matériel est trop vieux et mal entretenu." En attendant, la SNCF a promis d'inspecter les 5 000 éclisses du réseau français.

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