Mort d'Adama Traoré : ce que le témoin-clé a dit aux juges d'instruction lors de son audition
Franceinfo a eu accès au procès-verbal de 32 pages de l'homme chez qui Adama Traoré s'était réfugié cet après-midi du 19 juillet 2016 avant d'être interpellé. Les magistrats ont décidé de mener de nouvelles investigations après cette audition.
Les juges d'instruction chargés de l'enquête sur la mort d'Adama Traoré ont interrogé jeudi 3 juillet deux témoins au palais de justice de Paris. Parmi ces témoins figure l'homme chez qui le jeune homme s'est réfugié avant d'être interpellé. Et, selon nos informations, les magistrats ont décidé de mener de nouvelles investigations après cette audition.
L'audition de cet homme de 38 ans chez qui Adama Traoré s'était caché juste avant d’être interpellé par les gendarmes en juillet 2016, a duré quatre heures. Il a été entendu par trois juges d'instruction, en présence de deux greffiers, d'un vice-procureur et de quatre avocats de la famille Traoré et des gendarmes. Franceinfo a eu accès au procès-verbal d'audition de cet homme, un document de 32 pages.
Une version différente à quatre ans d'écart
Le 1er août 2016, lorsqu'il est entendu, par les enquêteurs, 13 jours après la mort d'Adama Traoré, ce témoin décrit un homme "essoufflé" au point de ne pas réussir à parler. "Il est assis par terre, n'arrive pas à se tenir, il est essoufflé et la seule chose qu'il me dit, affirme alors ce témoin devant les gendarmes, c'est "tire-moi", il respirait bruyamment". À partir de ce témoignage, des experts médicaux ont conclu qu'Adama Traoré était déjà en état de détresse respiratoire avant d'être interpellé, et ainsi dédouaner l'intervention des gendarmes dans sa mort.
Quatre ans plus tard, jeudi 2 juillet, l'homme a livré une autre version de ce qui s'est passé cet après-midi du 19 juillet 2016, notamment de l'état physique d'Adama Traoré, qui est au coeur de ce dossier judiciaire. Cette fois, plus question d'essoufflement. Il a expliqué qu'Adama Traoré est rentré chez lui, sans sonner. Il lui a demandé une première fois ce qui lui arrivait :
J'ai essayé de parler avec lui, mais il ne répondait pas... Je lui ai demandé une seconde fois. Il y avait un truc blanc qui sortait de sa bouche.
le témoin auditionné
Ensuite, il a dit "je vais mourir", a-t-il expliqué. Un juge a fait remarquer que cette phrase capitale "Je vais mourir" n'était pas dans le dossier jusqu'à présent, et qu'il ne l'avait pas mentionnée lors de son audition par les gendarmes il y a quatre ans. "Il est possible que j'ai oublié" de le dire "avec le stress, le jour de ma convocation", a justifié le témoin. Les juges ont ensuite questionné ce témoin sur "l'essoufflement" et la respiration "bruyante" d'Adama Traoré qu'il avait mentionnés en 2016. "Je ne comprends pas le mot 'essoufflé'", a-t-il répondu. "Il n'a pas fait de bruit. Peut-être que les gendarmes ont mal compris. Il n'était pas bien du tout, ça je vous le garantis. Moi je ne suis pas médecin".
Des conclusions radicalement opposées
De cette audition devant les juges, les avocats des deux parties ont tiré des conclusions radicalement opposées. "Ce témoin s'est rétracté", a assuré l'avocat de la famille d'Adama Traoré Yassine Bouzrou. "Il a fait une déclaration totalement différente de ce qu'il avait pu dire à l'époque aux gendarmes enquêteurs et il a affirmé que les éléments contenus dans son procès-verbal d'audition étaient faux."
Aujourd'hui, il a dit qu'Adama Traoré ne souffrait pas de détresse respiratoire avant l'interpellation et qu'il n'avait jamais dit ça.
Me Bouzrouà franceinfo
"Ce témoin a conforté la version qui était la sienne précédemment, et notamment sur (...) l'état d'épuisement dans lequel Adama Traoré arrive à son domicile", a au contraire expliqué Rodolphe Bosselut, avocat de deux des gendarmes, "en ayant même indiqué qu'Adama Traoré lui aurait dit, avant que les gendarmes ne l'interpellent, 'je vais mourir'". Pour les avocats des gendarmes, cette phrase est la preuve de leur innocence, ils demandent la clôture de l'instruction.
Adama Traoré, jeune homme de 24 ans, est mort le 19 juillet 2016 dans le Val-d'Oise à la suite d'une interpellation. Ses proches sont convaincus que son décès a été provoqué par un plaquage ventral, ce que réfutent les trois gendarmes qui l'ont interpellé.
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