"C'était relativement facile" : au procès des viols de Mazan, Dominique Pelicot revient sur la manière dont il droguait son épouse

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
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Dominique Pelicot dans son box, au tribunal judiciaire d'Avignon (Vaucluse), le 11 octobre 2024. (BENOIT PEYRUCQ / AFP)
Le président de la cour criminelle du Vaucluse a longuement interrogé le principal accusé du procès, vendredi matin. Le septuagénaire a livré une description clinique de son mode d'action.

C'est un rituel sordide, voire machiavélique, qu'il a entretenu durant près d'une décennie. Le soir venu, quand il préparait le repas de son ex-épouse, Dominique Pelicot glissait discrètement le médicament qu'elle allait ingérer, à son insu, avant d'être violée par des hommes rencontrés sur internet. Quelques comprimés de Temesta, un puissant anxiolytique synonyme de soumission chimique dans le huis clos de cette maison de Mazan (Vaucluse).

Entre 2011 et 2020, Dominique Pelicot a ainsi fait venir au moins 50 hommes (sans doute bien plus en réalité, les enquêteurs ayant dénombré plus de 80 auteurs potentiels), jugés à ses côtés pour des faits de viols sur la victime endormie. Vendredi 18 octobre, le principal accusé du procès s'est exprimé en détail, pendant plusieurs heures, sur son mode d'action.

Des "conseils" prodigués par un infirmier rencontré en ligne

Le président de la cour criminelle, Roger Arata, interpelle ainsi Dominique Pelicot sur l'utilisation des comprimés sur sa conjointe de l'époque : "Considérez-vous que le procédé a été récurrent, systématique, affiné ? Est-ce que vous avez pu avoir des échecs ? Des conseils ?" "Je suis tombé en 2010 sur ce qui était pour moi autre chose qu'un infirmier : au minimum, un médecin", répond le septuagénaire. Au cours de l'instruction, il a effectivement expliqué avoir échangé avec un infirmier sur internet, qui lui aurait indiqué la quantité de cachets de Temesta nécessaires pour droguer sa victime et faire en sorte qu'elle ne se réveille pas pendant les actes infligés.

"J'ai mis du temps à me décider", assure-t-il. Il raconte ensuite avoir "utilisé progressivement le traitement". "Sur certaines scènes de 2014, 2015, 2016, jusqu'en 2018, je crois, il y a des moments où mon épouse réagit", expose-t-il, en référence aux plus de 20 000 photos et vidéos des sévices infligés à Gisèle Pelicot retrouvées par les policiers sur son disque dur. Le sous-entendu est aussi lourd que limpide : la quantité d'anxiolytiques n'était pas suffisante, Dominique Pelicot devait augmenter les doses pour parvenir à ses fins.

"Je faisais la cuisine"

"Je suis désolé d'insister, mais vous êtes deux dans cette maison : ce n'est pas un château de cinquante pièces. Concrètement, comment vous y preniez-vous ?", insiste le président. "C'était des doses préparées à l'avance, en fonction du rendez-vous", répond l'homme de 71 ans. Le Temesta était stocké sous forme de "poudre", "dans une petite pipette".

L'accusé raconte qu'il administrait le médicament en préparant les repas. "Je faisais la cuisine. Elle a eu des doutes par moments. Mais dans la majorité des cas, c'était relativement facile", détaille-t-il sans ciller, dans une description purement clinique des faits.

Dominique Pelicot décrit par la suite le déroulement des soirées avec son ex-épouse. "La plupart du temps, elle était dans la chambre, elle avait déjà dîné, elle avait eu le produit. Si c'était plus tard, c'était dans de la glace que je lui préparais : je lui apportais devant la télé", poursuit-il. 

Roger Arata l'interroge sur les autres étapes de son mode d'action. "Madame Pelicot a expliqué qu'elle dormait toujours en pyjama", relève-t-il. Or, "on a pu voir [sur les vidéos diffusées lors de l'audience] qu'elle était vêtue de certains sous-vêtements, des bas, tantôt noirs, tantôt blancs", ajoute le magistrat.

"Je la déshabillais, selon les désirs de chacun."

Dominique Pelicot

devant la cour criminelle du Vaucluse

"Comment procédiez-vous pour lui enlever son pyjama sans qu'elle ne se réveille ?", l'interpelle encore le président. "Quand elle était dans un sommeil profond, c'était très facile, c'est honteux. Même pour les bas. Il m'est arrivé de mettre ceux qu'on m'amenait", assume Dominique Pelicot. "On m'a demandé si je les lavais : programme éco, Soupline, lessive 30 minutes."

Un mélange de "plaisir" et de "mal-être"

Le président lui demande si, pendant la préparation des actes, il commençait "déjà à vivre le moment comme quelque chose d'excitant". "C'est un mélange des deux : du plaisir et du mal-être", répond-il. "Du mal-être ?", interroge le magistrat. "Oui, parce que c'est quelqu'un que…", le septuagénaire s'interrompt une seconde, avant de reprendre, la voix tremblante : "Que j'aime énormément, même si ça vous paraît paradoxal". Face à lui, de l'autre côté de la salle, des larmes coulent sur les joues de Gisèle Pelicot.

Dans les vidéos des viols montrées à l'audience, la victime est "une chose, une chose qu'on maltraite", souligne Stéphane Babonneau, l'un des avocats de la partie civile. "Vous reconnaissez qu'il y a de la violence dans ces viols ?". "Oui, bien sûr", répond Dominique Pelicot. "Mais pas de haine ?". "Pas avec elle", assure le septuagénaire, visiblement ému.

Une vidéo "criante de vérité"

Des images insoutenables, illustrant l'état de conscience altéré de Gisèle Pélicot sous les effets du Temesta, ont été ensuite diffusées à l'audience à la demande d'Isabelle Crépin-Dehaene. Cette avocate de deux accusés estimait que la vidéo d'un viol commis par Dominique Pelicot sur son épouse était "particulièrement éclairante", celui-ci contestant "que madame Pelicot se soit réveillée".

Les images sont projetées. Pendant les premières secondes, des marmonnements de Gisèle Pelicot sont perceptibles : "Aïe, laisse-moi !", "Tu me fais mal, là !". Dominique Pelicot se saisit de la caméra, la tourne vers elle, les images apparaissent quelques instants, insupportables. La victime se réveille, les yeux mi-clos, au milieu de ce viol infligé par son mari. Elle semble dans un état second, elle qui a affirmé ne pas se souvenir de ce moment.

"Ce n'est certainement pas pour humilier madame Pelicot que j'ai demandé cette diffusion", justifie Isabelle Crépin-Dehaene. "Ah oui ?!", s'agace Stéphane Babonneau. "Pour moi, cette vidéo est criante de vérité. Monsieur Pelicot la considère comme une chose, de manière perverse, on est dans la brutalité", observe l'avocate.

Elle ajoute : "Certains hommes [des accusés] sont dans la douceur, dans les caresses". La partie civile, outrée, l'interrompt. "Il y a viol et viol", glisse ironiquement Stéphane Babonneau, reprenant la phrase polémique d'un avocat de la défense. "C'est insupportable !", s'énerve Isabelle Crépin-Dehaene, exaspérée. L'audience se poursuit avec l'interrogatoire d'un autre accusé, entendu cette semaine. Sur sa chaise, Gisèle Pelicot regarde fixement dans le vide.

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