Procès des viols de Mazan : la "personnalité à double facette" de Dominique Pelicot, jugé pour avoir drogué et livré sa femme à des hommes
Son téléphone portable en main, il arpente les allées du centre commercial. En ce samedi 12 septembre 2020, journée encore estivale à Carpentras (Vaucluse), Dominique Pelicot traque trois femmes, et filme sous leurs jupes. Soudain, un vigile le stoppe. Dans sa sacoche, cet homme, alors âgé de 67 ans, a glissé un second téléphone, son caméscope, un appareil photo et des préservatifs. Dominique Pelicot explique qu'il est "sous l'empire de pulsions", en l'absence de sa femme, partie depuis un mois en région parisienne pour s'occuper de leurs petits-enfants. Il l'assure : il n'a pas "l'habitude de tels agissements".
Pourtant, l'exploitation de son matériel informatique révèle une tout autre réalité. Dans son ordinateur portable, saisi lors d'une perquisition à son domicile, dans le village de Mazan, au pied du mont Ventoux, les enquêteurs découvrent une centaine de vidéos et 300 photos, sur lesquelles son épouse, Gisèle Pelicot, est violée par des dizaines d'hommes. Ils retrouvent aussi des messages dans lesquels Dominique Pelicot les invite clairement à avoir une relation sexuelle avec sa femme, à domicile, alors qu'elle est inconsciente. Son mari reconnaît l'avoir droguée à son insu avec du Temesta, un puissant anxiolytique. Il dissimule des comprimés dans une chaussure de marche, rangée dans le garage de la maison. Les enquêteurs viennent de lever le voile sur une affaire de soumission chimique hors du commun.
Quand les enquêteurs présentent à Gisèle Pelicot les clichés pornographiques, elle est sous le choc. Elle ne se souvient de rien. Son mari est mis en examen le 4 novembre 2020 et placé en détention provisoire. Depuis, les époux ont divorcé. Le portrait psychologique et psychiatrique du principal accusé va être dressé lundi 9 septembre, par quatre experts, lors de son procès, qui s'est ouvert le 2 septembre devant la cour criminelle départementale du Vaucluse, à Avignon. Si le programme prévisionnel de l'audience est respecté, Dominique Pelicot livrera ses premières explications mardi après-midi. Cinquante autres hommes sont aussi jugés, principalement pour viols aggravés, jusqu'au 20 décembre.
Pendant quarante ans, une vie de famille en région parisienne
Dominique et Gisèle Pelicot avaient 21 ans lorsqu'ils se sont mariés en avril 1973 dans l'Indre, deux ans après leur rencontre. "Ils étaient très jeunes. C'était le premier amour de ma cliente, et je pense que c'était aussi le cas pour monsieur", expose à franceinfo Antoine Camus, l'un des avocats de Gisèle Pelicot. Selon La Nouvelle République, Dominique Pelicot a "quitté le collège après la 5e pour entamer un apprentissage dans l'électricité". Il a grandi dans une "famille à l'histoire confuse et aux repères troublés, marquée par certains secrets" et un climat incestueux, a révélé l'enquête de personnalité.
Les jeunes époux s'installent en région parisienne, ils ont trois enfants. Le dernier naît en 1986, treize ans après l'aîné, David Pelicot, qui témoignera lundi. Mais le couple bat de l'aile. Lors d'un interrogatoire, Dominique Pelicot a dit avoir découvert une infidélité de sa femme. Par la suite, lui-même la quitte quelques mois pour une autre femme, avant de revenir au domicile familial. Une période que leur plus jeune fils, Florian Pelicot, qui sera également entendu lundi, a "mal vécue" : s'il décrit aux enquêteurs une "enfance normale", un père "toujours là pour ses enfants", "plutôt poli et respectueux" envers les femmes, il mentionne aussi "un côté exhibitionniste" chez ses parents, qui pouvaient "se trouver nus dans leur maison". Il confie aussi avoir compris, "en grandissant", que son père dissimulait des problèmes d'argent à son épouse. Dominique Pelicot change de métier plusieurs fois et exerce notamment en tant que commercial dans l'immobilier. En 2001, le couple divorce pour raisons financières, mais poursuit sa vie commune, avant de se remarier en 2007 sous un régime plus favorable.
Mis en examen pour des crimes commis dans les années 90
Le quotidien de père de famille de Dominique Pelicot dans les années 1990 et 2000 ne laisse rien transparaître. Ce n'est qu'après son arrestation, des années plus tard, que les enquêteurs vont découvrir sa possible implication dans d'autres affaires. A l'automne 2022, le septuagénaire est mis en examen, malgré ses dénégations, pour le viol et le meurtre en 1991 de Sophie Narme, 23 ans, dans le 19e arrondissement de Paris. Les poursuites contre lui sont les premières engagées par le pôle cold cases, dédié aux crimes sériels ou non élucidés et basé à Nanterre. Ce sont des accusations "basées uniquement sur des rapprochements", dénonce auprès de l'AFP son avocate, Béatrice Zavarro, qui affirme que son client "est tombé des nues".
Dominique Pelicot est également mis en examen pour une tentative de viol en Seine-et-Marne en 1999. Au pied du mur – son ADN a été retrouvé sur les lieux –, il reconnaît les faits mais conteste avoir utilisé une arme. Dans ces deux affaires, qui n'ont pas encore été jugées, le mode opératoire est identique, avec deux femmes droguées à l'éther "dans le cadre d'une visite d'appartement, les deux victimes étant toutes deux agentes immobilières", précise, début 2023, le parquet de Nanterre.
Jusqu'à sa condamnation pour avoir filmé sous les jupes des femmes à Carpentras, le casier judiciaire de Dominique Pelicot était vierge. Le 31 juillet 2010, il avait tout de même été surpris dans un centre commercial de Seine-et-Marne pour des faits similaires. Il filmait alors sous des jupes à l'aide d'une caméra cachée dans un stylo. Il plaide coupable et verse une amende de 100 euros.
"Déviance paraphilique", "voyeurisme et somnophilie"
Peu après, Dominique Pelicot se met à fréquenter Coco.fr. C'est, dit-il, sur ce site internet, connu pour ses contenus sexuels et illégaux et aujourd'hui fermé, que lui vient l'idée de se procurer des somnifères pour imposer des actes sexuels à son épouse. Les premières photos retrouvées datent de la nuit du 23 au 24 juillet 2011. Face aux enquêteurs, Gisèle Pelicot parvient à se remémorer un réveil en sursaut à cette période, alors que son mari était en train de la violer.
A partir du 1er mars 2013, lorsqu'ils quittent la région parisienne pour vivre une retraite paisible sous le soleil de Mazan, Dominique Pelicot multiplie les invitations au viol. Dans le même temps, Gisèle Pelicot ressent de nombreuses phases d'oubli et a des séquelles gynécologiques, sans se douter de la cause. Entre 2011 et 2020, 92 actes sexuels sont recensés sur elle. Dominique Pelicot répète qu'il n'est pas le seul : au moins trois hommes, sous des pseudonymes, l'ont convié à réaliser des actes sexuels sur leurs épouses endormies. Les enquêteurs en ont identifié un, qui figure parmi les accusés.
En interrogatoire, face à la juge d'instruction, Dominique Pelicot, qui soutient ne jamais avoir reçu d'argent, explique avoir éprouvé du "plaisir à voir son épouse touchée par quelqu'un d'autre" et parle d'une "addiction l'empêchant d'arrêter". L'instruction menée à Avignon met en évidence une "sexualité calquée" sur une "personnalité à double facette".
"Il se présente aux yeux du monde comme ayant un rapport à la sexualité ordinaire, sans y porter un attrait singulier mais, dans le huis clos familial, il ne respecte pas les limites de l'intime et du corporel."
L'enquêtrice de personnalitépendant l'instruction
Un expert psychiatre décèle chez Dominique Pelicot une "déviance paraphilique", c'est-à-dire une appétence pour les actes sexuels sur des personnes non consentantes, qui mêle notamment "voyeurisme et somnophilie". "L'inertie de son épouse permet d'augmenter son sentiment d'emprise", souligne ce psychiatre. Un autre expert note "des fantasmes hors normes". Gisèle Pelicot "était utilisée ici en appât", souligne le second psychiatre, qui qualifie la dangerosité criminologique de son mari d'"élevée".
"Son passé est ponctué d'éléments fort désagréables"
"Le registre psychologique, c'est le volet le plus important à creuser", insiste l'avocate de Dominique Pelicot. Dès les premières auditions, son client a confié avoir été violé lui-même à l'âge de 9 ans, par un infirmier, lors d'une hospitalisation. A cela s'ajoutent deux traumatismes. Il indique d'abord avoir surpris ses parents pendant des relations sexuelles, à 11 ans et 13 ans, avec sa mère en position de soumission. "Il voit des scènes de sexe pas forcément consenties", pointe Béatrice Zavarro. Puis Dominique Pelicot rapporte avoir été témoin d'un viol en réunion lorsqu'il était apprenti sur un chantier, à 14 ans. "Son passé est ponctué d'éléments fort désagréables, qui l'ont perturbé", argue son avocate auprès de franceinfo.
A ses enfants, Dominique Pelicot n'a parlé que du viol qu'il dit avoir subi plus jeune. Mais aux yeux de sa fille, Caroline Darian, il "se victimise". La quadragénaire, aujourd'hui engagée pour sensibiliser le grand public au danger de la soumission chimique, ne croit pas à "cette histoire". En audition, elle déclare que son père est une "personne qui ment beaucoup". Elle était très proche de lui avant la révélation de l'affaire. Désormais, elle l'appelle son "géniteur". "J'aimais mon père. J'aimais l'image de l'homme que je croyais connaître. L'image de cet homme sain, bienveillant, prévenant", a-t-elle déclaré face à la cour, vendredi, devant laquelle elle a raconté le "cataclysme" subi par sa famille.
Caroline Darian est aussi victime : deux photos d'elle, inconsciente et en sous-vêtements, ont été retrouvées dans l'ordinateur de Dominique Pelicot. Des faits pour lesquels il est également jugé, tout comme pour avoir pris des photos de ses deux belles-filles, nues dans leurs salles de bains, grâce à des appareils dissimulés. Ses petits-enfants voient en lui un grand-père affectueux, tout en rapportant des moments troublants. Une de ses petites-filles l'a vu prendre des photos d'elle et de sa sœur pendant un bain de minuit dans la piscine.
"C'est une famille dévastée mais qui tient debout et qui est résolue à faire bloc", observe leur avocat. Antoine Camus souligne qu'ils attendent surtout des réponses à leurs questions. Caroline Darian se demande lors de son audition : "Comment fait-on pour se reconstruire sur des cendres ? Quand on sait que son père est sans doute l'un… l'un des plus grands prédateurs sexuels de ces vingt dernières années ?" "Les séances de psychothérapie lui permettent de cheminer sur la question du pourquoi", assure en réponse l'avocate de Dominique Pelicot. Et de promettre : "Il y aura un début de réponse qu'il communiquera à la cour, le moment venu."
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