Enquête
Pédophilie, prostitution, guet-apens... "On ne peut plus laisser cette zone de non-droit", interpelle une victime du site Coco

Coco.gg est associé à de nombreuses affaires sordides, dont la dernière est celle de l'agression mortelle du jeune Philippe à Grande-Synthe. Pourtant, près de 20 ans après son lancement, il n’a jamais vraiment été inquiété. Notre reporter a testé la facilité du mécanisme.
Article rédigé par Stéphane Pair
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Page d'accueil du tchat Coco. (CAPTURE D'ECRAN)

Pendant cinq jours, notre reporter est devenu l’un des 850 000 visiteurs mensuels du site Coco. Pas de modération, ni d'inscription préalable. L’interdiction aux mineurs n’y est pas respectée. Notre reporter y est donc devenu CRICA18, une mineure de 15 ans de Seine-et-Marne. En cinq jours, CRICA18 a reçu une cinquantaine de photos et de vidéos de webcams d’hommes en train de se masturber, des incitations à la prostitution et sept propositions de rencontres physiques avec des adultes. Dimanche encore, Pierre, un consultant de 59 ans habitant Melun, exigeait avant de nous rencontrer, de nous voir, de nous parler via l’application Snapchat.

Messages reçus de Pierre par un pseudo de jeune fille mineure. (Capture d'écran Coco.gg)

Pourtant, près de 20 ans après son lancement, le site Coco n’a jamais vraiment été inquiété. Le gérant de ce tchat en ligne est un ingénieur français de 44 ans du Var, Isaac Steidl, selon le registre des entreprises. Sa dernière société, Zenco, a été liquidée l’été dernier. Mais concernant Coco.gg, le dernier chiffre d’affaires connu atteignait les 680 000 euros. Et depuis, le site a doublé sa fréquentation. Tentant de joindre par téléphone Isaac Steidl et une ex-associée, nous avons vite compris que franceinfo n’est pas la bienvenue.

Des infiltrations régulières par les gendarmes

En plus de la pédophilie, de la prostitution ou d'affaires de viols, le site est souvent impliqué dans des affaires de guet-apens. Les forces de l’ordre interviennent régulièrement sur ce genre d’affaires. Il y a huit jours, la gendarmerie du Doubs a interpellé deux adolescents de 16 et 17 ans, sur le parking d’un supermarché de Besançon. Ils s'apprêtaient à dépouiller un utilisateur de Coco. Celui-ci, intéressé par la prostitution proposée sur ce site, n’en était pas à son premier guet-apens. Comme le raconte le lieutenant-colonel Damien Mathieu : "La personne s'est rendue au lieu de rendez-vous, sur un parking un petit peu à l'écart d'une zone résidentielle, raconte-t-il. Et à ce moment-là, il a été pris à partie par un individu qui est sorti du bois avec une espèce de marteau". Il s'agit de "violences crapuleuses", en vue de "détrousser la victime de son téléphone, de ses moyens de paiement voire de son véhicule", alerte l'officier. Pour lui, c'est un site "très dangereux".

"C'est un vecteur de communication vraiment à éviter et on n'hésite pas à, quand on le peut, arrêter les auteurs et à les déférer devant la justice."

le lieutenant-colonel Damien Mathieu

à franceinfo

En fait, le site Coco.gg est bien connu de la gendarmerie. Des agents spécialisés sont habilités à aller sur le tchat sous pseudo, pour traquer la pédopornographie et la prostitution en ligne. Une source judiciaire nous confirme aussi que des trafics de stupéfiants et d’armes ont été caractérisés sur ce site, dont les messages s’effacent au bout de quelques heures.

Le vide juridique, "une légende urbaine"

Pourtant la fermeture de Coco.gg n'est pas à l'ordre du jour. Si les auteurs de délits, voire de crimes, qui l'utilisent peuvent être poursuivis, le site continue aujourd’hui de générer de l’argent, notamment avec ses abonnements dit "Premium". Ces dernières années, pour se mettre hors d’atteinte, Coco.fr est devenu Coco.gg, un nom de domaine enregistré à Guernesey, une île britannique mais, selon nos informations, ce sont des serveurs belges, dans l’Union européenne, qui hébergent Coco.

"Légalement, les fermer, c’est compliqué, explique un cyber policier du ministère de l'Intérieur, ils ne sont pas hébergés en France. Ils ne publient pas de contenus". "Il y a moyen d’agir contre ce type de sites", répond l’avocat spécialiste du droit de l’internet, Alexandre Archambault. "C'est une légende urbaine, il n'y a pas de vide juridique sur internet", s'énerve l'avocat.

"On peut tout à fait intervenir, à partir du moment où vous avez une activité qui opère depuis l'Union européenne, ce qui semble être le cas"

Alexandre Archambault, avocat spécialiste du droit de l’internet

franceinfo

Il cite notamment la "loi française sur la confiance numérique" et le DSA (le Digital Services Act), adopté l’été dernier par l’Union européenne. En attendant, il déplore : "S'il n'y a pas de procédure judiciaire, les intermédiaires techniques ne peuvent pas agir pour surveiller ce qui se passe en ligne. Ça a été encore rappelé très récemment par un arrêt de la Cour de cassation le 27 mars dernier."

Appel à la fermeture du site

Caroline Darian est la fille de Dominique, un homme qui, pendant 10 ans, a drogué et fait violer la mère de la jeune femme par des dizaines d’utilisateurs de Coco. "Dans l'affaire qui concerne mon père et ma maman, relate-t-elle, ce qui permettait à mon père de rentrer en contact avec l'ensemble de ces détraqués sexuels et de ces prédateurs - plus de 80 individus - c'est le site Coco". Elle décrit l'existence sur le site de "salons" pour échanger sur des sujets précis et plus sulfureux les uns que les autres. Parmi ces salons, celui qui a concerné sa mère s'appelait "À son insu". "On retrouve dans des tchats certains propos qui expliquent concrètement comment faire pour violer une femme à son insu, avec des médicaments, explique Caroline Darian. Ce site est la plateforme qui a permis à plus de 80 individus de rentrer en contact et de bénéficier de ce sordide protocole".

Caroline Darian ne comprend pas que le site ne soit pas mieux surveillé malgré la multiplication des affaires. Un site qui, selon elle, "accélère, en tout cas optimise, la mise en relation de prédateurs à prédateurs : Quelles sont les modalités qui ont été mises en place, depuis la sortie en fleuve de toutes ces affaires ? Aucune, s'énerve-t-elle. Il faudrait que les législateurs s'en emparent, à commencer par le ministre de la Justice. Aujourd'hui, dans l'ère dans laquelle on vit, je pense qu'on ne peut plus laisser cette zone de non-droit. On attend quoi ?"

"Il n'y a pas de modération. Le ou les propriétaires de ce site en ont parfaitement conscience. Ils jouent avec une forme de liberté de l’internet parce qu'aujourd'hui, ce n'est absolument pas légiféré."

Caroline Darian, victime collatérale de Coco et présidente de l’association "M’endors pas"

à franceinfo

Combien de temps avant que l’appel de Caroline Darian à la fermeture du site Coco ne soit suivi d’effets ? Une fermeture dont l’efficacité reste à prouver tant les sites renaissent aussi vite de leurs cendres. Une donnée pourrait accélérer tout de même la procédure : Coco.gg ne respecte pas l’une de ses obligations légales, transmettre à la justice les données techniques - les adresses IP - des suspects. Ceci constitue un manquement qui l’expose, mais qui arrange aussi, les utilisateurs les plus dangereux de Coco.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.