Projet de loi pour la sécurisation de l'espace numérique : dans quelle mesure l'anonymat en ligne existe-t-il ?
Internet, le lieu de tous les possibles où tout est permis ? Voici l'idée accréditée et dénoncée, dimanche 24 mars, par Paul Midy, député Renaissance de l'Essonne, dans La Tribune dimanche. Avec 125 autres membres de la majorité, il signe une tribune où les parlementaires affirment "qu'il ne faut pas permettre l'anonymat vis-à-vis des autorités de police ou de justice, lorsqu'on commet un délit ou un crime grave" et militent pour "la fin de l'anonymat total sur les réseaux sociaux".
Paul Midy est le rapporteur du projet de loi pour sécuriser et protéger l'espace numérique, sur lequel la commission mixte paritaire a trouvé un accord jeudi. Il avait précisé son argumentaire lundi, sur le plateau de "Télématin". Il y expliquait notamment que "95% des Français se sentent anonymes sur les réseaux sociaux", ce qui génère, "un sentiment d'impunité", et cause en partie la diffusion des propos haineux sur les réseaux sociaux. Selon la loi, il est possible de retrouver une personne qui s'exprime anonymement, ou sous pseudonyme, sur les plateformes. Mais dans les faits, qu'en est-il ?
Des procédures judiciaires nécessaires pour l'indentification
Dès lors qu'un utilisateur se connecte sur internet, il est potentiellement identifiable. "Il est possible de remonter à l'identité d'une personne via son adresse IP [protocole internet]", assure Antoine Cheron, avocat en droit de la propriété intellectuelle, interrogé par franceinfo. Ce numéro d'identification unique est attribué à chaque appareil connecté à un réseau informatique, comme un wifi. Il reste toutefois nécessaire d'engager un processus juridique pour obtenir les données. "Les fournisseurs d'accès à internet détiennent des informations personnelles des utilisateurs associées à leur adresse IP, comprenant par exemple les détails de facturation et d'abonnement des utilisateurs", ajoute Antoine Cheron.
Les autorités sont les seules à pouvoir les contraindre à partager ces informations. L'article L-34-1 du Code des postes et des communications électroniques oblige les opérateurs à fournir l'adresse IP si elle est demandée dans le cadre d'une procédure pénale. "Des procès se sont tenus grâce à ces techniques", note Thomas Boudier, avocat en droit du numérique. Les 28 prévenus du procès de cyberharcèlement de Magali Berdah ont par exemple été retrouvés grâce à leur adresse IP.
Depuis l'entrée en vigueur du Digital Service Act européen le 17 février 2024, les plateformes en ligne dont les utilisateurs se trouvent dans l'Union européenne doivent, elles aussi, collaborer avec les services de police "pour partager des informations sur l'auteur de contenus illicites", explique Antoine Cheron. Les propos insultants, à caractère haineux, discriminants, relevant du cyberharcèlement, ou les activités de relevant de la pédocriminalité, sont donc concernés. La police peut accéder à l'adresse des IP des internautes s'ils ont commis une infraction passible de plus d'un an de prison, ce qui est le cas du cyberharcèlement, comme le rappelle le site service-public.fr.
Une fois la procédure lancée, il existe plusieurs cas de figure. Selon Paul Midy, 50% de la population est facilement trouvable.
"Si vous vivez seul chez vous, que vous êtes propriétaire de la maison, et que vous vous connectez avec un ordinateur sur le réseau wifi auquel vous avez souscrit, c'est le scénario idéal."
Paul Midy, rapporteur du projet de loi pour sécuriser et protéger l'espace numériqueà franceinfo
Pour les autres 50%, les personnes sont, selon le député, difficilement identifiables, voire introuvables. "Théoriquement, l'anonymat n'est pas possible, mais quelqu'un qui veut être anonyme sur internet peut le rester", confirme Thomas Boudier.
"Les VPN sont un moyen de le faire", explique-t-il. Les Virtual Private Network (réseaux privés virtuels), souvent payants, permettent de relier l'appareil utilisé à une autre adresse IP que celle réellement utilisée. Par ailleurs, certains d'entre eux ne collaborent pas avec les autorités dans le cadre de leurs enquêtes. C'est notamment le cas de NordVPN, l'un des plus utilisés en France. "Nous ne répondons pas favorablement aux requêtes nous demandant des informations sur nos utilisateurs puisque nous n'avons aucun registre les concernant", confie l'entreprise à franceinfo.
"Chaque utilisateur laisse des traces"
Pourtant, NordVPN l'assure : "Il n'existe pas de VPN totalement anonyme". Même en utilisant cet outil, un internaute peut partager des données personnelles via ses cookies (la collecte de données sur les préférences des utilisateurs) par les grandes plateformes comme Google et Facebook. Contactée, la plateforme Pharos, portail officiel français de signalement des contenus illicites sur le web, rappelle que "nul n'est strictement anonyme sur internet. Chaque utilisateur laisse des traces numériques".
Le projet de loi porté par le député Paul Midy vise à imposer un numéro d'identification unique pour les internautes tout en leur permettant de créer plusieurs profils sous un pseudonyme. Ils seront ainsi facilement identifiables par les autorités et ne laisseront plus que "des traces" de leur passage en ligne.
Des freins d'un autre peuvent toutefois poser un problème dans la recherche de suspects. "Beaucoup de victimes ne portent pas plainte. Elles craignent que les procédures n'aboutissent pas, donc cela limite les recherches", cite Paul Midy. Antoine Cheron, pour sa part, explique que si la victime se décide à porter plainte, "certains membres des forces de l'ordre peuvent manquer de sensibilisation et de formation adéquate sur la reconnaissance, l'enquête et le traitement des cas de cyberharcèlement".
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