"Jamais vous ne me ferez taire !" : les vidéos d'une avocate de la défense au procès des viols de Mazan indignent les réseaux sociaux

Très active sur Instagram, Nadia El Bouroumi, avocate de deux accusés, se filme pour exposer ses prises de position sur le procès. Ses propos posent des questions sur la liberté d'expression et les règles de déontologie qui s'imposent aux avocats.
Article rédigé par Violaine Jaussent - Stéphane Pair
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Devant le palais de justice d'Avignon (Vaucluse), le 18 septembre 2024, où se déroule le procès dit des viols de Mazan. (REY JEROME / MAXPPP)

Sur les posts et stories de son compte Instagram, elle se filme avec son téléphone à la main, en marchant dans les couloirs du palais de justice d'Avignon (Vaucluse), dans les escaliers ou au volant de sa voiture, juste à la sortie de l'audience. Les vidéos de Nadia El Bouroumi suscitent de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux et dans les médias, vendredi 20 septembre. Car l'avocate, qui défend deux accusés au procès des viols de Mazan, ce village où Dominique Pelicot est soupçonné d'avoir drogué sa femme avec des médicaments avant d'orchestrer des viols sur elle, n'hésite pas à donner son avis et à livrer beaucoup de détails sur l'audience. Le tout avec un franc-parler qui pose la question de la limite de la liberté d'expression des avocats.

"Alors je sors du procès Pelicot... Pfiooouuaaooo. On a diffusé des photos de madame qui est effectivement dans des positions qui posaient problème, car depuis quelques jours elle nous expliquait que jamais, jamais elle n'avait participé à quoi que ce soit. Quand elle voit les vidéos, je pense qu'elle ne s'y attendait pas...", commence l'avocate. Elle revient ensuite sur le moment où Gisèle Pelicot a, pour la première fois, haussé le ton devant la cour criminelle du Vaucluse.

La victime s'est offusquée des questions posées, notamment par Nadia El Bouroumi. "Elle s'est mise en colère. Moi, j'ai pris le micro en disant que c'était elle qui avait souhaité que ce soit public et que maintenant il ne s'agissait pas de se plaindre", poursuit l'avocate inscrite au barreau d'Avignon, qui ajoute que c'était un moment "douloureux". Elle précise qu'elle a pris le temps de dire à Gisèle Pelicot qu'elle était "fantastique et courageuse".

"Ça ne plaît pas et ça ne plaira jamais"

Une autre vidéo de Nadia El Bouroumi, postée sur son compte Instagram jeudi, a provoqué des commentaires indignés. L'avocate y danse dans sa voiture sur le refrain de Wake Me Up Before You Go-Go ("Réveille-moi avant de partir" en anglais), le tube du chanteur britannique George Michael. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses personnes s'insurgent, alors que l'enquête a démontré que Gisèle Pelicot était plongée dans un état proche du coma au moment des faits. "Dans cette affaire, la victime dormait alors que des hommes venaient la violer avant de repartir", rappelle un internaute sur le réseau X. "Je danse avec humour sur la chanson de George Michael", rétorque l'avocate, interrogée par franceinfo vendredi.

Nadia El Bouroumi explique avoir choisi de s'exprimer sur les réseaux sociaux car, selon elle, les avocats de la défense n'ont pas de "place" pour le faire en marge du procès de Dominique Pelicot et des 50 autres hommes renvoyés devant la cour criminelle du Vaucluse, principalement pour viols aggravés. "Beaucoup de gens se sont mis à nous insulter, en disant : 'Comment vous avez accepté d'être avocats de la défense ?'", rapporte auprès de franceinfo l'avocate, qui a, par conséquent, ressenti la nécessité de commenter ce procès. "J'ai été obligée du fait de la pression sociale et du manque d'objectivité de la presse. On ne prend pas le temps de nous écouter, on ne nous laisse pas parler, on modifie", développe Nadia El Bouroumi, qui assure être "victime de harcèlement et d'insultes" depuis l'ouverture des débats, le 2 septembre. "Je suis là aussi pour donner la version d'un avocat de la défense : ça ne plaît pas et ça ne plaira jamais, puisque de toute façon, dans ce procès, la seule parole qui est valable, c'est celle de Madame Pelicot, voilà !", s'emporte-t-elle.

Une liberté d'expression "très large" pour les avocats

Jusqu'à quel point cette avocate peut-elle s'exprimer comme elle l'entend ? "La liberté d'expression de l'avocat ne l'autorise pas à donner de sa profession une image violente, vulgaire ou cynique", affirme sur X Nicolas Hervieu, enseignant en droit à Sciences Po, qui se base sur une décision rendue le 22 décembre 2023.

"La liberté d'expression de l'avocat est très large dans le cadre de l'exercice des droits de la défense et pour exposer la stratégie d'un client qui lui accorde un mandat", expose toutefois Roland Rodriguez, président de la commission "règles et usage" au Conseil national des barreaux. Il a une forme d'immunité, reconnue à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l'Homme, souligne l'avocat auprès de franceinfo.

Sans pouvoir se prononcer sur les propos de sa consœur prononcés en dehors de la salle d'audience, Roland Rodriguez rappelle que des limites à cette liberté d'expression existent, dans les cas où "les propos outrepassent les principes essentiels de la profession d'avocat, à savoir les principes de loyauté, délicatesse, dignité et modération". "Ce sont ces principes qui vont guider le bâtonnier", ajoute-t-il. De fait, il revient au bâtonnier du barreau dont l'avocat dépend et au procureur général de la cour d'appel de rendre une décision. "Ils partagent le pouvoir sur les poursuites disciplinaires à l'encontre des avocats". Tous deux peuvent décider si une faute a été commise et éventuellement prononcer des sanctions, qui vont du blâme à la radiation. Le président d'une cour criminelle, celle du Vaucluse dans l'affaire des viols de Mazan, a, de son côté, un pouvoir de police de l'audience : il doit veiller à la sérénité des débats. Il peut donc formuler un rappel à l'ordre, à l'oral, pendant l'audience, sans toutefois aller au-delà.

"La question ne se pose pas seulement sur le fond, mais aussi sur la forme, puisque l'idée est de respecter le principe de délicatesse et de modération. Ce n'est pas parce qu'on expose sa stratégie de défense qu'on peut contrevenir à ce principe", complète Roland Rodriguez. Mais, reconnaît-il, actuellement, sur les réseaux sociaux, un "format s'impose", ce qui entraîne "un ton franc et direct", y compris chez les avocats. "Mes interventions, elles sont pertinentes. On les aime ou on ne les aime pas, peu importe, mais je trouve que j'ai le droit, en 2024, avec la place qu'ont les réseaux sociaux, de pouvoir donner ma position", met ainsi en avant, au micro de franceinfo, Nadia El Bouroumi.

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