"Je n'aime pas les gens" : au procès des viols de Mazan, Fabien S. raconte une vie marquée par les violences sexuelles

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
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L'accusé Fabien S., lors de son interrogatoire devant la cour criminelle du Vaucluse, à Avignon, le 26 septembre 2024 au procès des viols de Mazan. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE TELEVISIONS)
Cet accusé de 39 ans, dont le casier judiciaire comporte 18 mentions, est revenu sur son parcours, extrêmement difficile, et sur les faits qui lui sont reprochés. Comme la grande majorité des 50 autres accusés, il comparaît pour "viol aggravé" sur Gisèle Pelicot.

"Les premiers faits d'agressions sexuelles ont eu lieu entre ses 2 et ses 3 ans." En quelques mots, l'avocate de Fabien S., 39 ans, tente de résumer une vie d'inceste, de violences et de souffrances. L'homme qu'elle représente, au procès des viols de Mazan, se distingue de ses 50 coaccusés : la plupart ont des casiers vierges, ou ne présentent que quelques mentions, pour des infractions ou des délits mineurs. Lui totalise 18 mentions, dont 16 condamnations.

"Vols avec violences, port prohibé d'armes en récidive, détention et transport de stupéfiants, vols avec violences, vols en réunion, appels téléphoniques malveillants, violences sur conjoint...", énumère Roger Arata, le président de la cour criminelle du Vaucluse, jeudi 26 septembre, lors de son interrogatoire. Fabien S. fait partie du deuxième groupe d'accusés de ce procès fleuve : ils sont six à être entendus depuis lundi. 

L'homme comparaît détenu, comme 17 autres accusés. Debout dans son box, lunettes rectangulaires, cheveux grisonnants, il doit revenir sur son parcours de vie, "ponctué de difficultés", euphémise le président. Fabien S. semble avoir l'habitude. Il balaye, en quelques phrases, des années d'enfer. "J'ai été envoyé en famille d'accueil de mes 3 ans jusqu'à mes 18 ans. Dans la première famille, j'étais souvent puni à coups de martinet, de bâton. On me mettait à genoux pendants des heures", raconte-t-il, mains dans le dos. 

Sept ans dans la rue 

"Après, je suis reparti en foyer, puis de nouveau en famille d'accueil. On a abusé de moi. Puis un jour j'ai vrillé, et je suis parti en psychiatrie. J'avais 16 ans", poursuit Fabien S. Il a passé "entre un an et un an et demi interné", a précisé l'expert-psychiatre entendu mercredi, qui a estimé qu'il présentait tous les signes d'une personnalité limite. "Ce qui veut dire qu'il doit composer avec une grande instabilité émotionnelle", a exposé le médecin. 

S'en suivent des années d'errance dans les rues de Toulon, à partir de sa majorité. "Sept ans", précise-t-il. "J'ai fait le con pour survivre, me payer à manger, acheter mon alcool, mon shit. Je volais", détaille-t-il, expliquant qu'il vivait dans des squats et forçait parfois les portes de logements inhabités pour s'y installer. "J'étais alcoolique, je ne faisais que boire toute la journée", décrit l'accusé depuis son box.

A 27 ans, il rencontre sa première petite amie, et sort de la rue. Ils ont une petite fille ensemble "dont il ne se souvient pas de la date de naissance", a noté l'expert-psychiatre, qui a relevé chez lui "une grande impulsivité". Fabien S. raconte sans détour avoir "mis une claque" et avoir poussé cette ex-compagne dans un fossé au motif qu'elle ne le laissait pas voir leur fille. "J'ai fait de la prison pour ça". L'enfant a aujourd'hui 10 ans et il ne la voit plus. Il a eu trois autres enfants, mais semble n'avoir quasiment pas de contact avec eux en prison. 

"Je me suis exhibé devant sa fille" 

Au-delà des violences physiques, le spectre de l'inceste se dessine au fil de son interrogatoire, uniquement lorsque son avocate l'incite à s'exprimer sur le sujet. Elle insiste pour qu'il dise ce qu'il a appris au cours de l'instruction du dossier Mazan. "J'ai découvert que j'ai été abusé dans un foyer alors que je n'étais pas au courant", dit-il.

Fabien S., qui s'exprimait bien jusqu'ici, peine à poursuivre. L'avocate le fait à sa place : "Les enquêteurs, qui ont consulté son dossier à l'ASE [aide sociale à l'enfance], disent avoir découvert que son père a été incarcéré pour des agressions sexuelles, ce qu'il ignorait", explique-t-elle doucement. Avant de se tourner vers lui : "Vous avez découvert les motifs de votre placement, quand vous étiez enfant", glisse-t-elle, sans en dire davantage. Fabien S. est toujours en contact avec ses parents biologiques, et semble vouloir entretenir ce lien. 

"Votre sœur a été violée par votre frère ?", lui demande-t-elle encore. "Oui", répond-il. "Elle a été incarcérée elle aussi ?" "Oui, parce que son mari maltraitait ses enfants et qu'elle ne l'a pas dénoncé", déclare l'accusé laconiquement.  

Fabien S. a été condamné dans sa vingtaine pour "agression sexuelle sur mineur de moins de 15 ans". Une assesseure lui demande de s'en expliquer. "J'étais dans une famille d'accueil, le mec abusait de moi, et les éducateurs ne m'écoutaient pas, car j'étais turbulent. Donc je me suis exhibé devant sa fille pour qu'elle porte plainte et qu'on m'enlève de cette famille d'accueil", lâche-t-il. La magistrate affiche son scepticisme, notant qu'il a été condamné pour "agression" et non "exhibition". Il maintient sa version. 

"Je n'aime pas faire confiance" 

L'accusé, qui est actuellement détenu au centre pénitentiaire du Pontet, près d'Avignon, doit s'exprimer sur les faits, remontant à la nuit du 18 au 19 août 2018 : comme l'immense majorité des autres accusés, il est poursuivi pour "viol aggravé" sur Gisèle Pelicot. Comme eux, il assure qu'il pensait venir pour un moment d'échangisme avec le couple.

Le président lui demande pourquoi il ne s'est pas arrêté en voyant le corps inerte de la victime. "J'étais trop dans le mouv' pour m'apercevoir de ça", justifie l'homme, qui dit fumer plusieurs joints par jour, et était alcoolisé ce soir-là. "Moi, les plans où la femme dort, ça ne m'intéresse pas du tout, j'aime entendre la femme crier", assure-t-il. "Mais vous continuez…", souligne un assesseur. "Dans l'excitation du truc, oui", rétorque l'accusé, qui a notamment imposé une fellation à la septuagénaire, allongée sur la table de la salle à manger par son mari, qui l'avait préalablement droguée aux anxiolytiques. 

"J'ai l'impression que vous faites les choses sans réfléchir, au mépris du fait que ce soit contre la loi", observe Stéphane Babonneau, l'avocat de Gisèle Pelicot. "C'est ça", reconnaît Fabien S., que l'expert psychiatre a décrit comme "très à distance de la sphère émotionnelle, même quand il relate les faits". "L'élément traumatique le plus délétère, c'est que les personnes qui devaient prendre soin de lui sont celles qui l'ont agressé. Ce qui augmente le risque de devenir victime ou auteur", a-t-il souligné.  

"Comment vous voyez les autres ?", lui demande son avocate. "Je n'aime pas les gens", répond-t-il sans hésiter. Elle l'invite à développer. "Je les tiens à distance, je n'aime pas faire confiance", ajoute-t-il, la voix tremblante. "Comment vous envisagez l'avenir ?", le questionne l'avocate générale. "Quand je vais sortir, je vais aller chez mes parents, essayer de passer mon permis, faire chauffeur poids lourd, et j'irai sur les routes. Personne ne m'attendra", lâche Fabien S., qui encourt, dans ce dossier, une peine de vingt ans de réclusion criminelle. 

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