Sécurité, rassemblements féministes, médias… Au procès des viols de Mazan, l'annonce du verdict se prépare dans un climat tendu
Pendant une heure, lundi matin, les accusés du procès des viols de Mazan ont, tour à tour, prononcé leurs derniers mots. Depuis, le président de la cour criminelle du Vaucluse et les cinq magistrats qui l'entourent se concertent pour décider de la peine qui sera prononcée pour chacun, à l'aune de leur "intime conviction", comme le prévoit le code de procédure pénale.
Voilà des semaines que les médias français et étrangers pressent le tribunal d'Avignon pour connaître la date à laquelle tombera le verdict, afin d'organiser leur venue depuis l'Espagne, l'Allemagne, l'Angleterre, les Pays-Bas, et même le Canada, le Brésil ou les Etats-Unis. Selon le président de la cour, il sera rendu jeudi 19 décembre à 9h30. Mais "il pourrait être retardé d'une demi-journée, voire d'une journée".
Au total, 172 médias, dont 82 étrangers, sont accrédités pour l'événement, précise le parquet à franceinfo. Problème : en plus des accusés et de leurs avocats, la salle d'audience accueillera un important contingent de forces de l'ordre. Les deux bancs et quelques chaises habituellement réservés aux journalistes seront tous pris. Seuls trois médias – l'AFP, La Provence et franceinfo – pourront accéder à l'audience, chargés de relayer ce qu'il s'y passe. Deux salles de retransmission devraient être mises à disposition des autres journalistes, pour suivre les débats. Le public ne pourra sans doute pas y assister, ce que beaucoup regrettent.
"Ils ont toujours espoir d'échapper à la détention"
Plusieurs habituées, qui suivent le procès depuis ses débuts, précisent avoir tout de même prévu de se rendre aux abords du tribunal "pour voir l'ambiance". Qui risque d'être particulièrement tendue. "Un comité d'accueil" d'une trentaine de membres du collectif féministe des Amazones d'Avignon entend donner de la voix lors de l'arrivée des accusés. "On va faire du bruit", prévient l'une de ses militantes, précisant que "deux banderoles" réalisées en écho à une précédente qui réclamait "vingt ans [de détention] pour chacun", devraient être accrochées sur les remparts situés face au tribunal. Le collectif déclare toutefois s'attacher à trouver "le bon ton" dans ces bannières, notamment "vis-à-vis des familles" des accusés.
Celles-ci devraient faire le déplacement, puisque les 32 accusés qui comparaissent libres se préparent à la possibilité de passer Noël en prison. Les avocats généraux ont, en effet, systématiquement requis du mandat de dépôt à leur encontre. Tous ont pour consigne d'arriver avec un sac contenant leurs affaires. La mère d'un accusé, venue assister aux plaidoiries, était déjà en pleurs la semaine dernière à l'idée que son fils puisse retourner en détention.
"Ils ont toujours un espoir d'y échapper. Mais je ne les ai pas préservés : on sait que les peines prononcées peuvent être lourdes, c'est un gros risque", estime l'avocat Antoine Minier, concernant ses trois clients, Paul G., Saifeddine G., et Abdelali D. Dix ans de prison ont été requis à l'encontre des deux premiers et treize contre le troisième, qui a reconnu être allé deux fois à Mazan. Tous ont déjà effectué entre six mois et un an et demi de détention provisoire. "Ils sont sortis il y a deux ou trois ans, ils ont retrouvé un quotidien, leur compagne, leur travail… C'est très dur psychologiquement d'y retourner", souligne-t-il, ajoutant que beaucoup redoutent d'être la cible de violences physiques et verbales en prison, "le violeur étant très mal vu, tout en bas de la chaîne alimentaire".
"Certains pourraient péter un câble"
S'ils sont reconnus coupables des faits de viols aggravés pour lesquels ils sont poursuivis, les accusés pourraient être menottés directement à la barre, et emmenés un à un en détention, au fil de l'annonce des peines. Le centre pénitentiaire d'Avignon-Le Pontet, en surpopulation carcérale, " a déjà annoncé qu'il ne pourraient prendre personne", assure un avocat de la défense bien informé. Les accusés devraient donc être répartis "entre les Baumettes [à Marseille], le centre pénitentiaire d'Aix-Luynes, la maison d'arrêt de Nîmes, et celle de Villeneuve-lès-Maguelone", prévoit Patrick Gontard, qui représente un accusé.
Aussi préparés soient-ils, "certains [accusés] sont impulsifs, ils pourraient péter un câble", redoute un de ses confrères, qui préfère rester anonyme. "On s'attend à des incidents", ajoute-t-il. De l'avis de plusieurs avocats, tous ont accumulé "beaucoup de tension" avec la couverture médiatique du procès, et encore plus depuis les réquisitions, qui "les ont sonnés".
Afin d'éviter tout débordement, le tribunal assure qu'un "renforcement des effectifs des policiers" est prévu. Il s'agit aussi d'"assurer un filtrage à l'entrée extérieure". Par ailleurs,"les règles de l'administration pénitentiaire prévoient toujours trois gardiens par accusé incarcéré", précisent plusieurs avocats de la défense. Soit 150 agents potentiellement mobilisés pour prendre en charge les 18 accusés déjà détenus et les 32 autres, en cas de condamnation.
Difficile d'anticiper la durée de l'audience
Au moment d'énumérer les peines prononcées à l'encontre de chaque accusé, la cour criminelle devra motiver sa décision, c'est-à-dire, procéder à "l'énoncé des principaux éléments à charge" à l'encontre de chaque accusé, comme le prévoit le code de procédure pénale. Tous sont poursuivis pour viols aggravés (à l'exception de Joseph C., 69 ans, le seul à comparaître pour agression sexuelle commise en réunion).
Le président pourra décider de lire les motivations à l'audience ou de simplement déclarer qu'il les tient à disposition des avocats. S'il les lit une à une, le verdict pourrait durer toute la journée. Ou, hypothèse plus probable selon Patrick Gontard, "il pourrait ne lire qu'une seule motivation globale pour tous les accusés, centrée sur la notion d'absence de consentement de la victime". Si des acquittements sont prononcés, il faudra toutefois les motiver individuellement. La défense a plaidé en ce sens pour une trentaine d'accusés, considérant qu'ils n'étaient pas conscients de commettre des viols sur Gisèle Pelicot au moment des faits, et qu'ils étaient sous l'emprise de Dominique Pelicot.
Le ministère public, qui estime au contraire que "l'absence de consentement [de Gisèle Pelicot] ne pouvait pas être ignorée des accusés", a requis de dix à dix-huit ans de réclusion criminelle à leur encontre. Défilant tour à tour à la barre pendant deux semaines et demie, leurs conseils se sont insurgés contre des réquisitions "déraisonnables, incohérentes et surtout injustes", a lancé Louis-Alain Lemaire, qui représente quatre accusés. "Le tarif du viol à Avignon, ça va de sept à douze ans de réclusion, selon la gravité des faits", glisse un de ses confrères, qui espère que les juges s'aligneront sur ce quantum.
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.