Au procès des viols de Mazan, la défense plaide pour que les juges "osent s'affranchir des bien-pensants"
"Je suis la 26e à passer : vous êtes à deux tiers !" lance Carine Monzat avec un brin d'humour, face à la cour criminelle du Vaucluse, lundi 9 décembre. L'avocate fait partie des 37 robes noires qui se succèdent à la barre du côté de la défense, depuis fin novembre, au nom des 51 accusés de ce procès-fleuve. Béatrice Zavarro – auto-surnommée "l'avocate du diable" – avait ouvert le bal en plaidant le 27 novembre pour Dominique Pelicot, contre lequel vingt ans de réclusion ont été requis par le ministère public. Soit la peine maximale encourue par le principal accusé de 72 ans.
Dans la salle, les journalistes sont toujours présents, même s'ils sont moins nombreux qu'à l'accoutumée. Mais l'accalmie ne va pas durer : le tribunal d'Avignon se prépare à un retour massif des médias français et internationaux pour le verdict, prévu la semaine prochaine, au plus tard vendredi 20 décembre. Un moment qui s'annonce particulièrement tendu, redouté par la défense, pour qui ce procès est aussi celui de l'hypermédiatisation.
A tout le moins, d'"une certaine presse", accuse Carine Monzat. Au moment où la cour a acté la diffusion publique des vidéos, certains médias auraient "couru" en salle de retransmission pour recueillir les réactions des uns et des autres. "Après la 'Star Academy', c'est la cour criminelle academy !" lance-t-elle, suggérant de mettre des buzzers à disposition du public, pour demander qui est coupable et qui ne l'est pas.
"Tous présumés coupables"
D'un ton lasse, son confrère Philippe Kaboré se dit lui aussi "fatigué du retentissement médiatique et de l'agitation quotidienne dans la salle des pas perdus", fustigeant "une cour des miracles", parsemée de "nuées de journalistes", "de touristes judiciaires" et "de beaucoup de cris et d'insultes", à l'égard des accusés.
L'avocat dénonce également "des appels à la castration publique" de la part de certaines féministes qui ont manifesté activement tout au long du procès, et plus particulièrement, au moment des réquisitions, certaines réclamant que les parties génitales des accusés soient passées "au mixeur". Leur colère est pour lui d'autant plus incompréhensible qu'il estime que "la culture du viol" n'existe pas en France.
"Le fait de dire que les hommes ont tous en eux le germe d'un violeur potentiel porte bien évidemment atteinte à la présomption d'innocence."
Philippe Kaboré, avocatdevant la cour criminelle du Vaucluse
Gaëlle Mathys redoute quant à elle "un glissement vers la contractualisation des relations humaines". Comme nombre de ses confrères, elle s'érige contre une phrase de l'avocate générale Laure Chabaud, prononcée en conclusion de ses réquisitions. "Par votre verdict, vous nous guiderez dans l'éducation de nos fils", a déclaré la magistrate. La jeune avocate n'a pas envie que ses deux petits garçons viennent la voir dans quelques années pour lui demander "un contrat" stipulant explicitement "le consentement de leur copine pour un bisou".
Huit jours avant, son confrère Paul-Roger Gontard s'est opposé à l'introduction de la notion de consentement dans la loi, redoutant "une société où on ferait l’amour par [formulaire] Cerfa". Il regrette que ce procès soit celui "de deux genres, l’un contre l’autre", estimant que l'on "pointe du doigt les hommes avec un petit h, tous présumés coupables".
"C'est notre Roman Polanski"
Or, pour la défense, le coupable, c'est avant tout Dominique Pelicot, cette "bombe paraphilique", selon la formule employée de très nombreuses fois par Olivier Lantelme, lors de sa plaidoirie le 28 novembre, et reprise par d'autres depuis. A en croire la défense, les accusés ont été manipulés par "l'ogre de Mazan" et son "besoin de chair fraîche", selon les termes de Christophe Bruschi. D'après eux, les vidéos sont biaisées, car elles ne sont que le point de vue du septuagénaire, qui en est "le monteur, l'auteur". "C'est notre Roman Polanski, qui montre ce que l'on a envie qu'il voit", avance Stéphane Simonin.
Les accusés ne seraient que de simples acteurs, soumis à ses désirs obscènes, tous bernés par sa proposition d'un plan à trois, persuadés que Gisèle Pelicot faisait semblant de dormir, pour son bon plaisir. Pourtant, Dominique Pelicot a toujours affirmé avoir révélé l'état d'inconscience de son épouse dès le départ, à chacun de ses coaccusés : certains l'ont d'ailleurs reconnu en procédure et à l'audience.
Mais la défense s'oppose à l'idée d'un "réseau" autour du septuagénaire, comme l'a plaidé Béatrice Zavarro. Les avocats estiment qu'il a très bien pu donner les explications qu'il souhaitait, selon les profils des hommes rencontrés, lui que les experts ont qualifié de "menteur" et de "manipulateur".
"Qui a été un jour en capacité de mentir autant et d'emporter avec lui autant de personnes de catégories socioprofessionnelles distinctes ?"
Carine Monzat, avocatedevant la cour criminelle du Vaucluse
Réponse : "Myriam Badaoui", lâche l'avocate, comparant le septuagénaire à l'accusatrice mythomane du dossier Outreau, qui a fait plonger avec elle treize personnes, acquittées par la suite.
"Le QI d’un vibromasseur"
Face au corps inerte de la victime, à ses ronflements sonores, ces hommes auraient agi comme des "pantins", clame Gaëlle Mathys, estimant que l'éjaculation de son client – Joan K., le benjamin des accusés, âgé de 27 ans – "n'est pas forcément synonyme de plaisir". Ce dernier est venu deux fois à Mazan, en 2019 et 2020. Mais il n'aurait pas bien évalué la situation. "Est-ce que ça fait de lui un violeur ? Non. Est-ce que ça fait de lui un crétin ? Oui, très certainement", tranche son avocate.
Vincent C., 43 ans, lui aussi incarcéré pour s'être rendu à deux reprises au domicile des Pelicot, serait également "une personnalité faible, falote, suggestible, en retrait", énumère son conseil, Stéphane Simonin. Quelques jours avant, son confrère Jalil-Henri Amr n'a pas hésité à forcer le trait, affirmant que son client, Redouan A., diagnostiqué schizophrène, a "le QI d’un vibromasseur" et même "d’une endive, en promo chez Lidl".
Tout est bon pour minimiser la responsabilité de ces hommes, souvent qualifiés de "garçons" par leurs avocats, qui s'acheminent parfois dans des démonstrations alambiquées, voire franchement douteuses. Ainsi, Thierry Po., adepte du libertinage, n'aurait pas saisi que Gisèle Pelicot n'était pas consentante, d'autant que le corps de celle-ci "réagit aux stimulis", affirme Aurélien Knoepfli, qui représente l'accusé de 61 ans. "Quand il exerce une pression sur son sein, elle bouge", insiste-t-il, provoquant un murmure de désapprobation dans le rectangle de la partie civile.
Sa consoeur, Sylvie Menvielle, s'aventure sur le même terrain argumentaire et assure que les vidéos montrent "une volonté d'échange" entre la victime et son client, Husamettin D. Celui-ci est poursuivi pour des pénétrations digitales et péniennes du vagin et de la bouche de la victime. "Vous irez voir la vidéo 'sur le dos' : Madame Pelicot apparaît les jambes pliées sur le lit. Elle a un mouvement du bassin pour se positionner", assure-t-elle. D'un bon, à quelques petits mètres d'elle, Gisèle Pelicot se lève et quitte la salle d'audience, sans rien dire, mais visiblement exaspérée.
"Pelicotisation des peines"
La tension est particulièrement palpable ces derniers jours, après "le réquisitoire à la hache" du ministère public, tonne Stéphane Simonin, qui dénonce une "Pelicotisation des peines" vis-à-vis de 50 accusés mis dans le même sac, selon lui, que l'initiateur des viols de Mazan. Les peines requises par le parquet démarrent à dix ans de réclusion criminelle pour l'ensemble des accusés poursuivis pour viols aggravés (quatre ans ont été requis contre Joseph C., le seul jugé pour "atteinte sexuelle"). Elles s'échelonnent ensuite jusqu'à 18 ans de réclusion criminelle.
"Ce dossier a manifestement dépassé les membres de l'institution", analyse Margot Cecchi, avertissant la cour : "Il vous appartient de refuser de transformer cette enceinte en tribune d'une cause : celle des femmes, fut-elle légitime." "L'avocat général a fait du général", tance Aurélien Knoepfli, qui appelle les magistrats à "oser s'affranchir des bien-pensants". Lui plaide l'acquittement, convaincu que son client n'a pas commis de viol, puisqu'il n'avait pas "la perception de l'absence du consentement" de la victime.
Depuis le début des plaidoiries, les avocats de 40 des 51 accusés ont déjà pris la parole : 15 ont plaidé coupable, 23 ont demandé l'acquittement et deux ne se sont pas prononcés clairement, selon un décompte de l'AFP arrêté après l'audience de mardi.
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