"Je suis devenue l'avocate du diable" : au procès des viols de Mazan, Béatrice Zavarro plaide pour un "autre" Dominique Pelicot
"Bien malgré moi, depuis le 2 septembre, je suis devenue l'avocate du diable." C'est par ces mots que Béatrice Zavarro débute sa plaidoirie, mercredi 27 novembre, jour de l'anniversaire de son client, Dominique Pelicot, le principal accusé dans le procès des viols de Mazan. "Hasard du calendrier", glisse-t-elle, s'exprimant quelques heures après la fin des réquisitions fleuve du ministère public. L'avocate marseillaise semble toute petite dans la salle d'audience bondée. "Comme je l'ai souvent dit : c'est vous et moi contre le monde entier", expose cette femme de 55 ans s'adressant directement à l'homme aujourd'hui âgé de 72 ans.
"Ce lien que nous avons tissé a induit chez moi une grande solitude", souligne-t-elle, d'une voix calme et posée. Depuis douze semaines maintenant, Béatrice Zavarro est assise seule, près de son client, perché sur sa chaise dans son box vitré. L'avocate est "désertée de tous voisins, à l'exception de madame la greffière". A l'écart donc des dizaines d'avocats de la défense, qui représentent les 50 autres accusés. Des conseils qui ont tenté, tour à tour, de faire porter sur le septuagénaire la responsabilité principale des actes de tous ces hommes, venus au domicile du couple pour violer Gisèle Pelicot.
Mais cette ostracisation de prétoire ne l'a pas empêchée d'endosser sa mission, pour le moins périlleuse : défendre celui qui est accusé d'avoir drogué son ex-épouse de 2011 à 2020 jusqu'à l'inconscience. Et de l'avoir livrée à des dizaines d'inconnus, rencontrés sur internet.
"J'assume totalement, pleinement, la défense de Dominique Pelicot, parce qu'il m'a fait confiance."
Béatrice Zavarro, avocate de Dominique Pelicotdevant la cour criminelle du Vaucluse
Tout au long de sa plaidoirie d'1h15, elle tente d'humaniser celui qui est détesté de tous, en revenant d'abord sur son enfance, sous la coupe d'un père violent, qui a toujours marqué sa préférence pour Joël, le frère aîné de Dominique, "celui qui a fait des études, celui qui était médecin", venu témoigner lors de ce procès. "Dominique préférait sa mère, Juliette, soumise et dépendante", rapporte-t-elle, rappelant que l'accusé de 72 ans a assuré avoir été témoin de scènes de viols par son propre père et par d'autres hommes.
"Un pervers" qui n'a "pas de résilience"
A ce traumatisme, s'en ajoutent deux autres, qu'elle cite à la barre : le viol que Dominique Pelicot dit avoir subi par un infirmier en 1960 à l'âge de 8 ans et le viol en réunion d'une femme sur un chantier, auquel il aurait été forcé de participer quand il avait 14 ans. Elle observe qu'"il n'y a pas de résilience" chez son client, qui aurait pu prendre un autre chemin, mais qui est devenu "un pervers", selon les mots de l'accusé. Ce parcours aurait fait naître un "autre Dominique", pour qui elle plaide aujourd'hui. Reprenant la phrase tatouée sur le bras d'un des accusés – "Mon pire ennemi, c'est moi" – elle interroge :
"Est-ce que le pire ennemi de Dominique Pelicot n'est pas justement Dominique Pelicot ?"
Béatrice Zavarro, avocate de Dominique Pelicotdevant la cour criminelle du Vaucluse
Et de proposer à la cour de s'éloigner "quelque peu de ce que l'accusation a réclamé de plus fort", à savoir la peine maximale de vingt ans de réclusion criminelle, requise lundi par le ministère public.
L'avocate se penche ensuite sur son schéma criminel, illustré par ses connexions compulsives au site Coco.fr et par la petite annonce qu'il y aurait posté : "Je cherche complice pervers pour abuser de ma femme endormie." L'avocate s'arrête longuement sur la question de son mobile, encore assez mystérieux, Dominique Pelicot ne s'étant exprimé sur le sujet que lors de son ultime interrogatoire. Pour tenter d'y voir plus clair, Béatrice Zavarro s'aventure sur le terrain de la psychologie, après s'être entretenue avec une sexologue, qui lui a expliqué que son client a délégué à ses coaccusés "son pouvoir de virilité". Une virilité "décuplée" par la suite.
"Est-il responsable de chacun ? Non"
Les intéressés l'écoutent, depuis leurs bancs ou dans le box, sans broncher. "Il y a chez ces hommes un côté 'pas vu, pas pris', une façon folle, fantasmatique, d'accéder à la jouissance", déclare-t-elle, reprenant les propos d'un expert psychologue entendu au procès. L'avocate classifie les accusés, sans toutefois les nommer, dans différents groupes : "les impatients, qui se connectent le jour-même", "ceux qui se sentent vedettes" à travers les images tournées par Dominique Pelicot, "les archaïques" pour qui l'accord du mari est suffisant, "les astucieux" qui parlent de "viol involontaire", etc. En résumé, estime-t-elle, "le violeur commun est un bon Français, pas un psychopathe et pas un immigré". Elle reprend là les mots de Gisèle Halimi, également citée par la partie civile lors de sa plaidoirie.
Béatrice Zavarro cherche à montrer que les accusés sont venus de leur plein gré et qu'ils n'ont pas été manipulés par son client, comme beaucoup l'ont affirmé. "Etait-il violent ? Non. La porte était-elle fermée à clé ? Non. Est-il responsable de chacun ? Non", détaille-t-elle avec un débit rapide.
"Ne venez pas me dire qu'il exerçait un phénomène d'emprise à l'égard de ces hommes !"
Béatrice Zavarro, avocate de Dominique Pelicotdevant la cour criminelle du Vaucluse
Pour elle, Dominique Pelicot a même volontairement cherché à se faire arrêter, le 12 septembre 2020, lorsqu'un vigile l'a intercepté dans un supermarché de Carpentras. Elle s'appuie pour cela sur les procès-verbaux des policiers, dans lesquels ils écrivent que le septuagénaire, vêtu d'un short rouge, a été observé avec "son téléphone à bout de bras, qu'il glisse sous la jupe grise de sa victime". "Où est la discrétion ?" interroge-t-elle. Lors de ses multiples auditions, Dominique Pelicot a déclaré : "Je vous remercie de m'avoir retiré ce poids" et "il était temps que tout s'arrête", rapporte-t-elle.
Les avocats de la défense se sont par ailleurs demandés pourquoi il avait gardé chez lui son fameux disque dur, alors qu'il savait qu'une perquisition allait le viser après sa première interpellation de septembre. Cette pièce maîtresse du dossier renfermait toutes les vidéos qui ont entraîné la chute des accusés. Outre le fait qu'"un collectionneur ne se sépare jamais de sa collection", Dominique Pelicot ne l'a pas jeté car il souhaitait, selon l'avocate, que celui-ci soit retrouvé par les autorités, pour "mettre fin à son action criminelle". Une explication qui laisse certains accusés dubitatifs.
Pour l'avocate, difficile d'humaniser celui qui a été vu pendant des semaines sur des vidéos insoutenables. Outre les viols, l'accusé a imposé "une forme d'humiliation" à sa victime, comme l'a noté le président, en l'insultant et en l'habillant de dessous affriolants qu'elle avait en horreur. Il a en tout cas "le courage de ne pas être lâche", estime Béatrice Zavarro, en soulignant qu'il est là tous les jours et reconnaît l'ensemble des faits qui lui sont reprochés. S'adressant à sa famille, dont la seule représentante est Gisèle Pelicot, l'avocate conclut : "Gardez en tête ce premier Dominique. Celui qui vous a choyé, câliné, dorloté et, je pense, profondément aimé. Oubliez celui pour lequel j'ai plaidé." L'intéressée la regarde, assise, la tête haute. Dominique Pelicot, lui, fixe le sol.
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