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Carlton : d'anciennes prostituées racontent la vie dans les bars de Dodo la Saumure

"Jade" et "Laura" ont décrit à l’audience, jeudi, leur passage dans un des établissements du proxénète en Belgique.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
L'ancienne prostituée "Laura" à la barre du tribunal correctionnel de Lille (Nord) dans l'affaire dite du "Carlton", le 5 février 2015. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCETV INFO)

Leur récit n’est pas beau à entendre. "Jade" et "Laura", mouchoir en main et larmes dans la voix, ont levé le voile sur les conditions de vie des prostituées dans les bars de Dodo la Saumure en Belgique. Elles ont décrit à l’audience du procès du Carlton, jeudi 5 février, leur passage, plus ou moins long, dans l’un des établissements du proxénète.

Les deux femmes, mères de famille et en grande précarité, poussent la porte du club Madame, à Renaix, pour des raisons financières. Il est alors tenu par une certaine "Sofia", qui mène, semble-t-il, son petit monde à la baguette. "Les filles avaient peur de la responsable, qui n’était pas très gentille avec elles", raconte "Laura", qui a vite décampé.

Un baby-phone pour entendre la sonnette du client

Dans ce bar, comme dans les autres, le nombre de prostituées varie chaque jour. "Il y a des moments on pouvait être trois ou quatre, et d’autres douze ou quinze", raconte "Jade", qui affirme avoir commencé à travailler dans ce club début 2007, après avoir répondu à une petite annonce. L'exiguïté du "dortoir" (six lits, selon Dodo) mis à disposition des filles pour se reposer lui fait préférer la "cave", qu’elle aménage en "salle de couchage". Dodo la Saumure et sa compagne Béatrice Legrain nient l’existence d’une quelconque cave dans ce club.

"Jade", elle, se souvient très bien du "baby-phone" qu’elle utilisait pour entendre depuis cette "cave" le bruit de la sonnette quand un client entrait. Elle montait et se "présentait comme de la viande exposée", à côté de plusieurs filles, d’origines et de physiques différents : "Des Noires, des Asiatiques, des grosses, des maigres". "Il fallait une certaine variété pour que le client qui arrive fasse son marché."

Un statut d'indépendante pour certaines

"On est assises derrière un rideau, on est en peignoir et on attend le client, comme une chose, un objet et une marchandise. Comme une femme qu’on dénigre, qu’on vend, qu’on loue", confirme "Laura". Le jour de son essai, elle se fait toute petite pour ne pas être choisie. Mais elle finit par monter avec un homme dans une chambre. "Je ne vais pas vous expliquer les détails, c’est pas le lieu, pour mon intégrité et mes enfants", fulmine-t-elle à l’audience. Une fois redescendue, elle lance à Dodo : "Je veux pas rester là." Pendant trois mois, elle pratique des "massages naturistes" sur un autre site et arrête, car elle tombe enceinte.

Pour "Jade", l’expérience a duré plus longtemps, jusqu’en 2009. Dès "août 2007", afin d’être "en règle" et de ne pas travailler au noir tout en percevant le chômage, elle prend le statut d’indépendante, en se déclarant aux autorités. "Toutes mes filles sont indépendantes", se félicite Dodo la Saumure. "Je n'ai rencontré aucune fille avec ce statut en deux ans", corrige "Jade" à l’audience.

Le club ouvert 24 h/24, 7 jours sur 7

Par "indépendantes", Dodo la Saumure entend "sous contrat". Il fait signer un "contrat d’adhésion" à chaque nouvelle arrivante, "traduit" pour les étrangères, quand elle est là, par sa concubine Béa, qui parle "cinq langues". Ce document, "déchiré" et "re-signé" toutes les semaines "en cas de contrôle", selon "Jade", stipule que la prostituée perçoit un pourcentage de 40% sur les boissons consommées par le client et 50% sur la prestation sexuelle tarifée, en échange de la location de la chambre. Si elle n’a pas d’appartement où loger, elle peut rester la nuit au club, moyennant 5 euros de ménage. 

Le rythme, selon "Jade", est intense. "La particularité du club Madame, c'est qu'il est ouvert 24 h/24, 7 jours sur 7", explique-t-elle. "Je dormais dans ma salle de couchage en tenue, au cas où. Et pas question de ne pas se présenter quand on était dans la maison." "Combien aviez-vous de relations par jour ?" l’interroge le président du tribunal. "Il y a un moment où on préfère ne pas compter. C'était très variable. Plus il y avait de filles, moins on était choisies", argumente-t-elle, derrière ses lunettes.

"Le Carlton, une récréation par rapport à ça"

Malgré cette activité soutenue, ses revenus ne sont pas si élevés. Sans les chiffrer, "Jade" indique qu’ils lui permettaient de ne manquer de rien pour ses enfants. Réfutant la somme de 3 000 euros avancée par Dodo la Saumure, elle résume : "Si j'avais gagné assez d'argent, j'aurais eu un chez-moi. J'ai pas fait le tour du monde, je ne me suis pas acheté de maison et je ne roule pas en Rolls."

Pour tenir le coup et faire consommer le client, les filles boivent, en général, beaucoup. "Dans d'autres bars, on met du Champomy, mais pas dans celui-là", relate "Jade", qui allait parfois renforcer les effectifs d’autres établissements. "Un jour, j'ai bu beaucoup de bouteilles. Je vomissais du sang. J'ai prévenu la responsable que je n'en pouvais plus, sanglote-t-elle. Elle m'a dit que je devais y retourner sinon elle ne compterait aucune des bouteilles." "Alors oui, conclut-elle, aller dans l’appartement du Carlton, c'était une récréation par rapport à ça."

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