Les déjeuners "champagne, pain garni et rapport sexuel" du groupe du Carlton
Les rendez-vous de René Kojfer, Hervé Franchois et Francis Henrion avec des prostituées dans l'appartement du Carlton ont été au centre de cette deuxième journée d’audience.
Il a fini l’audience assis devant le pupitre, visiblement éprouvé. René Kojfer, au centre de cette deuxième journée du procès du Carlton, mardi 3 février, a dû être pris en charge par les pompiers en fin d’après-midi, écourtant les débats. L’ancien directeur des relations publiques de l’hôtel lillois, âgé de 74 ans, est au cœur de cette affaire de proxénétisme aggravé car il est en lien avec quasiment tous les protagonistes.
Cet ancien commercial est soupçonné d’avoir mis en relation des prostituées avec plusieurs des quatorze prévenus, dont Hervé Franchois, propriétaire du Carlton, et Francis Henrion, ancien directeur de l’établissement, également présents à l’audience ce mardi.
Le tribunal correctionnel de Lille commence par se pencher sur le "volet" hôtelier de l’affaire, moins médiatique que celui où apparaît le nom de DSK – l’ex-patron du FMI n’a jamais mis les pieds au Carlton – mais tout aussi révélateur d’un système visant à faciliter des rencontres tarifées et à en profiter au passage.
Des "déjeuners" "égayés" par la présence d’escort-girls
Outre les expéditions en Belgique, dans les bars à hôtesses de Dodo la Saumure, et les passes que René Kojfer reconnaît avoir organisées à l’hôtel Carlton et à l’hôtel des Tours à Lille, le tribunal s’est attardé sur des "déjeuners" "égayés" par la présence d’escort-girls dans un appartement dépendant de l’hôtel Carlton, rue Faidherbe à Lille.
L’identité de son propriétaire n’est pas très claire. Hervé Franchois a estimé à l’audience qu’il le considérait comme le sien. Toujours est-il que les lieux ont fait office de lupanar à plusieurs reprises. "Deux fois", selon les trois prévenus entendus mardi. "Trois ou quatre", selon "Jade", ancienne prostituée, partie civile dans le dossier. "On avait payé pour trois personnes pour que notre repas soit un petit peu égayé", a maladroitement expliqué Hervé Franchois, aujourd’hui âgé de 75 ans et souffrant de problèmes de santé. "J’avais dit à monsieur Kojfer que ce serait bien s’il pouvait venir accompagné de trois jeunes femmes. Je n’ai pas précisé prostituées", corrige-t-il, embarrassé. Selon lui, seuls René Kojfer et Francis Henrion étaient présents à ces "déjeuners". Information corroborée par Jade.
"Dès qu'il y avait une sortie possible, je disais 'oui'"
Cette mère de famille, qui a livré un témoignage bouleversant à la barre, raconte que "René" lui a proposé ces "sorties" dans l’appartement du Carlton alors qu’elle travaillait dans un club de Dominique Alderweireld, dit Dodo la Saumure, de l’autre côté de la frontière.
Dès qu’il y avait une sortie possible, je disais "oui". Ça nous faisait une garantie d’avoir un peu d’argent car dans les clubs, il y a plusieurs filles, on ne sait jamais si on sera choisie et donc payée.
Au menu, "champagne, pain garni et rapport sexuel". Avec "chacun son partenaire", selon Jade. "C’était toujours Monsieur Franchois qui faisait son choix d’abord, il fallait qu’il soit aux petits oignons", glisse-t-elle, sous le regard gêné des prévenus. En moyenne, les "prestations sexuelles" étaient réglées 200 euros, précise l’ex-prostituée. Sauf une fois où René Kojfer "nous a donné 120 euros en disant 'les temps sont durs'". En compensation, les "filles" ont eu droit à un peignoir – non siglé du Carlton. Cadeau qui a fait débat à l’audience.
"Un beau peignoir, ça vaut 70-80 euros", a osé Hubert Delarue, l’avocat de René Kojfer. "Est-ce que vous apprécieriez qu’on vous donne une robe de chambre à la place de votre argent ?" s’est indigné l’avocat de l’association du Nid, qui vient en aide aux prostituées.
La définition du proxénétisme en question
"Ce n’était pas mon argent", a plaidé en substance René Kojfer, indiquant qu’il s’agissait de celui d’Hervé Franchois. Ce dernier a confirmé. Le président du tribunal a sauté sur l’occasion en interrogeant Kojfer :
"Vous avez admis avoir rémunéré les filles avec l’argent de quelqu’un d’autre ?
- Oui.
- Le fait de payer une fille qu’on a présentée à quelqu’un pour avoir des relations sexuelles, ça s’appelle comment ?
- Entremetteur, je ne sais pas.
- Vous aviez apporté votre propre réponse aux policiers [lors de son audition].
- Ah oui, un proxénète."
"Pour ce qui est du problème du paiement, je confirme que j’ai payé les dames qui étaient là", a reconnu pour sa part le propriétaire du Carlton. Avant de préciser au président du tribunal :
"J’ai donné 500 euros, elles se sont débrouillées après. Je paie le déplacement de tout le monde à une seule personne.
- Vous considérez ça comme des frais de déplacement ?
- Oui, en quelque sorte.
- Si une personne paie une prestation pour quelqu’un d’autre, est-ce qu’elle ne sert pas d’intermédiaire et est-ce qu’elle ne rentre pas sous le coup de la loi ? Vous payez pour d’autres et vous n’êtes plus seulement client."
Dans la loi, le proxénétisme est "le fait par quiconque, de quelque manière que ce soit, d’aider, d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui". Il est aggravé, comme dans le cas présent, lorsque "les faits sont commis par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteurs ou de complices".
"C’était classe, pas de la grosse boucherie"
A l’issue de ces rencontres, Jade ramenait tout le monde. "Je m’y suis rendue en voiture car je sais que beaucoup de filles boivent. Moi, je buvais une coupe et je passais à l’eau", explique-t-elle. A propos de ces "déjeuners", Jade n’est pas si amère. "C'était classe. C'était pas de la grosse boucherie. Ces gens étaient courtois. C'était une ambiance où on ne sentait pas diminuées. On avait quand même un cadre plus agréable que dans une chambre où l'on fait des passes." Elle n’en a pas dit de même dans ses dépositions concernant certaines parties fines en Belgique, à Paris ou Washington, notamment en compagnie de DSK.
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