Non-lieu pour DSK contre renvoi en correctionnelle : qui a raison dans l'affaire du Carlton ?
L'avis du parquet et celui des juges d'instruction divergent. Francetv info a interrogé deux avocats pour comprendre cette différence d'appréciation.
Difficile de s’y retrouver dans l’affaire dite du Carlton de Lille, dans laquelle Dominique Strauss-Kahn est accusé de "proxénétisme aggravé en réunion". Dans un premier temps, le parquet décide, le 11 juin, de requérir un non-lieu contre l’ancien patron du FMI, estimant que son comportement sexuel "ne relève pas du droit mais de la morale".
Un mois et demi plus tard, retournement de situation : les juges d’instruction chargés d’enquêter décident de renvoyer DSK en correctionnelle, sans que le parquet ne s’y oppose. Dans leur ordonnance, dont des extraits ont été publiés dans la presse mercredi 7 août, les magistrats instructeurs jugent que les soirées auxquelles l’ancien ministre a participé ne relevaient pas du libertinage, mais "d'abattage" et de "commandes de prestations". Ces deux interprétations divergentes sont d'autant plus étonnantes que les juges d'instruction et le parquet ont accès au même dossier, qui contient tous les éléments de l'enquête.
Pour mieux comprendre cette opposition entre le parquet et les juges d’instruction, francetv info a interrogé deux avocats inscrits au barreau de Paris. D’un côté, Avi Bitton, qui porte un regard sévère sur le renvoi de DSK devant les tribunaux. De l’autre, Bertrand Perier, dont l’opinion est différente.
On a du mal à comprendre que le parquet ait pu requérir un non-lieu dans un premier temps. Comment peut-on l'expliquer ?
Avi Bitton : Pour moi, la question se pose autrement. On a du mal à comprendre le renvoi en correctionnelle de Dominique Strauss-Kahn lorsque l'on lit la réquisition de non-lieu formulée par le parquet [le 11 juin]. Ces réquisitions étaient argumentées d'un point de vue juridique : on y retrouvait les arguments des différentes parties, les preuves matérielles... Tout cela faisait preuve d'un raisonnement solide.
La lecture des extraits de l'ordonnance des juges d'instruction publiés dans la presse me donne un sentiment très différent. On y retrouve un mélange de points de droit et d'éléments qui relèvent du jugement moral.
Le fait que DSK ait utilisé l'appartement dont il était locataire pour l'organisation de ces soirées, même si cela est contesté, se tient juridiquement. Mais dans le même temps, les juges d'instruction citent une jeune femme qui évoque un "carnage avec des tas de matelas au sol". En quoi est-ce un élément constitutif du proxénétisme ? C'est un jugement moral qui me donne l'impression que cette ordonnance a davantage été rédigée pour les yeux de l'opinion et des médias que pour ceux d'un tribunal composé de magistrats.
Bertrand Périer : Il faut garder à l'esprit que nous ne disposons là que de l'argumentation des juges d'instruction. Les choses seraient sans doute différentes si nous disposions du son de cloche du procureur.
La vision des juges d'instruction peut très bien ne pas être exhaustive. Leur ordonnance est assez accablante, mais ils ne l'auraient pas rédigé ainsi sans qu'il existe des charges suffisamment fortes à l'encontre de DSK.
Pourquoi le parquet n'a-t-il pas fait appel de cette ordonnance comme il en avait la possibilité ?
Avi Bitton : C'est effectivement une incohérence. Si le parquet requiert un non-lieu, il devrait en toute logique aller au bout de sa démarche et faire appel pour soutenir sa position devant la chambre de l'instruction.
Bertrant Périer : Il y a effectivement eu une divergence entre le parquet et les juges d'instruction. A mon avis, le parquet a considéré qu'en l'état, il valait mieux que le débat ait lieu durant une audience que devant la chambre de l'instruction, comme cela aurait été le cas s'il avait fait appel de l'ordonnance.
Quelle attitude peut-on attendre du parquet lors du procès ?
Avi Bitton : Alors qu'il avait dans un premier temps requis le non-lieu, le parquet représentera cette fois l'accusation. Il peut donc, à l'issue des débats, soit prendre les mêmes réquisitions concluant à l'absence d'infraction, soit prendre de nouvelles réquisitions pour conclure à la condamnation.
En tout état de cause, il existe un adage le décrivant qui veut que "la plume est serve, mais la parole est libre". Donc, au moment de faire sa réquisition à l'oral, il pourra faire des observations qui se détacheront des réquisitions écrites quelles qu'elles soient.
Bertrant Périer : Sa parole sera libre. S'il considère que des éléments permettent de requérir une peine, il pourra choisir de revenir sur sa demande de non-lieu. Mais cela me semble très peu probable : il devrait rester sur la même ligne et requérir la relaxe.
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