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Procès du Carlton : Emmanuel Riglaire, l'avocat du mauvais côté de la barre

Le ténor du barreau lillois comparait devant le tribunal correctionnel de Lille, pour proxénétisme aggravé. 

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 10min
L'avocat Emmanuel Riglaire lors de sa comparution devant le trbunal correctionnel de Lille dans le cadre du procès de l'affaire dite du Carlton, le 6 février 2015. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCETV INFO)

Des notables, l’affaire du Carlton en compte plusieurs - son personnage le plus médiatique a même failli devenir président de la République. Mais quand l'un d'eux est issu du monde de la justice, et se retrouve du mauvais côté de la barre, l’embarras est manifeste. Dans ce dossier au casting hétéroclite (le policier, l’entrepreneur, le proxénète…), Emmanuel Riglaire est l’avocat. Et pas n’importe lequel. "Il était l’un des avocats les plus en vue de la région", écrit La Voix du Nord.

Alors quand il s’avance au pupitre, col roulé et veste noirs, vendredi 6 février, et qu’il se retrouve face au charismatique président du tribunal, Bernard Lemaire, le moment est troublant. Troublant parce qu’Emmanuel Riglaire est mieux armé que n’importe quel prévenu pour se défendre. Troublant aussi parce que cette position semble particulièrement humiliante. Est-ce pour cela qu’il fond rapidement en larmes ? Ou parce qu’il maîtrise trop bien les ressorts de l’émotion dans une audience ?  

La Jaguar ? "C’était mon bonheur. Surtout de là où je viens"

Les premiers sanglots sont provoqués par l’évocation de sa Jaguar. "C’était mon bonheur. Surtout de là où je viens. Et ce n’est pas une infraction", plaide-t-il, la voix étranglée. Comme le prévenu Francis Henrion, le bagagiste devenu directeur de deux hôtels de luxe, dont le Carlton, Emmanuel Riglaire, 46 ans, est l’incarnation de la success story, de l’ascenseur social qui a fonctionné. Les deux hommes sont d’ailleurs très proches. "Nous avions habillé l’enfant de Francis Henrion au moment de l’enterrer", lâche l’avocat. Interrogé par le tribunal sur ce point, l’ex-gérant du Carlton a en effet indiqué à l‘audience avoir perdu son enfant de 13 ans d’un cancer en 2010.

"Vous avez connu des drames familiaux ?", lui demande à son tour Bernard Lemaire. Le grand déballage qui suit serre le coeur autant qu'il met mal à l’aise. "J’ai enterré petit mon père, mon frère et j’ai enterré mon premier enfant." Son deuxième enfant, aujourd’hui âgé de 23 ans, "a souffert d’un cancer du sang pendant de nombreuses années. Il n’a pas de système pileux, pas de poils, pas de cheveux. Il a traversé malgré tout la vie, obtenu un excellent diplôme et… il a un père proxénète", ironise-t-il à moitié. Son épouse actuelle, notaire, a arrêté de travailler. "Hors de question de rester dans cette profession réglementée avec la publicité qu’on me faisait." "Elle prend des anti-dépresseurs le matin et des somnifères le soir", poursuit-il, toujours secoué par les sanglots.

"Il n’y a que des personnes abîmées dans cette salle"

Depuis le début du procès, les larmes et les mouchoirs sont du côté des parties civiles, d’anciennes prostituées aux vies brisées. Emmanuel Riglaire a visiblement décidé de déplacer le curseur de l’émotion vers les bancs des prévenus. Connu pour être à l’aise dans ce registre, il y met toute sa verve et son habitude des prétoires. "Il n’y a que des personnes abîmées dans cette salle", déclame-t-il, citant l’enfant René Kojfer, placé en Suisse pendant les persécutions nazies. "Personne de ce côté n’est né avec une cuillère en argent dans la bouche. J’entends la partie civile mais qu’elles prennent conscience des dégâts collatéraux", martèle-t-il.

Il poursuit, inarrêtable : le "vomi" de M., l’ex-prostituée à l’origine de son renvoi devant la justice pour proxénétisme aggravé, lui a fait perdre "la moitié du chiffre d'affaires et du personnel de son cabinet d'avocats". Lui, qui était de "tous les plus beaux dossiers (judiciaires) français" (AZF, l’affaire du petit Enis, de la joggeuse Natacha Mougel ou de la disparition de la petite Typhaine…) et défendait autant de "policiers" que de "voyous". "Le frigo vide ça n’a pas été que d’un côté de la barre", répond-il à "Jade", une autre ancienne prostituée du dossier, qui a employé cette expression mardi.

Un "amant", un "client"…

"Oui j’ai beaucoup vomi, vomi de dégoût par ce que j’ai pu lire dans la presse. Au départ, j’ai caché beaucoup de choses pour ne pas lui nuire. Mais là je dis la vérité." M. refait basculer la charge lacrymale du côté de la partie civile. Carré noir plongeant et joli visage anguleux, la jeune femme "prend aussi un lourd traitement" depuis l’éclatement de l’affaire en 2011. Son mouchoir en papier serré dans ses mains, se cachant régulièrement le visage pour pleurer, elle rend coup pour coup. Peu à peu, les larmes sèchent des deux côtés. Restent la haine et la rancœur.

Mais sur le fond de l’affaire, Emmanuel Riglaire semble gagner quelques points. Depuis le début de l’instruction, celle dont il a été à la fois "l’amant" et "le client", l’accuse de lui avoir proposé d’effacer les honoraires qu’elle lui devait pour une affaire de séparation et de pension alimentaire en échange de relations sexuelles. Une accusation qui pourrait valoir à l’avocat une radiation par le Conseil de l'ordre. Mais à l’audience, elle a reconnu lui avoir versé un premier acompte de 400 euros. "M. vous a-t-elle versé le solde ?", demande le président du tribunal au prévenu. "Non je ne pense pas, sinon cela aurait été versé au dossier. Mais 400 euros, c’est déjà beaucoup pour ce type d’affaire", ajoute-t-il, rappelant avoir "des impayés" dans de nombreux dossiers. 

… et un proxénète ?

Cette mère de deux enfants au lourd passé reproche également à celui pour lequel elle avait des "sentiments" et de l’admiration de l’avoir fait replonger dans la prostitution. Comment ? En lui présentant en 2006 René Kojfer, ex-chargé des relations publiques du Carlton, connu à Lille pour mettre des prostituées en relation avec des clients. Puis, en 2010, David Roquet, patron d'une filiale d'Eiffage dans le Nord, poursuivi pour avoir co-organisé les parties fines autour de DSK. M. fait ainsi partie des filles qui ont participé à l’escapade à l'hôtel Murano à Paris. Elle affirme avoir subi un rapport brutal avec DSK.

Sur le premier point, Emmanuel Riglaire, qui dément fermement les accusations de proxénétisme, maintient sa version. Il assure lui avoir présenté René Kojfer afin qu’il l’aide, grâce à son carnet d’adresses bien rempli, à trouver un appartement. M. signale pourtant qu’elle venait de louer le sien et que le but de la rencontre était bien de la mettre en relation avec des clients. Sur le second point, qui devrait être abordé à l’audience de lundi, l’avocat a jusqu’à présent toujours affirmé qu’il pensait adresser M. à David Roquet pour de l’escorting se limitant à un accompagnement et non à des relations sexuelles tarifées.

Un ténor du barreau qui assure sa propre plaidoirie

Les échanges à l’audience sont particulièrement tendus. Si la jeune femme est décrite par l'expert-psy comme une personne d'"intelligence supérieure à la moyenne", ne présentant "aucune tendance à la mythomanie" et auteure de "propos précis, circonstanciés et modérés dans leur expression émotionnelle", son audition est chahutée par les avocats de la défense - trois pour maître Riglaire. De quoi s’enferrer dans des contradictions et lui faire perdre son sang froid. "C’est vous le menteur, c’est vous le menteur, c’est vous le menteur !", hurle-t-elle à René Kojfer, qui se met soudainement à nier l’avoir rencontrée par l’intermédiaire d’Emmanuel Riglaire. Refusant de répondre à certaines questions, certains éléments de sa déposition apparaissent fragiles.

Reprenant la parole pour exposer sa vision de l’affaire, le ténor du barreau s’est lancé dans ce qui ressemblait fort à une plaidoirie. M. "est une femme qui a compté, intelligente, avec beaucoup de qualités ", commence-t-il. Avant de poursuivre : "J’ai découvert des aspects de personnalité que je ne connaissais pas." Puis, philosophe : "Toutes les nuits je regarde le ciel en espérant trouver la lumière." Et de dériver vers l’instrumentalisation de cette affaire, dont il se dit victime, comme d’autres : "Je pense qu’il n’y a pas eu de compot politique contre un homme politique au départ. Mais une fois que le nom de DSK sort, tout ce qui compte, c'est qu'il soit mouillé. Tout est manipulé. Nous sommes instrumentalisés." Et dans ce grand déballage, tout le monde ne joue pas à armes égales.

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