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"Qui faut-il croire ?" : à l'audience, le repentir d'Abdelkader Merah peine à convaincre les parties civiles

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Abdelkader Merah et Fettah Malki devant la cour d'assises spéciales de Paris, le 3 octobre 2017. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE INFO)

Le frère de l'auteur des attentats de Montauban et Toulouse est jugé depuis lundi pour complicité d'assassinats. Son personnage à l'audience contraste, à première vue, avec celui décrit dans le dossier. 

Nous sommes le 11 septembre 2001 dans le quartier des Izards, à Toulouse. Les deux tours du World Trade Center viennent de s'effondrer et certains jeunes du quartier célèbrent l'événement. Abdelkader Merah, alors âgé de 19 ans, en fait partie. "J'avais crié : 'Vive Ben Laden'", raconte-t-il, mardi 3 octobre, devant la cour d'assises spéciale de Paris. Du haut de ses 35 ans, le frère de Mohamed Merah, jugé depuis lundi pour "complicité d'assassinats" dans les attentats de Toulouse et Montauban, le jure : il n'a plus rien à voir avec ce jeune délinquant, surnommé "le grand Ben Ben", en allusion au défunt chef d'Al-Qaïda. Ni avec l'homme décrit dans la procédure depuis son arrestation en 2012. 

Cinq ans de détention, dont quatre ans et demi à l'isolement, se sont écoulés depuis. D'une voix posée et avec un ton mesuré, l'accusé répond point par point aux éléments du dossier exhumés par le président et les parties pour dessiner les contours de sa personnalité. "Est-il fier aujourd'hui de son surnom de l'époque ?" "Personnellement, ce n'est pas pour moi un exemple à suivre", répond-il du bout des lèvres. Mais les débats viennent parfois troubler le reflet de ce nouvel Abdelkader Merah. Comme cet "échange" avec Simon Cohen, avocat de plusieurs parties civiles de l'école Ozar Hatorah : "2 977 morts, ça vous a réjoui ?", attaque l'avocat. Long silence dans le box. "Eh bien voilà, la réponse est faite."

Des victimes invisibles

Ce moment d'audience aura peut-être davantage marqué la cour que la justification formulée plus tard par l'intéressé : "J'étais jeune, je ne voyais pas les victimes derrière, juste l'explosion, j'étais inconscient." L'impression est la même lorsqu'il explique pourquoi il n'a pas condamné les attentats perpétrés par son frère : "J'étais dans ma bulle, déconnecté. Je ne connaissais pas les victimes, je ne pensais qu'à mon petit frère", tué lors d'un assaut des forces de l'ordre le 22 mars 2012. "Et aujourd'hui ?", l'interroge un autre avocat de la partie civile, regrettant qu'il n'ait "pas une molécule de pensée pour les victimes".

Mon frère, je l'aimerai toujours, jusqu'à ma mort, mais bien sûr que je condamne ses actes.

Abdelkader Merah

devant la cour d'assises spéciale de Paris

En écho à cette condamnation tardive, son avocat Eric Dupond-Moretti cite Albert Camus, pour faire entendre à la cour pourquoi Abdelkader Merah a eu tant de difficultés à "déshonorer" et "cracher" sur son frère : "Entre la justice et ma mère, je choisirais ma mère."

Pendant toute cette deuxième journée d'audience, l'accusé a navigué entre deux eaux et deux visages. Après avoir opposé à plusieurs reprises la "culture occidentale" du président à la sienne, algérienne et musulmane, à coups de "chez nous", Abdelkader Merah offre un tout autre discours dans l'après-midi : "Toutes les cultures européennes et occidentales, elles sont dans mon sang, je suis né ici. Je suis occidental." Questionné, il consent être "fier d'être français", mais affirme ne se soumettre aux lois de la République que "lorsqu'elles sont bonnes". 

La religion, le sujet interdit

Vêtu de la même chemise immaculée que la veille, l'homme aux traits fins et à la barbe noire fournie corrige également les déclarations de son double qui figurent dans le dossier. Accusé de prosélytisme par des codétenus, Abdelkader Merah répond : "J’ai regardé la définition du prosélytisme dans le dictionnaire. C'est imposer ses idées, l’islam ne s’impose pas." Selon l'administration pénitentiaire, Abdelkader Merah avait pourtant lancé après une altercation en détention : "Vous ne casserez pas ma foi, la loi islamique, on l'imposera chez vous." "Qui faut-il croire ? Cet Abdelkader-là ou celui qui déclare aujourd'hui que l'islam ne s'impose pas ?", demande en substance Me Olivier Morice, qui représente la famille de Mohamed Legouad, l'un des trois militaires assassinés par Mohamed Merah. "Il y a une part de vérité et de mensonge dans cette phrase, il faut la replacer dans le contexte", rétorque son interlocuteur.

Toutes les questions tournent autour d'un sujet interdit : la religion. Le calendrier du procès est ainsi fait : l'engagement religieux d'Abdelkader Merah sera abordé distinctement de sa personnalité, le 13 octobre. En cause, selon le président, un problème de temps, les deux sujets ne pouvant être traités en un seul jour. Le rapport à l'islam radical est un enjeu central puisque l'accusation estime qu'Abdelkader Merah a joué un rôle de mentor auprès de son petit frère dans la commission de ses actes. Me Philippe Soussi, pour la partie civile, pointe une contradiction dans cette organisation : "Vous définissez vous-même votre personnalité par rapport à la religion." "Bien sûr, je me définis comme musulman", acquiesce l'accusé dans le box, désignant sa barbe.  

Mohamed Merah, "petit Ben Ben"

Dans un numéro d'équilibriste, la cour a donc revisité la vie d'Abdelkader Merah sans parler de ce volet fondamental. Son enfance qu'il qualifie de "parfaite" puis de "chaotique" après le divorce de ses parents en 1993, une "déchirure". Ses relations conflictuelles et violentes avec ses quatre frères et sœurs. Son placement en foyer en 1995 et les nombreux rapports d'éducateurs qui décrivent "une hyperactivité inquiétante", un "comportement asocial", une "intolérance aux limites et à l'autorité". Sa mère "parfaite" et idéalisée, qu'il frappe le week-end lorsqu'il est alcoolisé. Ses cinq condamnations, notamment pour des violences sur ses frères. Puis sa rencontre, en 2006, avec sa compagne d'aujourd'hui, qui coïncide avec sa "conversion" à l'islam.

Pas question d'aller plus loin et de parler de son mariage religieux par téléphone, de ses quatre voyages en Egypte pour apprendre l'arabe littéraire, de son installation à la campagne à son retour pour fuir les "péchés et les turpitudes de la ville", de ses relations avec des figures de la filière Artigat, "Sabri Essid, monsieur Clain", ses "frères de religion", du mariage religieux qu'il organise pour sa mère avant de se fâcher avec elle pour n'avoir pas été invité, de la musique qu'il considère comme "un appel à la perversité". Sa relation avec le "petit Ben Ben", Mohamed Merah, est également effleurée. C'est en lisant un verset du Coran sur l'importance des "liens du sang" qu'Abdelkader Merah dit avoir voulu reprendre contact avec son petit frère, avec lequel il était brouillé. Après s'être éloignés puis réconciliés en 2006 et 2009, les deux hommes se sont retrouvés quelques semaines avant les attentats. Le rôle présumé d'Abdelkader Merah dans ce laps de temps sera au cœur des débats, prévus pour durer cinq semaines. 

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