Affaire Théo Luhaka : au premier jour de son procès, le policier auteur du coup de matraque exprime sa "profonde compassion"

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Marc-Antoine C., Jérémie D. et Tony H. face à la cour d'assises de Seine-Saint-Denis, le 9 janvier 2024. (BENOIT PEYRUCQ / AFP)
Trois policiers sont jugés à la cour d'assises de Seine-Saint-Denis, sept ans après l'interpellation violente de Théo Luhaka, un jeune homme noir qui a gardé des séquelles irréversibles.

"Je suis vraiment très compatissant." Debout, à la barre, Marc-Antoine C. se tourne vers sa gauche lorsqu'il prononce cette phrase. Il s'adresse à Théo Luhaka, grièvement blessé au rectum lors de son interpellation en 2017 à Aulnay-sous-Bois, assis sur le banc des parties civiles, le dos voûté, en doudoune bleue. Auteur du coup avec sa matraque télescopique, ce policier de 34 ans est renvoyé devant les assises de Seine-Saint-Denis, à partir du mardi 9 janvier, pour "violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou infirmité permanente". "Bien sûr, la blessure est désolante. J'en ai conscience", reconnaît le fonctionnaire. "C'est une blessure grave, et si vous le permettez, Madame la présidente, je souhaiterais renouveler... ma profonde compassion", ajoute-t-il en cherchant ses mots.

"Je suis intervenu pour dégager mon collègue dans le cadre d'une interpellation très difficile. L'individu se rebellait, nous ne sommes jamais parvenus à le maîtriser. J'ai utilisé un coup enseigné en école, à l'origine de ces blessures", développe le principal mis en cause, visage fin et cheveux dégarnis, chaussé de lunettes et vêtu d'une veste noire. Le policier considère que "ce coup est légitime". "Je voulais vraiment défendre mon collègue. On était dans une situation rarissime. Il ne se relevait pas", insiste-t-il.

"Se reconstruire après ça, c'est très compliqué"

Face à ces déclarations, Théo Luhaka baisse les yeux, les mains jointes. Très anxieux, le jeune homme noir, qui fête ses 29 ans aujourd'hui et a gardé des séquelles irréversibles, n'a fait aucune déclaration aux médias à l'ouverture du procès. A ses côtés, ses frères, ses sœurs et ses parents, également constitués partie civile, sont venus le soutenir.

Derrière lui, se trouve le président de SOS Racisme, Dominique Sopo. La mère de Nahel, cet adolescent de 17 ans tué par des policiers à Nanterre (Hauts-de-Seine) le 27 juin 2023, est également venue en soutien en début d'après-midi. Tout comme Amal Bentousi, fondatrice du collectif Urgence notre police assassine, dont le frère a été tué d'une balle dans le dos par un policier en 2012, et Michel Zecler, producteur de musique noir passé à tabac par des policiers à Paris fin 2020. Ce dernier explique sa présence à une suspension d'audience : "J'ai entendu des policiers s'exprimer d'une manière assez étonnante. Je n'ai pas l'impression qu'ils comprennent que la victime dans cette affaire aura des séquelles à vie. Se reconstruire après ça, c'est très compliqué."

"Une blessure gravissime"

A l'extrême opposé de la salle d'audience, bondée, de nombreux fonctionnaires de police en civil sont sur place pour soutenir leurs collègues. Deux représentants du syndicat Unité SGP Police, Linda Kebbab et Jean-Christophe Couvy, ont fait le déplacement. Quant aux trois policiers jugés, ils sont installés côte à côte, sur des chaises disposées devant la barre. Ils comparaissent libres.

En plus de Marc-Antoine C., Jérémie D., 43 ans, et Tony H., 31 ans, sont renvoyés pour violences volontaires avec des circonstances aggravantes. Si le premier ne souhaite pas faire de propos liminaire, le second, lui, déclare à sa façon : "Je tenais juste à comprendre la blessure qui était gravissime pour Monsieur Luhaka, et que le procès aujourd'hui fera l'affaire."

"Une épée de Damoclès sur la tête"

"Je suis désolé de la blessure de Monsieur Luhaka, mais on a essayé de procéder à l'interpellation de la meilleure des façons possibles, face à un individu qui n'obtempérait pas, qui se débattait", développe Tony H. en début d'après-midi, interrogé sur sa personnalité, peu après Jérémie D. Autorisé à "reprendre le terrain", le policier assure que sa "motivation reste intacte". "J'essaie de faire mon métier de la meilleure des façons possibles", assure encore le gardien de la paix. Sans pour autant faire d'autocritique sur les faits qui lui sont reprochés, pointe Antoine Vey, l'avocat de Théo Luhaka.

Une position que partage Marc-Antoine C. Face à la cour d'assises, le mis en cause assure avoir "tout perdu". "Du jour au lendemain, on vous traite avec la pire des étiquettes, qui était celle d'un violeur", lâche Marc-Antoine C. Bien qu'il répète que "la blessure de Monsieur Luhaka est désolante" et qu'il se défende de toute vélléité de "se victimiser", il estime que "dans cette affaire, il y a plusieurs victimes".

"Nous, policiers, nous sommes victimes à notre façon."

Marc-Antoine C., principal accusé

à son procès

Sept ans après les faits, le fonctionnaire, réintégré au sein de la police en septembre 2019, assure aujourd'hui "des dépannages informatiques" et se définit comme "un assistant de la police". "Hors de question de retourner sur la voie publique", balaie-t-il en réponse aux questions à ce sujet. "Je veux aider mes collègues en leur facilitant la vie, en facilitant leur mission. Pour l'instant, mon envie elle est juste là", maintient-il. 

Le fonctionnaire se dit "incapable" de se projeter davantage, lui dont le "parcours scolaire brillant, toujours droit et excellent", semblait le promettre à une carrière prestigieuse. "Avant cette affaire, je me sentais vraiment investi d'une mission, pour m'épanouir et grandir humainement", assure Marc-Antoine C. "Certains jours je réfléchissais à me mettre la corde au cou", confie le policier. "Ça fait sept ans que je porte une épée de Damoclès sur la tête. Quel sera mon destin ? Je n'en sais rien", déclare-t-il face à la cour et aux jurés, alors qu'il risque quinze ans de réclusion criminelle. Le verdict est attendu le vendredi 19 janvier.

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