Affaire Théo Luhaka : les trois policiers condamnés à des peines de trois à douze mois de prison avec sursis pour la violente interpellation du jeune homme
C'était un verdict très attendu, sept ans après les faits. Dans la soirée du vendredi 19 janvier, la cour d'assises de Seine-Saint-Denis a condamné les trois policiers impliqués dans l'interpellation violente de Théo Luhaka, le 2 février 2017 à Aulnay-sous-Bois, à des peines de trois à douze mois de prison avec sursis. Grièvement blessé à la zone anale par un bâton télescopique de défense (BTD), le jeune homme, aujourd'hui âgé de 29 ans, garde des séquelles irréversibles.
Marc-Antoine Castelain, auteur du coup de matraque, est condamné à douze mois d'emprisonnement avec sursis, avec une interdiction d’exercer sur la voie publique et de porter ou détenir une arme pendant cinq ans. Il encourait quinze ans de réclusion criminelle.
Les deux autres policiers, Jérémie Dulin et Tony Hochart, qui risquaient sept et dix ans de prison pour violences volontaires, avec les circonstances aggravantes de leur qualité de personne dépositaire de l'autorité publique, en réunion et avec arme pour l'un d'entre eux, ont été condamnés à la même peine : trois mois de prison avec sursis, avec interdiction d'exercer sur la voie publique et de porter une arme pendant deux ans. A l'exception de Tony Hochart, toutes les peines prononcées sont inférieures aux réquisitions de l'avocat général, qui avait réclamé trois ans de prison avec sursis contre Marc-Antoine Castelain, et six mois de prison avec sursis contre Jérémie Dulin.
"Une victoire" pour l'avocat de Théo, "du ferme pour la police" réclame un collectif
Le verdict, rendu à l'issue d'un peu plus de neuf heures de délibéré, a été accueilli dans un grand silence dans la salle bondée, où se trouvaient d'un côté Théo Luhaka et sa famille, ainsi que des familles de victimes de violences policières qui ont régulièrement fait le déplacement pour assister à l'audience. A l'opposé, des policiers en civil et membres de syndicats de police étaient venus soutenir les accusés. Les policiers condamnés ont échangé à voix basse avec leurs avocats.
C'est à la sortie de la salle d'audience que des familles de victimes de violences policières ont clamé leur colère. "Du ferme pour la police !", ont-elles scandé. "On ne peut plus se contenter de sursis", a déclaré Amal Bentounsi, fondatrice du collectif Urgence notre police assassine, dont le frère a été tué d'une balle dans le dos par un policier en 2012. "Douze mois de sursis pour avoir mutilé un jeune homme à vie, c'est quoi cette réponse ?" s'est-elle indignée. "C'est une mascarade !", a dénoncé à côté d'elle Samia El Khalfaoui, dont le neveu a été tué par un policier, en tenant une pancarte rouge sur laquelle était écrit "Justice pour Théo".
Avec d'autres militants contre les violences policières, elle a applaudi Théo Luhaka lorsque celui-ci est sorti de la salle au côté de son avocat. Ce dernier s'est exprimé alors que son client n'a pas pris la parole.
"C'est une décision d'apaisement, de vérité, que nous prenons comme une victoire."
Antoine Vey, avocat de Théo Luhakaaprès le verdict
"Le message a été très clair : oui, ces violences n'avaient pas lieu d'être. Théo n'avait aucune raison d'être interpellé. Les policiers ce soir sont condamnés", a salué Antoine Vey.
Un délit, pas un crime
Le principal accusé, Marc-Antoine Castelain, était renvoyé pour un crime : violences par personne dépositaire de l'autorité publique ayant entraîné une infirmité permanente. Mais ce dernier point n'a pas été retenu par la cour d'assises de Seine-Saint-Denis, ce qui enlève la qualification criminelle, bien qu'il soit déclaré coupable du délit de violences volontaires. Ainsi, dans ses motivations, transmises à la presse, la cour écrit qu'elle "n'a pas la conviction que les lésions organiques présentées par monsieur Luhaka, en dépit de leur caractère particulièrement grave, ont entraîné pour lui la privation irrémédiable de l'usage de ses facultés organiques". L'existence d'une incapacité temporaire de travail de 60 jours est reconnue.
Si la cour estime que "l'utilisation du BTD" par Marc-Antoine Castelain était "nécessaire et légitime", elle considère que le coup, lors de l'interpellation du 2 février 2017, n'entrait pas dans le cadre de la légitime défense et que le policier aurait pu s'en passer à ce moment-là. C'est ce que l'accusé s'est évertué à démontrer tout au long des débats : s'il a exprimé sa "compassion" dès le premier jour de son procès et regretté la portée de la blessure "désolante" de Théo Luhaka, il a toutefois soutenu que son geste d'estoc était légitime et proportionné.
Les violences commises au sol jugées "illégitimes"
En outre, pour la cour, "le coup d'estoc à la poitrine et la gifle assénés par Marc-Antoine Castelain", "les coups de gazeuses" de Jérémie Dulin, le "coup de poing dans le ventre" porté par Tony Hochart pour "couper la respiration" et un coup de pied, autant de "violences commises par les trois policiers" après la chute de Théo Luhaka au sol, "alors qu'il ne bougeait plus", sont "illégitimes". C'est pourquoi la cour et le jury se disent "convaincus de la culpabilité des trois accusés sur ces faits".
Leurs avocats avaient, eux, plaidé l'acquittement, au motif que leurs clients étaient en situation de légitime défense. Ils ont néanmoins fait part d'un "immense soulagement" après le verdict.
"Pour la première fois aux yeux de la France entière, il est établi le fait, comme il le dit depuis le premier jour, qu'il n'est pas un criminel."
Thibaud de Montbrial, avocat de Marc-Antoine Castelainaprès le verdict
Marc-Antoine Castelain a dix jours pour faire appel, comme Jérémie Dulin et Tony Hochart.
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