Cet article date de plus de neuf ans.

Coulibaly et les frères Kouachi, itinéraire d'un trio terroriste

Francetv info retrace, étape par étape, les vies de Chérif et Said Kouachi, ainsi que celle d'Amedy Coulibaly, les trois auteurs des attaques terroristes perpétrées en France début janvier.

Article rédigé par Bastien Hugues
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Les deux auteurs de l'attentat contre "Charlie Hebdo", Chérif Kouachi (G) et Saïd Kouachi (C), et l'auteur des fusillades de Montrouge (Hauts-de-Seine) et de la porte de Vincennes, Amedy Coulibaly. (POLICE NATIONALE)

Qui étaient vraiment Chérif Kouachi, Said Kouachi et Amedy Coulibaly ? Quels liens avaient-ils ? Leur macabre entreprise terroriste était-elle coordonnée ? Etait-elle préparée de longue date ? Où étaient-ils ces derniers mois ? Comment ont-ils échappé à la surveillance des services de renseignement ? Trois jours après que la police a réussi à mettre un terme à leurs expéditions meurtrières, vendredi 9 janvier, les questions sur le parcours des frères Kouachi et sur Amedy Coulibaly ne manquent pas. Francetv info tente d'y répondre en retraçant leurs itinéraires.

Said et Chérif, "des gamins carrés, parfaitement intégrés"

Said Kouachi, 34 ans, est le plus âgé de la bande. Son frère, Chérif, est de deux ans son cadet. Tous les deux, nés Français de parents d'origine algérienne, grandissent dans le 10e arrondissement de Paris. Mais alors qu'ils ont une dizaine d'années, Said et Chérif se retrouvent orphelins. En 1994, les deux frères sont placés en foyer par les services sociaux de la ville de Paris. Ils sont envoyés dans un centre éducatif de la Fondation Pompidou, à Treignac, un village de Corrèze. Ils y restent six années.

Photo non datée de Chérif Kouachi (G) et Said Kouachi (D), durant leur passage au foyer d'accueil de Treignac (Corrèze). (DR / LA MONTAGNE)

"Personne, à la Fondation, n'avait de problèmes avec ces jeunes. Ils étaient sympas. C'était des gamins sans histoire, des gamins carrés", assure l'un de leurs anciens camarades, Jean-Henry Rousseau, dans les colonnes de La Montagne. Les adultes qui les ont encadrés à l'époque acquiescent. Le chef du service éducatif du centre de Treignac, Patrick Fournier, se souvient de "gamins parfaitement intégrés", qui ne posaient "jamais de problèmes de comportement".

Photo non datée de Said (G) et Chérif Kouachi (D), durant leur passage au foyer d'accueil de Treignac (Corrèze). (DR / LA MONTAGNE)

Après une 3e d'insertion, Said Kouachi passe un CAP et un BEP en hôtellerie. Elève correct et bon joueur de football, son frère Chérif part au lycée à Saint-Junien, en Haute-Vienne, où il est scolarisé en section sport-études. L'un de ses anciens enseignants parle d'un "gentil garçon, jamais à l'origine d'une embrouille". Il termine finalement sa scolarité à Rennes, où, faute de devenir joueur de foot professionnel comme il en rêvait, il obtient un brevet d'éducateur sportif.

En 2003, les prémices de la radicalisation des Kouachi

Au tout début des années 2000, Said et Chérif Kouachi, désormais majeurs, regagnent la capitale. Ils trouvent un logement dans le 19e arrondissement de Paris. Sans emploi stable, ils traînent dans le quartier, et tombent peu à peu dans la petite délinquance. En 2003, les deux frères se rapprochent de la mosquée Adda'wa, dans le quartier Stalingrad. Ils y font notamment la connaissance de Farid Benyettou, 23 ans à l'époque. Ce dernier est à peine plus âgé que les deux frères, mais revendique une connaissance approfondie de l'islam. Benyettou, qui présente une figure d'idéologue, est le beau-frère de Youssef Zemmouri, un islamiste algérien arrêté en 1998 avec d'autres salafistes du GSPC (organisation salafiste algérienne qui deviendra plus tard le groupe Aqmi, Al-Qaïda au Maghreb islamique), et expulsé vers l'Algérie pour avoir projeté de perpétrer des attentats pendant la Coupe du monde en France.

Chérif Kouachi, apparaissant dans un film associatif tourné à l'été 2004.  (ENVOYE SPECIAL / FRANCE 2)

Dans son appartement de l'avenue Moderne, puis dans un foyer du quartier, Farid Benyettou invite de nombreux fidèles à suivre des cours d'arabe et de religion. Au fil des séances, il les plonge en réalité peu à peu dans un islam radical. Un processus alors facilité par deux faits d'actualité : l'intervention américaine en Irak, puis l'interdiction en France du voile à l'école. On ne le sait pas encore, mais à cette époque-là, Farid Benyettou – qui se fait appeler Abou Abdallah – incite et aide des jeunes du 19e arrondissement à partir en Irak pour combattre l'intervention américaine.

Chérif Kouachi, qui travaille comme livreur de pizzas aux Lilas, est de ces jeunes-là. Le 25 janvier 2005, il doit s'envoler pour l'Irak, via la Syrie. Les services de renseignement français sont sur le coup. Kouachi et Benyettou sont arrêtés in extremis, poursuivis, et écroués pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste". Chérif Kouachi – qui se présente comme un jeune influençable, embrigadé malgré lui – est condamné en 2008 à trois ans de prison, dont dix-huit mois avec sursis. Ayant purgé sa peine en préventive, il est libéré à l'issue de son procès.

La prison, lieu de rencontre entre les Kouachi et Coulibaly

Chérif Kouachi, qui se marie en 2008, semble alors reprendre une vie "normale", et occupe un emploi de poissonnier dans un hypermarché de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) entre octobre 2009 et mars 2010. "C'était un homme normal, qui faisait son travail comme tous les autres. Il n'a jamais eu de problème avec aucun client", assure l'une de ses anciennes collègues dans la Gazette du Val-d'Oise

Mais Chérif Kouachi retombe dans les filets de la justice. Le voilà désormais impliqué dans un projet visant à faire évader de prison l'islamiste Smaïn Aït Ali Belkacem, auteur de l'attentat du RER C Musée d'Orsay en octobre 1995, à Paris. Son frère, Said, est également cité dans cette affaire. Chérif Kouachi est même incarcéré en préventive pendant quelques mois. Mais faute de charges suffisantes à leur encontre, les frères Kouachi bénéficient d'un non-lieu. Ce qui n'empêche pas le parquet de souligner, à l'été 2013, "l'ancrage avéré" du cadet "dans un islam radical", et "son intérêt démontré pour les thèses défendant la légitimité du djihad armé".

Extrait de la fiche Canonge de Chérif Kouachi, où il apparaît pris en photo en novembre 2011. ( REX / SIPA )

L'un de leurs comparses, également incarcéré en préventive depuis 2010, est en revanche condamné à cinq ans de prison dans ce dossier. Son nom : Amedy Coulibaly. Né à Juvisy-sur-Orge (Essonne) de parents maliens, il est le seul garçon d'une fratrie de dix enfants. Titulaire d'un BEP conseil en audiovisuel électronique, il travaille en contrat de professionnalisation puis en intérim à l'usine Coca-Cola de Grigny, entre 2008 et 2010.

Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly se connaissent depuis plusieurs années. Leur première rencontre remonte à 2005, à la prison de Fleury-Mérogis. Coulibaly y purge alors une peine pour vol à main armée, tandis que Kouachi est incarcéré dans l'affaire de la filière irakienne du 19e. Voyou multirécidiviste, Coulibaly se radicalise derrière les barreaux. En mai 2010, lorsqu'ils perquisitionnent son domicile de Bagneux (Hauts-de-Seine), les policiers trouvent pas moins de 240 cartouches pour kalachnikov. Amedy Coulibaly explique alors aux enquêteurs qu'il en est bien le détenteur, mais qu'il cherche à les revendre dans la rue. Selon Mediapart, l'homme est alors perçu par la sous-direction antiterroriste (SDAT) de la police judiciaire comme "un islamiste rigoriste". "Jamais de la vie, je ne participerai à un attentat ou à quelque chose de si grave que ça", jure-t-il toutefois devant le juge lors de son procès, en 2013.

Amedy Coulibaly s'entraîne avec une arbalète lors d'un séjour, en 2010, dans le Cantal, à l'occasion duquel il rend visite à Djamel Beghal, un islamiste condamné pour des faits de terrorisme. ( REX / SIPA )

De probables liens avec Al-Qaïda et l'Etat islamique

Entre temps, les frères Kouachi poursuivent, eux aussi, leur radicalisation. Dans l'ordinateur de Chérif Kouachi, les enquêteurs de la SDAT trouvent notamment une grande quantité de textes portant sur les opérations martyres et sur les attentats-suicides. Chérif Kouachi fréquente de nombreux islamistes radicaux, comme Djamel Beghal, condamné pour un projet d'attentat contre l'ambassade américaine à Paris - et qu'Amedy Coulibaly connaît bien, lui aussi, depuis ses séjours en prison -, comme Boubaker El Hakim, un Franco-Tunisien du 19e arrondissement parti faire le jihad dès 2002 et aujourd'hui membre revendiqué de l'Etat islamique, ou encore comme Salim Benghalem, considéré comme l'un des bourreaux de l'Etat islamique en Syrie. 

Said Kouachi, l'aîné, part quant à lui pour le Yémen en 2011. Il y suit notamment des cours dans un centre d'enseignement salafiste, et s'entraîne au maniement des armes. S'est-il alors rapproché d'Al-Qaïda au Yémen ? Quand rentre-t-il en France ? On l'ignore encore. Son signalement est en tout cas transmis aux Etats-Unis par les autorités yéménites. Outre-Atlantique, les deux frères Kouachi sont aussitôt fichés sur la liste noire du terrorisme.

Une photo de la carte d'identité de Said Kouachi, retrouvée près du lieu de l'attaque contre "Charlie Hebdo", le 7 janvier 2015, à Paris.  (REX / SIPA)
 

Comment vont-ils ensuite retrouver Amedy Coulibaly, sorti de prison en mars 2014, et préparer leurs projets terroristes ? Ont-ils bénéficié de complicités ? Pour l'heure, les réponses à ces questions sont encore incertaines. Durant leur cavale meurtrière de trois jours, les frères Kouachi se sont présentés comme des missionnaires d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa), ce que l'organisation terroriste a confirmé dans un communiqué diffusé vendredi soir. Quant à Amedy Coulibaly, il a affirmé, dans une vidéo posthume sur internet, agir au nom de l'Etat islamique. Comment tous les trois ont-ils réussi à échapper à la surveillance des services de renseignement français ? Ont-ils été financés par Al-Qaïda ou par l'Etat islamique ? Jusqu'à quel point ont-ils coordonné leurs attaques ? Autant de questions auxquelles les enquêteurs vont désormais tenter de répondre.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.