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Dans l'Aisne, relents racistes dans la foulée des attentats terroristes

Article rédigé par Bastien Hugues - De notre envoyé spécial,
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
A Saint-Quentin (Aisne), une femme passe devant une banderole déployée en hommage aux victimes de l'attentat contre "Charlie Hebdo", le 12 janvier 2015. (BASTIEN HUGUES / FRANCETV INFO)

Dans ce département, les marches républicaines organisées ce week-end n'ont pas toutes rencontré un grand succès. Pour comprendre pourquoi, francetv info s'est rendu sur place.

Quand je ralentis près de sa maison, René est en train de brosser énergiquement son portail, verdi par la mousse et les lichens. Retraité, ce petit homme grisonnant habite un petit village près de Tergnier (Aisne). Je suis déjà passé devant sa maison une fois ou deux, il y a quelques années. J'ai grandi à une vingtaine de kilomètres de là. Dans le département de René — qui est aussi le mien, donc —, les marches républicaines organisées après les attaques terroristes perpétrées en France n'ont pas toutes connu un très grand succès. A Saint-Quentin, la plus grosse ville axonaise avec près de 60 000 habitants, 2 000 personnes seulement ont défilé dans les rues, dimanche 11 janvier, selon les journaux locaux. Quand je l'ai appris, je n'ai pas pu m'empêcher de faire la comparaison : à Lannion, une petite ville de Bretagne où j'ai fait une partie de mes études, il y avait 5 000 personnes pour moins de 20 000 habitants...

J'ai donc voulu comprendre pourquoi, dans mon département, dans la ville où je suis né, les gens s'étaient peu mobilisés. Et en l'occurrence, sans vraiment me surprendre, l'unanimisme dans les réponses des habitants rencontrés m'a frappé : ici, ce qui a d'abord retenu l'attention des gens, ce n'est pas tant l'attaque à la liberté d'expression que la couleur de peau des trois terroristes.

"Depuis le temps qu'ils nous menacent..."

René, lui, a passé son dimanche dans son jardin. En ce moment, il retape un vieux cabanon, dans lequel il range ses outils. "Je n'ai même pas regardé la télé. De toute ma vie, je n'ai jamais manifesté. Je préfère aller voter que d'aller défiler", sourit-il. Il assure que les attentats de la semaine dernière ne l'ont "absolument pas" surpris. "Ce qui est étonnant, c'est que ça ne soit pas arrivé avant ! Depuis le temps qu'ils nous menacent... Ils sont de quelle origine déjà, les trois gaillards qui ont fait ça ? Vous voyez ce que je veux dire ? M'enfin je ne veux pas avoir de problèmes en vous disant ce que je pense, hein..."

Chauny. Dans cette petite ville située à proximité, où le taux de chômage dépasse les 20% et où Marine Le Pen a recueilli près de 40% des voix aux européennes, beaucoup ont un avis bien tranché sur le sujet. "On n'en serait jamais là si on n'avait pas tant d'étrangers dans notre pays", entame, sans détour, Luc, 51 ans, qui sirote une grande tasse de café avant de retourner au travail. "Les Kouachi, les Coulibaly, les Merah... La France leur offre tout, et en retour, voilà ce qu'ils nous rendent." Son voisin de table, qui refuse de prendre part à la discussion, acquiesce malgré tout. La solution ? "Il suffit de renvoyer les milliers d'islamistes qu'on a chez nous dans leur pays, déjà, et ensuite de remettre des contrôles aux frontières. Peut-être que ça ira un peu mieux", répond-il du tac-au-tac.

Dehors, à quelques mètres du troquet, une dame âgée attend son bus, emmitouflée dans un long manteau. Dimanche, son fils l'a emmenée au rassemblement de Saint-Quentin. "Nous voulions montrer qu'on veut vivre libre dans notre pays, et que des terroristes ne feront jamais la loi", dit-elle d'une petite voix. "Ce que je redoute, ajoute-t-elle, c'est que ça profite encore au Front national. Ici, vous savez, la plupart des gens votent déjà FN. Ils ne font pas du tout la différence entre les bons musulmans et les terroristes, les islamistes. Y compris parmi les personnes que je fréquente ! Pour eux, c'est des Arabes, et puis c'est tout. Vous savez, ça fait longtemps que c'est comme ça, et ça ne va pas en s'améliorant..."

A Soissons, des coups de feu contre une salle de prière

A Laon, la préfecture du département, Delphine est prof de maths, dans un centre de formation d'apprentis où mon père travaillait encore il y a quelques mois, avant qu'il ne parte à la retraite. La semaine dernière, Delphine faisait cours à des futurs maçons lorsque le siège de Charlie Hebdo a été attaqué. Quand ses élèves ont su que les suspects s'appelaient Kouachi, "la discussion a très vite dérapé". "Certains ont dit que c'était encore les Arabes, que ça les confortait dans leurs idées, qu'il fallait les renvoyer dans leur pays... Sur douze élèves, seuls deux ont contesté", témoigne-t-elle, désemparée. Faute de pouvoir discuter calmement, Delphine a dû clore le débat. Cela n'a pas étonné mon père. "Ce sont des gamins qui sont comme ça... C'est dur à expliquer, mais beaucoup sont racistes. De plus en plus le sont. Ils manquent d'une certaine culture, d'une ouverture sur les autres. La plupart viennent des campagnes, mais ils ont peur des autres, des étrangers. C'est du repli sur soi..."

Plus au sud, à Soissons, une salle de prière musulmane a été la cible de plusieurs coups de feu, vendredi soir. Des impacts ont été retrouvés sur le portail et autour de la porte d'entrée. Aucune personne n'a été blessée, mais le geste a bien sûr choqué les fidèles. "Nous, les vrais musulmans, on est les premières victimes des islamistes ! Moi, je le dis : ces gens-là, ce ne sont pas des musulmans. Ce sont des criminels. On ne veut pas payer pour eux", déplore Hamid, que je croise dans une rue voisine.

"Je crains que tout ça ne soit qu'un début"

A Saint-Quentin, où j'ai passé plusieurs années, je retrouve pourtant en fin d'après-midi des propos similaires à ceux déjà entendus plus tôt dans la journée. "Je veux bien que tous les Arabes ne soient pas à mettre dans le même sac, affirme, au coin d'une rue du centre-ville, Marco, 37 ans, qui insiste sur le fait qu'il est un "petit-fils d'immigrés portugais". "Mais ça fait quand même des années et des années qu'on n'arrive plus à les intégrer correctement, qu'on a des problèmes dans les banlieues, dans les cités... Et même dans les villages hein. Il y en a aussi. Il suffit de lire les journaux. Et au lieu de s'attaquer au problème, on fait comme si tout va bien, et on continue d'en accueillir des milliers tous les ans."

Devant le collège Henri-Martin, où elle attend sa fille, Annie, employée de bureau, ne cache pas son "inquiétude" pour la suite. "D'abord parce qu'il y aura sans doute d'autres attentats de ce genre-là. Et puis parce que les gens ont de plus en plus peur. Et lorsque les gens ont peur, ils font toujours n'importe quoi, soupire-t-elle. Je crains que tout ça ne soit hélas qu'un début. Et je ne suis pas la seule..."

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