Dieudonné : ce qu'il faut savoir sur le délit d'"apologie du terrorisme"
Plus d'une cinquantaine de procédures judiciaires ont été ouvertes pour ce motif depuis l’attentat contre "Charlie Hebdo", a révélé "Le Monde".
"Je me sens Charlie Coulibaly". Pour avoir publié cette phrase dans un statut Facebook, dimanche 11 janvier, le polémiste Dieudonné a été placé en garde à vue, mercredi 14 janvier. La qualification retenue fait également écho à l'actualité : "apologie du terrorisme". En associant le slogan de soutien à Charlie Hebdo, "Je suis Charlie"et le nom de l'auteur des attaques de Montrouge et du supermarché casher de la porte de Vincennes, Amedy Coulibaly, le polémiste s'était déjà vu qualifier de "prédicateur de la haine", selon les mots de Manuel Valls, prononcés mardi devant l'Assemblée nationale.
Francetv info revient sur un délit plus que jamais d'actualité.
Que dit la loi ?
Le texte de loi du 13 novembre 2014 a renforcé les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Plus précisément, son article 4 "transfère les délits de provocation et d'apologie du terrorisme de la loi de 1881 sur la liberté de la presse vers le code pénal", résume le site des éditeurs en ligne, Geste.fr. Cette requalification permet l'application de règles de procédure plus fortes, comme des saisies ou des comparutions immédiates, ainsi que des délais de prescription rallongés.
Côté peine : lorsque quelqu'un crie dans la rue qu'il soutient un groupe terroriste, il s'expose à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. Mais dès lors qu'il agit sur internet, la peine s'alourdit. Puisqu'agir sur les réseaux devient une circonstance aggravante, le message de l'internaute concerné lui fait encourir jusqu'à sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende. C'est ce que risque Dieudonné pour son statut Facebook controversé. Et il pourrait bien ne pas être seul dans ce cas. Selon Le Figaro, la plateforme de la police nationale Internet-Signalement (Pharos) a recueilli "plus de 4 000 messages de signalement en moins d'une semaine".
Le durcissement de l'arsenal juridique contre la propagande terroriste s'est en fait amorcé dès la fin 2012, rappelle Ilana Soskin, avocate spécialiste du droit des médias et de la communication dans une tribune publiée par Le Huffington Post. Bien avant les attaques contre Charlie Hebdo, Romain Letellier, alias Abou Siyad Al-Normandy, a été condamné, en mars 2014, à trois ans de prison, dont deux avec sursis, pour avoir fait l'apologie de thèses terroristes en traduisant des textes de propagande d'Al-Qaïda. Son incarcération avait été une première depuis une loi de décembre 2012, adoptée après l'affaire Merah, qui permet de placer en détention provisoire une personne mise en examen pour apologie d'actes de terrorisme ou provocation au terrorisme.
Comment est-elle appliquée ?
Selon le ministère de la Justice, plus d’une cinquantaine de procédures judiciaires ont été ouvertes pour "apologie du terrorisme" depuis l’attentat contre Charlie Hebdo, le 7 janvier, révèle Le Monde.fr. La ministre, Christiane Taubira, a d'ailleurs adressé une circulaire aux procureurs pour leur demander plus de fermeté, rapporte encore le quotidien.
Dès mardi, francetv info relevait qu'au moins 7 condamnations avaient été prononcées depuis les attaques contre Charlie Hebdo et le supermarché Hyper Casher pour "apologie du terrorisme". Selon Le Monde de mercredi, huit personnes au total ont reçu des convocations devant un officier de police judiciaire, huit autres passeront en comparution immédiate, tandis que trois sont encore en garde à vue. Enfin, cinq personnes ont d'ores et déjà été sévèrement condamnées. Ainsi, à Haulchin (Nord), un homme a écopé de quatre ans de prison ferme. Mais attention, ici, l'apologie du terrorisme fait office de circonstance aggravante dans le cadre d'un délit routier : "Il avait refusé de se soumettre à l’alcootest, était en récidive et l’accident a causé des blessures involontaires", poursuit Le Monde.fr.
Pourquoi n'est-ce pas considéré comme une liberté d'expression ?
Pour certains internautes, mettre en garde à vue Dieudonné pour ses propos tenus sur Facebook constitue une atteinte à la liberté d'expression. Sur Twitter, réunis derrière le mot dièse "JeSuisDieudonné", ils assurent qu'il s'agit d'une contradiction, alors que plusieurs millions de personnes ont manifesté dimanche pour défendre le droit à la caricature prôné par les journalistes de Charlie Hebdo. Mais l'apologie du terrorisme, comme l'injure ou la diffamation, ne sont pas une "expression" comme les autres.
La liberté d'expression est encadrée par la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Ces articles 23 et 24 dressent la liste des discours tombant sous le coup de la loi. Parmi eux : les appels aux atteintes volontaires à la vie, à l'intégrité de la personne, aux agressions sexuelles (...), aux vols, aux destructions, aux crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, etc. Ils condamnent enfin le fait d'inciter à des "actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal, ou qui en auront fait l'apologie", ainsi que "la provocation à la discrimination, la haine ou la violence envers des personnes 'en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée'", résume Le Monde.fr.
Dans ce contexte, "s'il est évident qu'un équilibre doit être recherché entre la liberté d'expression et la répression des abus, il doit néanmoins être rappelé que les propos racistes ou antisémites, tout comme les actes d'apologie de terrorisme ne constituent pas des opinions mais bel et bien des délits réprimés pénalement", poursuit Ilana Soskin. Selon elle, "affirmer que la liberté d'expression est menacée lorsque ceux qui se revendiquent du nom de terroristes sont poursuivis est une contre-vérité juridique et une atteinte à l'humanité."
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