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Procès de Nordahl Lelandais : les "penchants pédophiles" de l'accusé, la clé du meurtre de Maëlys ?

L'ancien maître-chien a été confronté aux faits d'agression sexuelle sur deux petites-cousines, pour lesquels il est aussi poursuivi. Face à l'évidence, il a reconnu à demi-mots une attirance pour les enfants, sans éclairer davantage la cour.

Article rédigé par Catherine Fournier, Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Nordahl Lelandais au sixième jour de son procès pour le meurtre de Maëlys de Araujo, le 7 février 2022, devant la cour d'assises de l'Isère, à Grenoble. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)

C'était une semaine avant la disparition de Maëlys de Araujo, 8 ans et demi. Le 20 août 2017, Nordahl Lelandais se faufile dans la chambre où dort sa petite-cousine Marie*, âgée de 6 ans, dans la maison familiale à Domessin (Savoie). La suite est projetée sur les écrans de la cour d'assises de l'Isère, lundi 7 février. Le sexe d'une petite fille endormie est filmé en gros plan par un téléphone portable. L'accusé, tête baissée, ne regarde pas cette main qui est la sienne pratiquer des attouchements. Deux minutes et 13 secondes insoutenables, qui laissent la salle au bord de la nausée.

L'ancien maître-chien de 38 ans, jugé depuis une semaine pour l'enlèvement, la séquestration et le meurtre de la petite Maëlys de Araujo, comparaît également pour cette agression sexuelle et celle d'une autre petite cousine peu de temps avant, le 11 juillet 2017. Emilie*, sa filleule, avait alors 4 ans. Une vidéo quasi-identique a été projetée vendredi. Ces deux fichiers, supprimés par Nordahl Lelandais avant son arrestation, ont été retrouvés par les enquêteurs grâce à l'exploitation de ses deux iPhone. Pour l'accusation et les parties civiles, ils constituent le mobile du rapt de la fillette lors d'un mariage à Pont-de-Beauvoisin (Isère). "Pourquoi il l'a mise dans sa voiture ? Ce n'était pas pour lui montrer ses chiens ! Avec ce qu'il y a eu sur nos enfants, ce n'est pas possible", a souligné la mère d'Emilie*, vendredi.

"Il faut toujours des preuves, avec lui"

Nordahl Lelandais l'affirme malgré tout "solennellement" : il "n'y a pas eu d'envie sexuelle avec Maëlys de Araujo". Comme l'a lâché l'une de ses dernières compagnes à la barre, Anouchka, "il faut toujours des preuves, avec lui, sinon il n'admet rien". Or, de preuves de viol ou d'agression sexuelle sur Maëlys, il n'y en a pas. Le corps de la fillette a été retrouvé six mois plus tard, grâce à la découverte d'une tache de sang dans le coffre de l'Audi A3 de l'ex-militaire, le contraignant à avouer. Mais comme pour le meurtre du caporal Arthur Noyer, dont le corps avait lui aussi été localisé tardivement, Nordahl Lelandais s'arrime à la version alambiquée d'un homicide involontaire.

Confronté aux images pédopornographiques qu'il a lui-même réalisées, l'accusé ne peut nier l'évidence. Sans perdre son sang-froid, il ose tout de même expliquer que ce n'est que du "sexe" et qu'à ce moment-là, il ne fait pas la différence entre ses "partenaires féminines et des petites filles". "J'ai été lâche, je l'ai fait quand elles dormaient car je serais incapable de faire ça sur une petite fille éveillée", rebondit-il, en référence à Maëlys. "Maëlys de Araujo, elle n'est pas endormie mais elle est à disposition parce qu'elle est seule avec vous dans la voiture. Est-ce qu'on peut se poser la question de son corps à votre disposition au moment où elle est seule avec vous ?" relance la présidente. Valérie Blain obtient les mêmes dénégations monolithiques.

"Je n'en ai jamais parlé"

Face à une photo pédopornographique retrouvée dans son ordinateur – et classée comme telle par Interpol –, il soutient, allant jusqu'à proposer de zoomer : "Pour moi, ce n'était pas une petite enfant, c'était une adolescente au niveau du visage." Lorsque Fabien Rajon, l'avocat de la mère et de la sœur de Maëlys de Araujo, fait projeter la photo équivoque d'une fillette "dont l'âge peut être évalué de 8 à 12 ans" retrouvée dans son téléphone, Nordahl Lelandais chicane : elle n'est pas en train de faire une fellation mais de "fumer un bang. On peut voir la fumée en bas à droite." Mais à la question d'Yves Crespin, avocat des associations L'Enfant bleu et La Voix de l'enfant –"Est-ce que vous admettez que vous avez eu des penchants pédophiles ?"– l'homme dans le box acquiesce : "Oui." Le mot est lâché. Et repris, par son propre avocat, Alain Jakubowicz. 

"C'est un mot important, le mot de pédophilie. Les actes sont des actes de pédophilie et il faut que tu l'assumes."

Alain Jakubowicz à Nordahl Lelandais

devant la cour d'assises de l'Isère

Son client ira-t-il plus loin ? Rien n'est moins sûr. Pressé de questions, il n'éclaire pas la cour sur l'origine de cette attirance pour les enfants. "Les agresseurs pédophiles reproduisent ce qu'ils ont subi", souligne Yves Crespin. A-t-il lui-même été victime d'abus sexuels dans son enfance, à l'adolescence, à l'armée ou ailleurs ? Jamais au grand jamais, jure l'intéressé. Ni l'instruction ni les débats n'ont permis de faire la lumière sur ce point. Sa mère, qui avait évoqué un changement de comportement lorsqu'il était en quatrième sport-études au collège du Châtelard (Savoie), confie, lundi, qu'après la découverte des vidéos d'agressions sexuelles sur ses cousines, son fils lui aurait dit : "Maman, ça fait déjà longtemps que je suis malade, je n'en ai jamais parlé."

Une équation à plusieurs inconnues

La clé de l'énigme Nordahl Lelandais se situe-t-elle dans ces pulsions pédophiles passées sous silence ? Ou s'agit-il d'une équation à plusieurs inconnues ? Avec sa tenue bien soignée, son aisance à l'oral et son ancienne vie sociale plutôt riche, cet homme accusé du pire n'a pas le profil type du prédateur. Quand ses proches lui demandent à la barre d'expliquer comment leur pote "Nono", "serviable", "marrant" et "bienveillant", a "basculé du jour au lendemain du côté de la barrière où on ne peut pas le récupérer", l'accusé ne rembobine pas le fil et s'en tient à l'année 2017. "J'étais un vagabond, j'étais perdu", répète-t-il en boucle. Les échanges avec la cour et les témoignages donnent un aperçu de son quotidien cette année-là. Oiseau de nuit, le trentenaire sans emploi et sans compagne stable passe ses journées à dormir, à regarder des sites pornographiques et à prendre de la cocaïne. Il mène une vie parallèle sur des sites de rencontres hétérosexuels et gays, sur lesquels il se rebaptise "Jordan".

Dans la nuit du 11 au 12 avril 2017, il prend en stop Arthur Noyer à Chambéry (Savoie) et le tue. Le 11 juillet, "vous êtes dans votre cercle de protection, votre château-fort, et vous frappez votre filleule. Le 20 août, vous êtes encore à l'ouvrage [sur son autre petite cousine]. Est-ce que vous y avez réfléchi ? Parce qu'après, il y a le 27 août…" récapitule Laurent Boguet, avocat du père de Maëlys.

"On a l'impression que la voiture est devenue folle, que le moteur s'est emballé et qu'il n'y a plus de freins, ça file à 200 km/h et il y a le mur de béton."

Laurent Boguet, avocat de Joachim de Araujo

devant la cour d'assises de l'Isère

Nordahl Lelandais, qui "ne s'est jamais remis en question et a toujours remis la faute sur les autres", selon son vieil ami David entendu mercredi, situe "l'accélération du moteur" à partir du meurtre du caporal. "Une fois qu'on a tué un homme, pour n'importe quelle raison, on ne vit plus pareil." Nordahl Lelandais, qui a toujours démenti la dimension sexuelle de ce premier passage à l'acte, ne s'explique pas sur la lente dérive qui a précédé, les ruptures sentimentales successives, les échecs professionnels accumulés depuis son départ de l'armée, sa scolarité chaotique avortée en CAP mécanique. "Il a bien trompé son monde. On ne peut pas devenir en deux-trois mois, même pas en une année, un assassin et un violeur", tacle la mère de la petite Emilie*.

Dans l'affaire Maëlys, Nordahl Lelandais n'est poursuivi ni pour préméditation ni pour viol. Il sera interrogé sur la soirée du 26 au 27 août vendredi. Sur les actes pédocriminels dont il est accusé, il reconnaît "qu'une barrière a sauté" mais qu'en aucun cas il ne voulait "aller plus loin, faire du mal". Se retranchant derrière son incapacité à "répondre aux questions", il renvoie aux experts-psychiatres et aux psychologues, qui seront entendus la semaine prochaine. Dans un de leurs rapports, ces derniers estiment qu'on "ne peut exclure qu'il présente un trouble de la personnalité antisociale et un trouble paraphilique [perversion sexuelle] de type pédophilie beaucoup plus caractérisés et anciens qu'il ne le prétend". Avec une caractéristique : "L'absence d'empathie et/ou de souci des autres." Interrogé sur le travail psychologique qu'il a entrepris en prison, Nordahl Lelandais répond à la première personne : "C'est pour savoir qui j'étais et qui je veux devenir." Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

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