Procès de Nordahl Lelandais : malgré l'éclairage des experts scientifiques, le mystère demeure autour des derniers instants de Maëlys
L'analyse des ossements et des vêtements de la petite fille ont apporté quelques informations, présentées jeudi, mais les circonstances exactes de sa mort restent encore floues.
"On est dans une impasse" : en une phrase, la juge Valérie Blain a résumé la frustration générale, jeudi 10 février, à la cour d'assises de l'Isère, à Grenoble. Toxicologue, biologiste, légiste : plusieurs experts se sont succédé tout au long de la journée, exposant minutieusement leurs analyses.
Procès de Nordahl Lelandais : suivez la journée de vendredi dans notre Direct
Chaque vêtement de la petite Maëlys de Araujo, le moindre fragment d'os, les quelques mèches de ses cheveux retrouvées... ils ont tout passé au crible pour essayer de comprendre ce qu'a subi, dans ses derniers instants, la petite fille, à la merci de Nordahl Lelandais.
Pour elle, comme pour le caporal Arthur Noyer, il faut composer avec la version du prévenu et tenter de faire parler les maigres indices laissés par ce qu'il reste des dépouilles, quand elles n'ont pas été abîmées par des animaux sauvages.
Trois fractures sur le visage de la fillette
Ce sont surtout les crânes des deux victimes qui ont délivré le plus d'informations. Pour Arthur Noyer, "deux fractures sur les os propres du nez [la base du nez], sur les maxillaires gauche et droite [sous les pommettes] et une fracture à la base du crâne", avait décrit le médecin légiste Michel Mazevet aux assises de Chambéry, en mai 2021. Jeudi, le même expert a décrit "trois fractures" pour la fillette : "une au niveau des os propres du nez, deux au niveau des mandibules [la mâchoire inférieure]".
Cinq mois se sont écoulés entre la disparition du caporal – en avril 2017 – et la découverte de son crâne, en septembre 2017 ; neuf avant celle du reste de ses ossements, en janvier 2018. Maëlys de Araujo, elle, a disparu en août 2017 et a été retrouvée en février 2018. Pendant six mois, son petit corps est resté dans une zone très escarpée et enneigée du massif de la Chartreuse (Savoie).
Comme à Chambéry, il a fallu, jeudi, endurer les images glauques de la reconstitution du meurtre de l'enfant, réalisée un an après les faits, en septembre 2018. On y voit Nordahl Lelandais, assis au volant d'une voiture censée être son Audi A3. A côté de lui, la silhouette d'un mannequin représentant Maëlys. D'un coup, l'homme lui assène quatre coups très violents, supposés représenter ceux qu'il a portés à la fillette dans la nuit du 26 au 27 août 2017. La tête du mannequin se détache sous cet acharnement. Celle de Maëlys serait "tombée en avant", selon le récit de l'accusé.
"On ne peut pas exclure qu'elle soit décédée 30, 40 minutes après les coups ?"
"Monsieur Lelandais a déclaré qu'il ne pouvait pas indiquer de manière formelle le nombre de coups portés", a commenté le plus sobrement possible Michel Mazevet, dans une salle totalement silencieuse. Le prévenu dit avoir constaté le décès de la petite fille "plus loin, en essayant de bouger le corps". Dans un premier temps, il avait déclaré que la petite était morte sur le coup. Une hypothèse "très peu probable", selon l'expert.
Réinterrogé par les enquêteurs trois jours avant la reconstitution, l'accusé avait livré une autre version, affirmant cette fois-ci que Maëlys était morte quelques minutes après les coups qu'il lui avait assénés. Il a également déclaré avoir pris le pouls de la fillette après un intervalle, sans rien percevoir. Il dit ne pas avoir tenté de la réanimer. Si l'accusé dit vrai, "l'hypothèse d'un décès neurologique est probable", note Michel Mazevet.
Tout comme dans l'affaire Arthur Noyer, rien ne dit que la petite est morte rapidement. "On ne peut pas exclure qu'elle soit décédée 30, 40 minutes après les coups ?", l'interroge le procureur général Jacques Dallest. "On ne peut pas l'exclure", répond le légiste. Interrogé sur le degré de "souffrance physique" que Maëlys avait pu ressentir à ce moment, Michel Mazevet a déclaré ne pas être en mesure de l'apprécier "car il peut y avoir une perte de connaissance". Mais chez une personne consciente, les "trois fractures osseuses" ont pu être "douloureuses".
Une robe lacérée
Interrogé sur d'éventuelles violences sexuelles qu'aurait pu subir l'enfant, il a souligné que l'état très dégradé du corps ne permettait pas "d'affirmer ni d'infirmer la survenue de ce type de violence". "Dans une agression sexuelle, l'examen clé, c'est celui des oganes génitaux externes et internes. Mais ces organes ne résistent pas à la putréfaction", a-t-il indiqué.
Sur ce point, les scientifiques ont bien tenté de faire parler les vêtements de la petite fille, qui ont pu être retrouvés et analysés, en particulier sa culotte, dont il manquait la partie arrière. "Mais impossible de savoir à quoi est due cette absence de matière", a noté Nathalie Caron, ingénieure à l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN). L'humidité du sol a pu entraîner la décomposition du tissu. De même, la recherche de sperme n'a rien donné "au regard de l'état du vêtement".
La prudence des experts a mis à l'épreuve les nerfs de la cour, qui se heurte à de nombreuses zones d'ombre, comme ces lacérations constatées sur le bas de la robe de la petite fille, dues "au passage d'un objet coupant ou tranchant", selon Nathalie Caron. Difficile d'en déterminer l'origine. Est-ce à cause d'un passage dans des ronces ? De griffures d'un animal ? Ou d'un coup de couteau ou de cutter ? L'experte a tenté de reproduire la lacération, sans y parvenir complètement.
La journée de jeudi s'est terminée comme elle avait commencée : avec beaucoup de questionnements. Lors de son interrogatoire sur les faits, vendredi après-midi, Nordahl Lelandais a encore la possibilité de lever le voile sur ces douloureux mystères.
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