Affaire Lina : comment les enquêteurs sont parvenus à retrouver le corps de l'adolescente dans la Nièvre

La jeune fille avait disparu en septembre 2023 à Plaine, dans le Bas-Rhin. Son corps a été retrouvé mercredi à 500 kilomètres de là, près de Nevers, après des mois d'investigation sans relâche.
Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des gendarmes assurent un périmètre de sécurité, le 17 octobre 2024, près de l'endroit où le corps sans vie de Lina a été retrouvé, à Sermoise-sur-Loire (Nièvre). (ARNAUD FINISTRE / AFP)

Un dénouement redouté. Le corps sans vie de Lina, cette adolescente qui avait disparu depuis un peu plus d'un an en Alsace, a été retrouvé mercredi 16 octobre "dans une zone boisée et isolée de la région de Nevers" (Nièvre), a annoncé le procureur de la République de Strasbourg. "Le corps était immergé dans un cours d'eau situé en contrebas d'un talus", a précisé Alexandre Chevrier. "Des expertises médico-légales vont être ordonnées", a-t-il poursuivi, "aux fins de rechercher la cause de la mort". Mais d'ores et déjà, les enquêteurs ont la certitude qu'il s'agit du corps de Lina, grâce aux analyses génétiques "effectuées en urgence" par l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN).

C'est le travail minutieux d'analyse de l'IRCGN, couplé "aux recherches menées de manière active par les enquêteurs de la gendarmerie", comme souligné par le procureur, qui ont permis de retrouver le corps de l'adolescente, dont le téléphone portable avait cessé de borner très exactement à 11h22 le 23 septembre 2023. Ce jour-là, Lina se rend à pied à la gare de Saint-Blaise-la-Roche (Bas-Rhin), le long d'une petite route, pour aller prendre un train et rejoindre son petit ami à Strasbourg. Huit jours plus tard, une information judiciaire est ouverte des chefs d'enlèvement et de séquestration criminelle. Plus de 400 auditions sont menées et des centaines de véhicules, analysés. Les enquêteurs travaillent avec persévérance, en lien avec la famille.

Un "travail considérable", "du temps et de la patience"

Des recherches intenses et des analyses méticuleuses sont menées. "Les images de la vidéosurveillance le jour de la disparition ont permis de recenser 13 marques de véhicules différents, soit un total de 260 véhicules. Il a fallu envoyer les images de cette vidéosurveillance au laboratoire de l'IRCGN pour les améliorer et pouvoir les exploiter", déclare le procureur Alexandre Chevrier lors d'une conférence de presse organisée le 19 septembre, près d'un an après la disparition. Le magistrat souligne qu'il s'agit d'un "travail considérable", qui a nécessité "du temps et de la patience", malgré l'urgence à retrouver Lina.

Après des mois d'errance et de faux espoirs, des analyses révèlent, le 26 juillet, que l'ADN de l'adolescente se trouve sur des cordes disposées dans le coffre d'une voiture, une Ford Puma. Un élément qui "tend à démontrer qu'à un moment ou à un autre, Lina a été ligotée", selon le procureur. Le véhicule, volé en Allemagne en août 2023, a été saisi cinq mois plus tard à Narbonne (Aude), à la suite d'un refus d'obtempérer du conducteur, un quadragénaire qui se prénomme Samuel Gonin. De l'ADN de contact de Lina est aussi retrouvé sur une ceinture et à plusieurs endroits dans la voiture, précise Alexandre Chevrier. Son sac à main est récupéré dans la boîte à gants. Plusieurs couteaux de cuisine, sans trace de sang, sont également saisis. Le téléphone portable de l'adolescente, en revanche, n'est pas retrouvé dans le véhicule.

Des analyses ADN et de géolocalisation déterminantes

Les enquêteurs s'intéressent alors de près au profil de Samuel Gonin, qui devient le principal suspect dans cette affaire. Agé de 43 ans, il avait fait l'objet "de plusieurs hospitalisations psychiatriques" et un examen "effectué quelques jours avant son décès" avait mis "en évidence un trouble de la personnalité de type borderline", d'après le procureur Alexandre Chevrier, qui souligne qu'il était "parfaitement responsable de ses actes sur le plan pénal". Le magistrat précise en outre qu'à partir de l'été 2023, il mène "une vie d'errance" et "consomme une forte quantité de stupéfiants".

Après son interpellation à Narbonne, cet ancien professeur de menuiserie, qui a basculé subitement dans la délinquance, est condamné le 22 janvier 2024 à 15 mois de prison avec sursis pour le refus d'obtempérer. Il doit aussi être jugé le 22 juillet pour des vols avec violences commis en août 2023. Mais le procès n'aura jamais eu lieu : le 10 juillet, ce père de deux enfants se donne la mort chez lui, à Besançon (Doubs), après avoir laissé une lettre. Le procureur assure qu'"aucun de ses écrits ne fait référence à la disparition de Lina". Dans ce dossier, il n'a jamais pu être entendu, puisque les résultats des analyses ADN menées dans le véhicule sont intervenus plus de 15 jours après son suicide. "Au jour de sa mort, il n'était pas au courant que la Ford Puma avait été saisie par les enquêteurs", assure Alexandre Chevrier.

"Tous ces éléments tendent à démontrer [son] implication dans la disparition de Lina", souligne le procureur. Un autre aspect de l'enquête va dans ce sens : l'analyse de la géolocalisation du véhicule révèle que cette Ford Puma se trouvait, le 23 septembre 2023, à 11h26, sur la route départementale "à proximité très immédiate du lieu de disparition". Un élément déterminant pour l'enquête qui n'a pas été simple à obtenir. "Samuel Gonin a tout fait pour se montrer indétectable, il n'a utilisé aucune ligne téléphonique entre août et décembre 2023. Il a pris soin de désactiver le GPS de la voiture", ce qui a rendu "les techniques traditionnelles" d'analyse "inopérantes", révèle Alexandre Chevrier.

Le parcours de la Ford Puma volée retracé point par point

Si les enquêteurs sont finalement parvenus à localiser la Ford Puma dans le Bas-Rhin, "c'est grâce à l'exploitation du système multimédia embarqué" et à une "enquête particulièrement complexe". Ils acquièrent aussi la certitude qu'il était seul dans la voiture "à ce moment précis". Alors, depuis l'été, les enquêteurs épluchent, jour après jour, la géolocalisation de la Ford Puma. Grâce aux données extraites par l'IRCGN, ils retracent le parcours de la voiture volée par Samuel Gonin.

Les recherches se poursuivent sur les différents points d'arrêt du véhicule, sur le trajet reconstitué par les enquêteurs, du plus près au plus loin du lieu de disparition de Lina. Ainsi, des fouilles sont diligentées en Alsace, dans les Vosges, en Haute-Saône et dans le Morvan. Sans succès, jusqu'à la découverte du corps de l'adolescente dans la Nièvre, à Sermoise-sur-Loire, au cours d'une nouvelle phase de recherches. La Ford Puma avait été géolocalisée "à cet endroit le 24 septembre 2023, soit le lendemain de la disparition de Lina", a confirmé le procureur mercredi.

Le parquet de Strasbourg n'envisage pas d'autres communications, dans l'attente des résultats d'expertise médico-légale, très attendus par la famille de Lina, immédiatement informée de la découverte du corps. Les avocats des parents de l'adolescente, Marylène Correia et Matthieu Airoldi, ont publié jeudi dans la matinée un communiqué en leur nom, faisant part de leur "douleur immense" et précisant : "Avant de faire place au recueillement, ils restent dans l’attente des rapports des experts dépêchés sur le lieu de la découverte." Les enquêteurs, eux, poursuivent leur travail, pour, enfin, tenter d'obtenir la vérité sur ce qui s'est vraiment passé.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.