Perruques, faux papiers, siestes au ciné... Comment Redoine Faïd organise ses cavales
Activement recherché depuis son évasion par hélicoptère, le braqueur récidiviste est un habitué des traques policières, auxquelles il tente d'échapper depuis plus de 20 ans.
Il est l'homme le plus recherché de France. Depuis qu'il s'est fait la belle de la prison de Réau (Seine-et-Marne), dimanche 1er juillet, par les airs puis par la route, le braqueur Redoine Faïd est traqué sur le territoire national par près de 3 000 policiers et gendarmes. L'homme de 46 ans est un "habitué de la cavale", rappellent les autorités, affirmant que "ce ne sera pas aisé de l'interpeller". Comme à la fin des années 1990, comme en 2011, comme en 2013, le jeu du chat et de la souris a repris.
En 1995, le jeune Redoine Faïd est encore un inconnu des services de police quand il entre, pour la première fois, dans la clandestinité. La Brigade de répression du banditisme (BRB), qui enquête sur onze braquages de sociétés informatiques, vient de mettre la main sur son frère Fayçal, impliqué avec lui dans une attaque armée à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).
Le braqueur, qui multiplie les vols, les cambriolages et les prises d'otages depuis l'école primaire sans jamais finir au tribunal, part se "planquer dans les hôtels Campanile" de la région parisienne, où, "à l'époque, ils ne demandaient pas de pièce d'identité". Il y développe, pendant trois ans, l'un de ses premiers talents de fugitif : la dissimulation. "Comme il n'y a que des commerciaux, tu dois te fondre dans la masse", explique-t-il dans son autobiographie Braqueur (La Manufacture de livres, 2010). Il adopte le rythme de vie d'un VRP, du lundi au vendredi : réveil à 7 heures, retour vers 20 heures et déplacements en "Clio commerciale".
Discret, mais toujours en action
En 1996, Redoine Faïd découvre qu'un de ses complices, arrêté par la police, l'a dénoncé. Il passe alors la seconde. "Moi, je suis déjà en pré-cavale, raconte-t-il. En prévision que ça tourne mal un jour, je m'étais procuré des faux papiers." Il s'envole pour l'Algérie depuis la Belgique et fait croire aux enquêteurs qu'il va rester au bled. Quelques jours plus tard, il revient discrètement en France via Londres. Il lui faut de l'argent pour financer son train de vie de fugitif. "C'est la guerre : on va passer aux fourgons blindés", annonce-t-il à un complice.
Je suis en cavale, je n'ai plus rien à perdre. En plus, il va me falloir un max d'oseille.
Redoine Faïddans "Braqueur"
Depuis quelques mois, le natif de Creil (Oise), qui "rêve" de s'élever dans la hiérarchie des délinquants, enchaîne les visionnages du film Heat, de Michael Mann, avec Robert De Niro et Al Pacino. Il s'en inspire pour diriger son premier braquage de fourgon, en 1997, à Villepinte (Seine-Saint-Denis), où le commando porte des casques de gardiens de hockey, "comme dans Heat". Un succès presque total, avec près de trois millions d'euros dans les sacs, mais aussi une balle de la police dans l'épaule pour Redoine Faïd, comme il le raconte dans cette vidéo [à partir de 2'].
De temps en temps, Redoine Faïd part se faire oublier et se ressource à l'étranger, principalement en Israël, où il installe sa "base arrière" avec ses complices juifs. Il loue un superbe appartement à Tel-Aviv, sort avec une étudiante locale, se met à l'hébreu... "Je me sens bien en Israël, dit-il. Mais il y a un problème. Je m'emmerde." En "manque" de braquage et de son lot d'adrénaline, la bande retourne régulièrement en France, où "les affaires (...) s'enchaînent tous les trois mois". Avec un allié précieux rencontré à Tel-Aviv : un militaire israélien, qui le forme au maniement des explosifs et lui fournit du plastic.
Arrêté à cause d'une grève en Suisse
Malgré tout, le fugitif n'oublie pas son statut précaire. "En cavale, je vivais tout le temps avec la mort, la peur de la police, la peur de me faire descendre", raconte-t-il à Europe 1 en 2010, évoquant aussi le déchirement de ne "plus voir [sa] famille". Au fil des ans, la police accumule les éléments contre lui, dont son ADN, retrouvé dans une tache de sang versée lors du braquage de Villepinte. Plusieurs services sont à ses trousses pour divers cambriolages et braquages : la BRB, le SRPJ de Lille, la Section de recherche de la gendarmerie d'Amiens.
C'est finalement en Suisse que le vent se met à tourner. Redoine Faïd a pris l'habitude de transiter par les aéroports helvètes, "car les douaniers ne se méfient pas trop de quelqu’un qui vient de Suisse". Un jour de grève dans les transports aériens, en septembre 1998, il se fait contrôler dans un train et finit menotté pour détention de faux papiers. Il réussit à s'échapper, se fait pincer quelques heures plus tard après une mauvaise chute, puis repart en cavale après avoir volé l'arme d'un policier suisse l'escortant à l'hôpital. Un sursis de courte durée.
De retour en France, il se fait finalement arrêter le 28 décembre 1998, à Paris, alors qu'il fait des courses dans le quartier de l'Opéra et qu'il s'apprête à retourner en Israël, selon L'Obs, sous le nom de Philippe Mazaud. Son erreur : être allé dans une agence de voyages où il s'était déjà rendu et jusqu'à laquelle la police avait réussi à remonter à partir d'un billet découvert lors de son arrestation en Suisse trois mois plus tôt.
Le "repenti" se refait la malle
Condamné à 37 ans de prison à l'issue de plusieurs procès, le Creillois bénéficie d'une confusion de peines, qui réduit le total à 19 ans, et lui permet d'obtenir une libération conditionnelle dès 2009. Il devient vite le "braqueur repenti" le plus célèbre de France, faisant le tour des plateaux de télévision pour raconter son parcours. "Il était très fier de sa technicité et de son professionnalisme, n'hésitant pas à livrer ses 'trucs' de cavale", se souvient l'éditeur de son autobiographie, Pierre Fourniaud, joint par franceinfo.
Bien qu'affirmant avoir "tué ses démons", Redoine Faïd n'en a pas fini avec sa carrière de fugitif. En janvier 2011, une semaine après son apparition dans un magazine d'investigation de Canal +, il échappe à un coup de filet policier en lien avec un braquage raté ayant mené à la mort de la policière Aurélie Fouquet à Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne), en 2010. Il est rattrapé six mois plus tard, dans un fast-food de Villeneuve-d'Ascq (Nord). Entre temps, il braque un nouveau fourgon dans le Pas-de-Calais et dérobe plus de deux millions d'euros.
C'est en avril 2013 que débute sa cavale la plus intense. Incarcéré à Sequedin (Nord), il prend des surveillants en otages, fait sauter des portes blindées avec des explosifs et prend la fuite en voiture avec un complice. Cette spectaculaire évasion place Redoine Faïd sous le feu des projecteurs médiatiques. Le jeu du chat et de la souris reprend.
Un casting pour trouver son futur homme de paille
S'il ne peut plus compter sur l'anonymat de ses débuts, Redoine Faïd a un autre atout : son expérience. Il sait que tout son entourage va être surveillé et placé sur écoute, dans l'espoir de voir l'oiseau revenir vers son nid. "Il a lu l'intégralité des mémoires de policiers publiées ces dix dernières années et a beaucoup appris sur la façon dont on traque des fugitifs", affirme à franceinfo le journaliste Frédéric Ploquin, auteur du livre Ils se sont fait la belle (Fayard, 2007).
A Sequedin, le détenu a anticipé. Des semaines avant de s'évader, il a demandé à des émissaires en liberté de lui trouver un poisson-pilote chargé de gérer sa cavale. Objectif : identifier un homme extérieur à son cercle et hors des radars policiers. Le choix se porte finalement sur Hassan Bourouas, un petit trafiquant de 28 ans, qui accepte de "travailler pour quelqu’un qui a des ennemis et des problèmes avec la justice" – sans connaître l'identité de son futur protégé, pour limiter les risques de dénonciation, selon Libération.
Peu après l'évasion, Redoine Faïd est visé par un mandat d'arrêt européen et fait l'objet d'une fiche Interpol. La police craint de le voir filer à l'étranger, notamment en Belgique. "En fait, ce n'était pas une destination qu'il affectionnait, il disait que les forces de police y étaient plus aguerries et qu'elles avaient la gâchette facile", dit à franceinfo son éditeur, Pierre Fourniaud. L'évadé reste en France et revêt un costume qu'il connaît bien : celui de commercial écumant les hôtels de seconde zone.
Des voitures achetées cash sur Le Bon Coin
Tous les quatre ou cinq jours, le fugitif et son homme de paille changent d'adresse. "Je cherchais des hôtels, des voitures, j’allais au pressing, racontera Hassan Bourouas à la police. Les voitures dans lesquelles nous avons roulé étaient clean. J’allais sur leboncoin.fr. Je faisais les transactions uniquement en liquide." Après chaque achat de véhicule, les plaques d'immatriculation sont soigneusement remplacées.
La nuit, Redoine Faïd est à l'affût d'une éventuelle descente de police. Le sommeil est léger, d'où le besoin de siestes, qu'il s'offre parfois dans le cinéma d'un centre commercial des Yvelines. Il opte pour les séances de 13h30 et évite celles du mercredi et du week-end, de peur d'y croiser des policiers en repos.
"En 2013, nous avions constaté à quel point Redoine Faïd était organisé, confie à Libération le sous-directeur chargé de la lutte contre le crime organisé de l'époque, Bernard Petit. Avec lui, vous savez que vous n’aurez qu’une ou deux opportunités de l’interpeller, et qu’il ne faudra pas les manquer."
Il est méthodique, réfléchi, et il s’appuie sur un cercle tellement restreint que ses fautes sont rares.
Bernard Petità "Libération"
Piégé par un indic'
Une faute ? Il en commet une en laissant Hassan Bourouas opérer sans faux papiers. Selon TF1, les enquêteurs retrouvent la trace des deux hommes grâce à un renseignement anonyme, après trois semaines de fuite, dans un hôtel près de l'aéroport de Roissy. La chambre a été libérée la veille, mais la vidéosurveillance a de la mémoire. La police découvre le braqueur grimé avec une perruque, des lunettes et une barbe. Surtout, elle obtient le nom de son poisson-pilote, qui servira à réserver de nouvelles nuits d'hôtel [à partir de 8'45].
Redoine Faïd précipite sa chute le jour où il achète de faux papiers israéliens, destinés à lui permettre de se réfugier à Tel-Aviv. Sans le savoir, il tombe sur un indicateur de la police. "Le jour de la tractation, à bord d’une voiture, le vendeur du faux passeport a balancé un portable ouvert sous le siège, ce qui a permis de les géolocaliser", selon Libération. L'arrestation se fait en pleine nuit, le 29 mai 2013, dans un hôtel B&B de Pontault-Combault (Seine-et-Marne). La cavale de l'homme le plus recherché de France a duré 46 jours. Cinq ans plus tard, le revoilà en fuite.
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