Cet article date de plus de cinq ans.

"On n'a pas les moyens de changer de vie" : riverains de l'usine Lubrizol, ils ne parviennent pas à quitter leur logement

Après l'incendie de l'usine Seveso, des Rouennais ont préférer fuir la ville, redoutant des retombées sur leur santé. Mais, faute de moyens, certaines familles ne peuvent pas se le permettre.

Article rédigé par franceinfo - Noémie Leclercq
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le 26 septembre 2019, sur les hauteurs de Bonsecours (Seine-Maritime), à proximité de Rouen, où l'usine classée Seveso de Lubrizol a été ravagée par un incendie. (PHILIPPE LOPEZ / AFP)

"Sinon, est-ce qu'un purificateur d'air peut aider ?" Sur le groupe Facebook "Propositions et demandes d'hébergement pour les habitants de Rouen", créé au lendemain de l'incendie du site Lubrizol, jeudi 26 septembre, la solidarité s'organise.

Des conseils pour éviter la pollution, des propositions de logement temporaire mais, surtout, beaucoup d'appels à l'aide de Rouennais qui cherchent à quitter la ville "le plus vite possible et définitivement". 

Un exil avant un retour forcé

"Nous sommes un couple avec quatre enfants, voisins directs malheureux de Lubrizol, nous ne pouvons réintégrer notre maison. Nous sommes à la recherche d'une maison ou d'un appartement à maximum une cinquantaine de kilomètres/40 minutes de Rouen. Car pour des questions logistiques, nous ne pouvons quitter la région, mais nous ne voulons plus habiter à proximité directe de ces usines de malheur." Jeremy, qui a posté ce message, habite à 500 mètres de l'usine Lubrizol. "On a été réveillés en pleine nuit par l'explosion", se souvient-il.

Je suis sorti voir ce qu'il se passait, et lorsque j'ai demandé à un policier, il m'a conseillé de partir avec ma famille.

Jeremy, riverain de l'usine Lubrizol

à franceinfo

Il prend donc la route en pleine nuit, avec sa femme et ses quatre enfants, pour s'éloigner quelques jours. "Nous avons la chance d'avoir pu être logés chez de la famille, explique-t-il. Ma femme exerce une profession libérale et moi, vu la situation de notre maison, j'ai été mis en arrêt maladie." Cet exil aura duré près de deux semaines.

Travail oblige, toute la famille a finalement dû rentrer. "Notre maison étant inhabitable, avec des suies sur les murs et très enfumée, notre assurance nous paie l'hôtel pendant sept jours… Mais on ne sait toujours pas où nous allons vivre après." Impossible d'aller très loin : la famille étant recomposée, les enfants sont en résidence alternée chez les ex-conjoints du couple. "Donc tout ce qu'on demande, c'est un logement éloigné des usines. Mais c'est très compliqué du jour au lendemain." Pour pouvoir bénéficier d'une aide de l'assurance, Jeremy espère que l'état de catastrophe industrielle sera décrété – sans quoi, ils "n'auron[t] pas les moyens de [se] mettre à l'abri".

"Nous, on n'a pas les moyens de changer de vie" 

Muriel habite elle aussi à quelques mètres de l'usine. Mais avec ses cinq chiens et chats, impossible d'être logée chez de la famille. Veuve depuis peu, elle vit avec le RSA. Insuffisant pour louer un logement à l'extérieur de la ville en plus de sa maison. Depuis l'incendie, elle dit vivre "un véritable calvaire" .

Je ne sors plus, mes animaux sont enfermés dans la maison. Je n'arrête pas de tousser et de faire des cauchemars horribles. Je n'en peux plus...

Muriel

à franceinfo

Son fils, âgé de 19 ans, a pu être logé chez des amis. Mais là encore, la solution n'est pas définitive. "J'appelle dès que je vois passer une annonce de logement, mais c'est sans succès", déplore Muriel.

Même son de cloche chez Anaïs. Après un bref séjour dans sa famille lyonnaise, cette trentenaire a été contrainte de retrouver son logement rouennais. Depuis, elle "passe [s]es journées à démarcher les bailleurs sociaux et à éplucher les offres d'emploi dans d'autres régions". "Nous, on n'a pas les moyens de changer de vie, soupire la mère de quatre enfants, scolarisés à Petit-Quevilly, à proximité immédiate de Lubrizol. J'essaie de trouver des solutions alternatives tout en continuant de chercher une nouvelle maison. Par exemple, je bataille avec la mairie pour inscrire mes enfants dans une autre école qui ne soit pas à 500 mètres de l'usine." 

"Etre éloignée des sites Seveso sera un critère primordial"

Employée à la Sécurité sociale, Sarah, elle, est retournée vivre chez son père à Rouen pour des raisons financières, il y a quelques années. Au départ, juste le temps de monter un projet de reconversion. "Je me laissais porter, mais depuis l'incendie, je veux partir le plus vite possibleconfie la jeune femme. J'ai vu des personnes que je connais quitter Rouen, mais moi, je n'ai pas les moyens."

Depuis l'incendie, des dizaines de personnes se sont éloignées de la ville et de sa périphérie, temporairement ou définitivement, craignant des répercussions sur leur santé et celle de leurs enfants. "Moi aussi j'ai très peur, mais je n'ai qu'un petit salaire et pas de possibilité d'apport. Impossible pour moi de partir pour l'instant…" déplore Sarah. Cette ancienne professeur des écoles souhaite partir "au plus tôt" : "Déjà, avant l'incendie, je trouvais Rouen très polluée. J'ai même développé de l'asthme ces dernières années, mais je me voilais la face."

L'incendie a été un "déclic". Elle se donne désormais "maximum trois ans" pour développer un éco-habitat en Bretagne. Un mobil-home ou une tiny-house au milieu de la nature, où elle pourra vivre en autosuffisance"Et je sais qu'il y a des sites Seveso en Bretagne également, mais désormais, en être éloignée sera un critère primordial pour mon déménagement." 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.