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RECIT. Après l'incendie de l'usine Lubrizol, six jours d'angoisse à Rouen

Marie-Adélaïde Scigacz, Anne Brigaudeau le jeudi 3 octobre 2019

Les flammes ravagent une partie de l'usine Lubrizol, à Rouen, le 26 septembre 2019. (PHILIPPE LOPEZ / AFP)

Il est 3 heures du matin, jeudi 26 septembre. Des habitants de Rouen sont réveillés en sursaut par des bruits d'explosion. L’usine Lubrizol, qui produit, entre autres, des additifs pour huile, s'embrase. Une fumée noire se dégage du site classé Seveso "seuil haut". 

Dans la matinée, alors que la nouvelle de la catastrophe est un temps éclipsée, à Paris, par l'annonce de la mort de Jacques Chirac, les Rouennais s'inquiètent. Récit de ces six journées durant lesquelles les habitants n'ont cessé de demander des explications.

Vendredi 27 septembre

Les ministres de la Transition écologique et de la Santé, Elisabeth Borne (à gauche) et Agnès Buzyn (à droite) rencontrent les pompiers sur le site de Lubrizol, le vendredi 27 septembre 2019, à Rouen. (LOU BENOIST / AFP)

A Mont-Saint-Aignan, de violents maux de tête réveillent Marie vers 6 heures du matin. Elle appelle le numéro d’urgence mis en place la veille pour savoir si elle doit se rendre au travail. "Personne ne sait quoi me répondre. En gros, on me demande d’attendre la conférence de presse du préfet dans l’après-midi pour savoir si j’ai eu raison de sortir ce matin", s’agace-t-elle. 

Déjà, la gestion de la crise interroge. Les Rouennais, mais aussi David Cormand, secrétaire national d'EELV et originaire de Normandie, qui la juge "scandaleuse et humiliante" dans un tweet matinal.

Dans la matinée, l'association écologiste Robin des Bois demande au préfet  d'ouvrir une "enquête environnementale dans les champs, dans les cours d'écoles" en suivant  la trajectoire du nuage de fumée. L'union départementale de la CGT en Seine-Maritime réclame, quant à elle, "la transparence totale sur les résultats des analyses et la nature des produits qui ont brûlé".

Depuis la veille, une cinquantaine de personnes se sont rendues aux urgences et cinq ont été hospitalisées brièvement pour des irritations respiratoires. Dans son "point de situation" de 7h30, la préfecture de Seine-Maritime demande "de ne pas encombrer les services de secours pour la problématique d’odeur" désagréable générée par l’incendie. "Le risque pour la population reste faible", martèle-t-elle.

Dans certains établissements maintenus ouverts par les autorités, impossible de faire cours. Catherine, professeure d’anglais, témoigne. En classe, "l'odeur était tellement insupportable que j'ai été prise de nausées, de vertiges, et j'ai refusé tout net de faire cours". Le proviseur ne ferme pas l’établissement, mais il appelle tous les parents, ainsi que l’inspection académique : il veut qu’un médecin évalue les conditions sanitaires. "[Les élèves] étaient pris de vertiges, de nausées", raconte-t-elle.

A Sahurs, à 18 km à l’ouest de Rouen, Hélène décide de faire son jogging le long de la Seine. En avançant sur le chemin de halage, elle est prise de maux de tête. Le fleuve a chargé avec lui des hydrocarbures.  "Impossible de faire du sportJamais je n’avais senti cela." 

Pour éviter que l'eau de ruissellement chargée d'hydrocarbures issue des opérations des pompiers sur le site de l'incendie ne souille la Seine, les services de l’Etat établissent un barrage flottant, avec des bateaux équipés de canons à eau. Les marins engagés sur le fleuve pour cette opération récupèrent au total 1000 litres de polluants.

Au pied du pont Flaubert, à 800 mètres de l’usine, dans la rédaction de France 3 Rouen, les odeurs semblent encore plus fortes que la veille. A pied d’œuvre depuis les premières heures de l’incendie, certains salariés sont pris de maux de tête et de nausées. A 10h50, une édition spéciale de l’émission "Ensemble, c’est mieux", consacrée à l’incendie, commence. "On a chamboulé tous nos programmes pour être en direct tous ensemble et répondre à toutes vos questions", commence le présentateur, Alex Goude. En fin d'émission, il annonce en direct l’évacuation du bâtiment. Sur le plateau, Jacky Bonnemains, de l'association Robins des Bois, salue le choix de la direction : "C’est vraiment une précaution nécessaire que de l’évacuer."

Dans l’après-midi, la préfecture communique : “L’usine ne stocke pas de produits radioactifs à des fins de production. Quelques instruments de mesure, sous scellés, comportaient des éléments radioactifs et n’ont pas été exposés au feu ni dégradés.” Deux ministres font le déplacement. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn assure que le gouvernement rendra "transparents la totalité des prélèvements réalisés hier et aujourd'hui". Mais elle reconnaît que “la ville est clairement polluée par les suies.” Il n'y a "pas de polluants anormaux dans les prélèvements effectués", complète Elisabeth Borne, ministre de l’Environnement.

Ces discours passent mal auprès d’une grande partie de la population. “On a dit à la radio que la ministre de la Santé se voulait rassurante. Mais je ne veux pas être rassurée. Je veux qu’on me dise la vérité”, s’indigne Aurélie. D’autant plus que dans la soirée, un nouvel élément vient effrayer les Rouennais. France Bleu Normandie révèle que, dans l’incendie,  une toiture contenant de l'amiante est partie en fumée.

Samedi 28 septembre

Un plant de maïs noirci dans un champ de Saint-Martin-du-Vivier, près de Rouen, le 30 septembre. (LOU BENOIST / AFP)

Au lever du jour, les journaux font état de l’ouverture d’un volet judiciaire : au moins cinq personnes portent plainte contre X. "Depuis 48 heures, on a reçu des appels de particuliers mais aussi d'entreprises", affirme l’un des avocats qui ont porté l'affaire, Jonas Haddad. Dans la foulée, le parquet de Rouen décide d'élargir l'enquête judiciaire pour "mise en danger de la vie d'autrui". Dans ce concert de reproches, le maire socialiste de Rouen, Yvon Robert, défend Lubrizol. L’entreprise, expose-t-il, "a toujours respecté les réglementations" et "a contribué aux progrès environnementaux. Les voitures consomment moins d'essence, consomment moins d'huile. C'est grâce aux additifs de Lubrizol." Pas facile à entendre pour les habitants qui attendent les analyses réalisées par les autorités. 

A midi, une pétition réclamant une "enquête sanitaire et environnementale sur les conséquences de l'incendie Lubrizol" franchit la barre des 22 000 signatures. Une cagnotte visant à financer “des tests de pollution, de manière indépendante et citoyenne" rassemble plus de 2 000 euros. Les analyses réalisées par les autorités montrent, elles, un "état habituel de la qualité de l'air" à Rouen à  "l’exception de la mesure effectuée sur le site de Lubrizol pour ce qui concerne le benzène", selon la préfecture. 

Deux jours après l’incendie, la préfecture de Seine-Maritime fixe par arrêtés des restrictions de mise sur le marché pour les exploitations agricoles de 112 communes du département. Elles concernent le lait, les œufs, le miel, les poissons d'élevage ainsi que les productions végétales et les aliments pour animaux. Les produits végétaux qui n'ont pas été récoltés avant jeudi ne doivent pas l'être. Quant aux récoltes potentiellement exposées aux suies ou aux fumées, elles doivent être consignées. 

Jeudi 26 septembre

Derrière des immeubles, la fumée noire qui s'échappe de l'usine Luzibrol à Rouen, le 26 septembre 2019. (THIBAUT DROUET / AFP)

Rouen, 2h48. La ville dort profondément. Rouen, ses "cent clochers", ses 110 000 habitants, mais aussi ses voisins, à Petit et à Grand-Quevilly, à Bois-Guillaume ou à Bonsecours, sont pour la plupart au fond de leur lit quand l’incendie se déclare dans un entrepôt de l’usine Lubrizol, un site classé Seveso “seuil haut”, installé quai de France, sur la rive gauche de la Seine.

Marie et son conjoint vivent à Mont-Saint-Aignan, une commune limitrophe. Un bruit sourd les réveille brusquement. Sous l’effet de la chaleur, des cuves de produits chimiques explosent. “Mon conjoint a cru que c’était un camion poubelle. Moi, j’ai tout de suite su que ce n’était pas ça. J’ai tout de suite pensé, soit à un attentat, soit à une explosion à l’usine. Je me suis souvenue tout de suite de l’accident survenu en 2013 à Lubrizol”, raconte la trentenaire.

Christophe Villemert, technicien vidéo chez France 3 Normandie, a, lui, pensé à l’orage, quand, vers 4h30, le bruit l’a tiré du sommeil. Il vit à un kilomètre à vol d’oiseau de l’usine. Il filme la scène : un nuage noir, titanesque, s’élève dans la nuit et file vers le Nord, poussé par le vent.

Incendie à Rouen : les explosions, "j'ai cru que c'était de l'orage"
Incendie à Rouen : les explosions, "j'ai cru que c'était de l'orage" Incendie à Rouen : les explosions, "j'ai cru que c'était de l'orage" (France 2)

Par leurs fenêtres, les Rouennais qui s’éveillent assistent au terrifiant spectacle, et apprennent qu’ils sont confinés chez eux. "Le feu a pris dans un stockage de produits conditionnés type additifs pour lubrifiants", indique France Bleu Normandie, citant la direction du site de l’usine. L’entreprise, qui fait partie du groupe américain Lubrizol Corporation, produit, entre autres, des additifs pour huile.

Un périmètre de sécurité et de confinement est mis en place dans un rayon de 500 mètres autour de l'usine et plus de 200 pompiers sont rapidement mobilisés, dont 130 sur place. A Petit-Quevilly, Nathalie, qui vit tout près de l’usine, reçoit trois coups de fils successifs de la mairie, dont le premier avant 6 heures du matin, pour l’informer de la mise en place du confinement.

A 7h30, les sirènes d'alerte sont déclenchées. La préfecture annonce que les établissements scolaires proches de l’usine sont fermés. Les personnes fragiles sont invitées à rester chez elles. Les citoyens sont incités à se tenir informés.

Comme beaucoup de riverains, Aurélie, médecin dans le centre de Rouen, ou Charline, qui vit sur l’île Lacroix, appliquent la consigne. A Malaunay, au nord de Rouen, Amélie, enseignante dans un lycée de Grand-Quevilly, reste aussi à la maison avec ses deux enfants. Impossible pour elle de traverser Rouen par le pont Flaubert, comme à son habitude. Comme d’autres axes proches de l’usine, il est fermé à la circulation. Grand-Quevilly, qui ne se trouve pas sous le nuage de fumée, n’a pas été listée par la préfecture. Mais des écoles y ferment également, faute de professeurs. Le mari de l’enseignante, en revanche, décide de se rendre malgré tout au travail. "C’est de l’inconscience. Il travaille à 30 mètres de l’usine Lubrizol", s’inquiète son épouse.  

  (AFP)

Sur les réseaux sociaux, les photos et les vidéos de l’incendie, ainsi que celles, angoissantes, du nuage, se multiplient. Dehors, des habitants de Rouen, des communes alentours, et parfois jusqu’à plusieurs dizaines de kilomètres du foyer de l’incendie, découvrent des traces d’une inquiétante suie noire, tombée du ciel et projetée au sol par la pluie, sur les balcons, dans les jardins et les champs.

A Rouen, les pharmacies qui vendent à l’unité des masques en papier sont dévalisées. A 13 heures, "l’incendie est maîtrisé", annonce le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner. Mais "il faudra plusieurs jours pour en venir totalement à bout, ajoute-t-il. Le panache de fumée fait 22 km de long sur six kilomètres de large. Comme tout panache de fumée, il comporte un certain nombre de produits dangereux, mais selon les analyses réalisées ce matin, pas de dangerosité particulière, même s'il faut éviter d'inhaler ces fumées", précise-t-il encore, avant de signaler la mise en place du plan Polmar pour contrer les risques de pollution de la Seine, située à proximité du site. A 15 heures, le Centre d’information au public (CIP) de la préfecture a déjà enregistré  plus de 1 200 appels d'habitants.

Et pour cause, les premiers symptômes se font sentir. Pour rentrer chez elle et en l’absence de transports en commun, Audrey, une étudiante de Mont-Saint-Aignan, marche pendant une heure sous la pluie. "Quand je suis rentrée chez moi, je me suis rendu compte que ma peau me grattait et me brûlait à cause de l'eau. Quand on respire, on a envie de vomir, la tête qui tourne, la gorge qui brûle", confie-t-elle. Hébergement, covoiturage... Sur les réseaux sociaux, l'entraide s'organise. 

Chez les éleveurs et les agriculteurs, c’est le branle-bas de combat. La préfecture leur demande de "rentrer les animaux, sécuriser leur alimentation et leur abreuvement en les mettant à l'abri" et de "suspendre les récoltes". "Il est important que les animaux ne consomment pas d’aliments souillés", précise-t-elle dans un communiqué publié à 17h30.

L’odeur, un mélange d'œuf pourri et d'essence, s’infiltre dans les appartements. Charline n’est pas parvenue à calfeutrer une bouche d’aération. Elle et sa petite fille de 1 an toussent beaucoup. Chez Aurélie aussi, dans le centre-ville, l’odeur devient insoutenable. Avec son mari et ses enfants, la médecin quitte la ville pour se mettre à l’abri à 65 km de là, à Dieppe. Charline, elle, part pour l'Eure avec sa fillette. Dieppe, Caen, Le Havre, la Picardie, Rennes, Paris… Ceux qui le peuvent quittent  Rouen dès le jeudi soir, emportant dans leurs voitures ce parfum d'hydrocarbures.

Dimanche 29 septembre

Carte situant les 206 communes concernées par des arrêtés visant à limiter certaines activités agricoles et à restreindre la mise sur le marché de produits alimentaires d'origine animale et végétale. (FRANCEINFO)

Dans les Hauts-de-France, les services de l'Etat procèdent à un recensement des territoires "susceptibles" d'avoir été touchés par des suies. A Rouen, les odeurs d’hydrocarbures persistent alors que les habitants procèdent au grand nettoyage. "Le salon de jardin qui est en plastique blanc et qu'on avait laissé dehors est devenu tout gris", raconte Michel, un père de famille de Mont-Saint-Aignan. Au menu du week-end : jet d’eau dans le jardin et à l’extérieur de la maison. Dans les écoles aussi, l’heure est au nettoyage en vue de la réouverture prévue le lendemain.

Dans l’après-midi, le rectorat annonce que toutes les écoles, collèges et lycées de Seine-Maritime seront ouverts lundi, après contrôle et nettoyage des établissements souillés (soit 194 d’entre eux). Au total, 237 écoles ont été fermées dans l'agglomération de Rouen.

Accusé d’être trop peu présent, le gouvernement se défend. En début d’après-midi, Edouard Philippe s’exprime en marge d'un déplacement à Guidel (Morbihan) pour l'université du MoDem. "Pour faire face à l'inquiétude légitime des populations, il n'y a qu'une solution : le sérieux et la transparence complète et totale", plaide le Premier ministre. Mais les Rouennais n’ont plus confiance. Et pour cause : la liste des produits stockés dans la partie de l’usine ravagée par les flammes n’a toujours pas été communiquée.

Lundi 30 septembre

Un écolier équipé d'un masque en papier attend le bus, près d'une école de Rouen, lundi 30 septembre 2019.  (LOU BENOIST / AFP)

Elèves et enseignants ne sont pas tous au rendez-vous quand la cloche sonne ce lundi matin. Dans trois collèges, des professeurs font usage de leur droit de retrait. "Nous estimons que la situation actuelle présente un danger grave et imminent pour [nous] et les élèves", écrivent, dans une lettre, 26 professeurs du collège Georges-Braque.

Aurélie, la médecin rouennaise partie jeudi à Dieppe, n’a pas mis ses enfants à l'école, comme de très nombreux parents. Son époux a posé une journée pour les garder et elle s’en chargera le lendemain. Hors de question pour elle de rapatrier sa petite famille : "Mercredi, [les enfants] iront chez leurs grands-parents, en Picardie, jusqu'à la fin de la semaine. Pour ma part, je rentrerai mercredi et on avisera, en fonction de l'odeur, si elle est encore là ou pas."

Avant de se décider à donner cours, lundi, Amélie s’est également assurée que l’air était respirable. "Sinon, je serais restée chez moi", explique-t-elle. Mais elle prévient : "Je vais écrire sur le registre sécurité de mon lycée que je suis obligée, pour me rendre sur mon lieu de travail, de passer par Rouen." Charline et sa petite fille de 1 an ont quitté l’Eure et ont retrouvé leur appartement.  L'odeur va et vient, elles sont constamment malades. Comme Marie, qui a un rendez-vous chez le médecin dans l’après-midi. Ses symptômes n’ont pas disparu. La veille, ils ont même empiré, la poussant à appeler le Samu. 

Dans l’après-midi, la métropole de Rouen publie sur Twitter des analyses effectuée par l’agence régionale de Santé sur l’eau distribuée sur les 71 communes de la Métropole Rouen Normandie : elle est potable. "Aucune trace de contamination n’a été relevée", affirme-t-elle, signalant aussi la mise à disposition des habitants de la métropole d’un numéro vert : 0 800 021 021. Qu’importe, Amélie, Hélène et Marie ne boivent plus l’eau du robinet depuis quatre jours, comme beaucoup d’habitants de l’agglomération. L’ARS Normandie a beau rappeler que "l'eau du robinet peut être consommée sans risque pour la santé", ses appels à la sérénité s’évanouissent.

A 15 heures, le corps préfectoral trouve néanmoins le temps de respecter la minute de silence en mémoire de Jacques Chirac, et de publier sur Twitter la photo de ce recueillement. Une maladresse de plus, estiment des internautes rouennais, qui se sentent abandonnés. 

Alors que France Bleu Normandie apprend qu’”une plainte contre X” a été déposée samedi pour "destruction involontaire par explosion ou incendie par violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence", Edouard Philippe arrive à Rouen. Sur place, il reconnaît que "les odeurs que nous sentons (...) sont effectivement très dérangeantes". "Mais elles ne sont pas nocives, martèle-t-il. C'est ce que me disent les scientifiques." 

Mardi 1er octobre

Une manifestation à Rouen, mardi 1er octobre, après l'incendie, le jeudi 26 septembre, de l'usine Lubrizol.  (LOU BENOIST / AFP)

Une mauvaise nouvelle réveille encore les Rouennais. Cinq jours après l'incendie de l'usine Lubrizol, le site de fabrication d'engrais Borealis déclenche son plan d'organisation interne après une perte d'alimentation électrique. Comme Lubrizol, le site est classé Seveso seuil haut. C’est est trop pour Nicolas. "J’ai l’impression que les usines vont péter les unes après les autres", s'inquiète ce comédien de 38 ans. Une courte balade dans son quartier et un puissant mal de tête plus tard, il envisage de quitter la ville. "Définitivement." Il se prépare à manifester devant la préfecture, en début de soirée. Comme tout le monde à Rouen, il veut connaître la liste des produits stockés dans l’usine.

Aux plaintes des citoyens s’ajoutent celles des ONG. Par le biais de son association Respire, l'ex-ministre de l'Environnement et avocate Corinne Lepage annonce qu’elle va déposer un "référé constat" devant le tribunal administratif de Rouen. Une procédure d'urgence "qui permet d'avoir des informations dans un délai très court". L'association Générations futures porte également plainte contre X pour "mise en danger d’autrui" et "atteintes à l’environnement."

Il est 17h30 quand le préfet, cinq jours après les faits, donne quelques résultats d'analyses. "En ce qui concerne l'amiante dans l'air, on est sur le bruit de fond des fibres d'amiante dans l'air, des niveaux extrêmement faibles, assure Patrick Berg, directeur de la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) de Normandie. On peut estimer qu'avec cette première série de relevés, il n'y a pas de risque lié à l'amiante."

Evoquant le traitement des fûts "endommagés" sur le site de Lubrizol, le préfet précise qu'"il (en) restait de l'ordre de 1 000 dont 160 sont en état délicat". Pour ces 160 fûts, "un protocole d'intervention est en cours de finalisation que je devrais signer dès ce soir", afin de permettre, dans les prochains jours, leur évacuation.

Mais après une petite semaine d'échanges chaotiques, la rue n'entend plus. En début de soirée, près de 2 000 personnes défilent, malgré la pluie, dans le centre-ville de Rouen. "Lubrizol coupable, l'Etat complice !" scandent les manifestants. Ils sont professeurs, éleveurs, militants ou riverains de l'usine.

La liste des 5 253 tonnes de produits chimiques qui ont brûlé dans l'incendie est finalement  publiée dans la soirée sur le site de la préfecture. Dans la foule se trouve Guillaume Blavette, membre de l'association France nature environnement. Il a appris la publication de ces données tant attendues. Il réagit avec scepticisme. "Les informations ne sont ni complètes, ni sincères !" Un avis partagé par beaucoup de riverains excédés et épuisés par cinq jours dans un nuage d'hydrocarbures, d'angoisses et de doutes.  

Texte : Marie-Adélaïde Scigacz et Anne Brigaudeau

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