Racisme : "Il existe une spécificité corse sur la forme, pas sur le fond"
La sociologue Liza Terrazzoni revient sur les incidents racistes du 25 décembre à Ajaccio, accompagnés d'appel au meurtre et du saccage d'un lieu de prière.
"Il faut les tuer !" Les slogans racistes (Arabi fora !, les Arabes dehors !) se sont mués en appel aux meurtres, vendredi 25 décembre, lors de la manifestation de soutien aux pompiers agressés la veille, le soir de Noël, dans le quartier des Jardins de l'Empereur, à Ajaccio. Et une salle de prière musulmane a été saccagée lors de ce même rassemblement de quelques centaines de personnes, qui a rapidement dégénéré.
Que se passe-t-il dans l'Ile de Beauté ? Les Corses sont-ils plus racistes qu'ailleurs ? Les réponses de Liza Terrazzoni, sociologue attachée au Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (Cadis-EHESS) et spécialiste des "relations interethniques" en Corse.
Francetv info : Des appels aux meurtres racistes ont été ouvertement scandés par des manifestants le 25 décembre, aux Jardins de l'empereur à Ajaccio. Serait-on plus raciste en Corse qu'ailleurs?
Liza Terrazzoni : Non. C'est dangereux de poser la question en ces termes là et c'est important de resituer ce qui s'est passé en Corse dans un contexte plus large, celui des tensions identitaires extrêmes en France, avec une cristallisation sur la question des appartenances, la stigmatisation des migrations et de l'islam. Ce que j'ai pu observer dans les travaux que j'ai menés, c'est le phénomène de vases communicants. Quand des violences qui sont recensées comme racistes par la Commission nationale consultative des droits de l'homme se produisent en Corse, on remarque qu'elles s'inscrivent dans un pic de violences à l'échelle nationale, et cela depuis les années 1980. Regarder ce qui se passe en Corse comme quelque chose de spécifique empêche de voir le glissement de la société française sur ces questions. Cela fait oublier que ce type d'événements se déroule aussi ailleurs.
Les revendications des manifestants croisent des inquiétudes liées au fait urbain, avec le fantasme de l'insécurité qui arrive en Corse, et à la peur de l'islamisation qui s'inscrit dans un contexte post-attentats. Mais il faut voir que, depuis le 13 novembre, il y a eu beaucoup de mosquées vandalisées en France. Donc il faut rester prudent. On ne peut pas faire de généralité en pointant le racisme des Corses. Il est spécifique dans sa forme, mais pas spécifique dans le fond.
Et quel est le contexte local, dans ce quartier d'Ajaccio ?
Les Jardins de l'Empereur sont un quartier enclavé, situé sur les hauteurs de la ville, qui est laissé à l'abandon par les institutions et sur lequel il est par ailleurs difficile d'avoir une action car c'est un quartier de copropriétaires. Le chômage avoisine les 25%, avec une partie des logements qui sont insalubres, et une population majoritairement étrangère ou d'origine étrangère. Un quartier assez symptomatique de la situation sociale qu'on peut retrouver dans d'autres villes de France, avec un noyau de petits délinquants qui, somme toute, reste faible.
Mais il faut rappeler que le racisme, en Corse comme partout, c'est l'instrumentalisation de différences culturelles pour justifier des inégalités sociales. En Corse, la majorité de la population ouvrière est étrangère. La population marocaine et tunisienne occupe souvent les emplois très peu qualifiés Donc on est dans une situation sociale marquée par de fortes inégalités, dans une ville clivée, avec des clivages sociaux qui viennent parfois recouvrir des clivages ethniques.
N'y a-t-il pas néanmoins des spécificités corses ?
On ne peut pas nier la spécificité de ce qui se passe aujourd'hui en Corse parce que la situation prend une dimension spectaculaire, avec une forte intensité. En Corse, la violence est un moyen de résoudre les conflits. Il y a des individus, des groupes qui cherchent à se substituer en quelque sorte aux institutions, ce qui en dit long sur le rapport à l'Etat, plus distant qu'ailleurs. D'autre part, la violence est très présente en Corse depuis très longtemps et son exercice est devenu banal lorsqu'il s'agit d'identité, mais sur la forme, pas sur le fond.
Les relations interethniques en Corse reposent effectivement sur un antagonisme entre ceux qui sont considérés et se considèrent comme corses et les autres. On classe qui est corse et qui ne l'est pas en fonction, par exemple, de l'appartenance à telle ou telle famille, tel ou tel village. Il y a une hiérarchisation, en fonction d'une origine assignée ou revendiquée, hiérarchisation qui est d'abord une construction sociale.
Les élections régionales qui ont porté à la tête de l'exécutif corse le nationaliste Gilles Simeoni ont-elles pu doper les sentiments racistes ?
Il faudrait d'abord faire des entretiens avec ceux qui sont impliqués dans ces affaires-là pour savoir s'il y a corrélation. En attendant, c'est un peu tôt pour tirer ce genre de conclusions. Par ailleurs, c'est un terrain assez glissant : s'il y a des corrélations à faire au niveau politique, on peut les faire au niveau local, mais alors aussi au niveau national. Les institutions nationales débattent depuis plusieurs mois, et même depuis plusieurs années, avec les termes du Front national, qui est arrivé en première ligne aux dernières élections. En outre, la classe politique nationaliste a fermement condamné ces manifestations racistes.
Rappelons aussi que ce ne sont pas des centaines de personnes qui ont crié des slogans racistes. A l'origine, il y a un mouvement citoyen, des centaines de personnes qui se réunissent à la préfecture pour dénoncer l'agression des pompiers. Ce mouvement a été noyauté par une poignée d'extrémistes, qu'ils soient des extémistes de droite, des extrémistes nationalistes ou des extrémistes tout court.
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