Meurtre de Shaïna : avant le procès devant la Cour d'assises, la famille espère "une sanction exemplaire"
Elle s'appelait Shaïna Hansye, avait 15 ans. Elle est morte brûlée vive après avoir été plusieurs fois poignardée. Le drame s'est passé dans une cité, le Plateau du Rouher à Creil (Oise) en octobre 2019. Alertés par des adolescents, les policiers de Creil avaient découvert la dépouille calcinée de Shaïna près d'un cabanon, sous des débris. Un tronc et un crâne, face contre le sol. La lycéenne de seconde avait été poignardée puis embrasée vivante par les cheveux. Un mode opératoire glaçant.
Glaçant aussi, le parcours de la jeune fille : victime trois fois. À 13 ans, Shaïna avait subi ce que dans la cité on désigne comme une tournante : un viol collectif. Pour avoir osé porter plainte, elle avait été passée à tabac ensuite et pointée du doigt comme une délatrice et une fille facile. Les qualificatifs les plus insultants circulaient. Selon l'accusation, celui qui sera dans le box avait une liaison avec Shaïna justement parce qu'il la considérait comme facile. Il n'aurait pas supporté ensuite qu'elle tombe enceinte. Un des codétenus de l'intéressé a plus tard confié qu'il lui avait dit : "Plutôt prendre trente ans de prison que d'être le père d'un bâtard". Un autre certifie qu'il lui aurait expliqué avoir tué sa copine "parce qu'elle était une pute", qu'il avait "mise enceinte", et qu'il n'était "pas question que sa mère l'apprenne".
Les experts qui ont examiné le mis en cause décrivent une "organisation névrotique peu construite", un individu ayant "une passion pour sa propre image" et un certain "détachement" au sujet des faits qu'on lui reproche.
Le procès se tiendra probablement à huis clos
Le grand frère de Shaïna, Yasin Hansye, 24 ans, dit espérer "une sanction exemplaire". "Mon regard va croiser le sien pour la première fois à l'ouverture de ce procès mais je n'appréhende pas ce moment", dit-il.
"Avec mes parents, nous avons même hâte d'être face à lui. Déterminés, en colère, mais dignes."
Yasin Hansyeà franceinfo
Yasin Hansye organise avant l'audience, lundi 5 juin, un rassemblement en hommage à sa petite sœur, dont il était très proche. "C'est aussi un rassemblement pour ceux qui voudraient nous apporter leur soutien", ajoute-t-il. Car ils ne pourront pas le faire en venant assister à l'audience. Celle-ci se tiendra très vraisemblablement à huis clos, l'accusé étant mineur à l'époque des faits.
La Fondation des Femmes a demandé à se porter partie civile pour ce procès, à y être représentée en tant qu'association de lutte contre les violences faites aux femmes. "C'est la première fois qu'on souhaite ainsi se situer directement aux côtés d'une famille victime d'un féminicide pour un procès. Ce dossier est terriblement emblématique de la haine que peut parfois susciter la liberté des femmes".
Me Negar Haeri, l'avocate de la famille de Shaïna, salue cette initiative. Pour elle, le drame de Shaïna n'est pas un simple fait-divers mais un fait de société : "Il faut qu'on comprenne comment une jeune fille en France peut finir brûlée vive, peut subir un tel calvaire avec ce point final qui exprime la haine que l'auteur des faits pouvait avoir pour qui elle était."
"Ce n'est pas seulement Shaïna qu'on a tuée, c'est tout ce qu'elle représentait, c'est-à-dire une femme libre. On ne lui a pas pardonné sa liberté."
Negar Haeri, avocate de la famille Hansyeà franceinfo
L'accusé a échangé de nombreux SMS avec Shaïna le jour de sa mort. Il est soupçonné de lui avoir tendu un guet-apens. Un de ses copains du quartier dit, lui, avoir recueilli le soir même son récit détaillé, étape par étape, comme s'il était fier et se vantait de ce qu'il venait d'accomplir, avec à ce moment-là sur ses chaussures – se souvient le garçon – des traces rouges, comme des éclaboussures de sang. Confronté plus tard à ce témoignage, le mis en cause dénonce des mensonges. Son ADN n'a pas été retrouvé sur la scène de crime mais son portable bornait dans la zone jusqu'à 22h, l'heure présumée de la mort de Shaïna, où l'appareil est subitement éteint.
Il y a aussi sa brûlure à la jambe, ses rougeurs au visage après les faits, l'analyse de son ordinateur qui révèle le soir même des recherches internet sur les jugements et les cours d'assises. Les heures suivantes, il consultera aussi depuis ce PC les nombreux articles que la presse locale a consacrés à la mort de Shaïna. Il expliquera que c'était juste un intérêt pour cette affaire proche de lui, et au sujet de laquelle, dans le quartier, des rumeurs infondées le mettant en cause circulaient.
L'accusé se dit "complètement innocent"
Le jeune homme (17 ans à l'époque, 20 ans aujourd'hui) a, malgré ce faisceau d'indices, toujours nié toute implication dans la mort de la jeune femme. Face aux enquêteurs, puis face au juge d'instruction, il a livré différentes versions de son emploi du temps le soir du drame. Souvent, il a préféré ne pas répondre à leurs questions, garder le silence, se contentant de se dire "complètement innocent".
"Il n'y a aucune preuve établie. On a le terrible sentiment que dans cette affaire, on a commencé par désigner un coupable tout trouvé, et qu'on a construit ensuite tout autour de cette désignation un dossier pour essayer de montrer qu'il était nécessairement auteur des faits", commente Elise Arfi, une des deux avocats de l'accusé. Selon elle, des actes d'enquêtes essentiels n'ont pas été réalisés, des pistes sérieuses ont été négligées, à commencer par celle des individus qui précédemment s'en étaient pris à Shaïna et qui auraient pu lui en vouloir d'avoir parlé.
La Cour d'assises des mineurs de l'Oise doit rendre son verdict vendredi 9 juin.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.