Cet article date de plus de neuf ans.

L'article à lire pour comprendre l'affaire "Air Cocaïne"

Article rédigé par franceinfo - Estelle Walton
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Pascal Fauret et Bruno Odos, lors de leur première comparution devant un tribunal de Saint-Domingue, en mars 2013, pour l'affaire "Air Cocaïne".  (ERIKA SANTELICES / AFP)

Les deux pilotes qui ont fui la République dominicaine vont maintenant devoir répondre à la justice française. Mais de quoi sont-ils vraiment accusés ? Francetv info vous aide à faire le point sur une affaire vieille de plus de deux ans.

Rentrés en France depuis samedi, les deux pilotes poursuivis en République dominicaine dans l'affaire "Air Cocaïne" continuent de clamer leur innocence et seront bientôt entendus par la justice française. Mais, avec ses nombreuses zones d'ombre, ce feuilleton judiciaire, qui dure depuis deux ans et demi, peut s'avérer un peu difficile à suivre. Francetv info vous aide à faire le point. 

C'est quoi cette histoire d'"Air Cocaïne" ?

Tout commence dans la nuit du 19 mars 2013. Sur le tarmac de Punta Cana, en République dominicaine, un avion privé Falcon 50 est arrêté juste avant son décollage en direction de la France. A bord se trouvent quatre Français : les deux pilotes, Pascal Fauret et Bruno Odos, l’apporteur d'affaires Alain Castany, et enfin l’unique passager, Nicolas Pisapia.

Dans l’avion, les autorités dominicaines trouvent 26 valises entassées dans la soute et à l’arrière de l’appareil. Elles sont remplies de près de 700 kilos de cocaïne, pour une valeur marchande de 20 millions d’euros. Les quatre Français sont alors interpellés, tout comme une quarantaine d’agents des douanes, de la police antidrogue et des services migratoires de l'île. Commence alors l’affaire "Air Cocaïne", un feuilleton rythmé par les reports d’audience et autres retards pris par la justice dominicaine pour traiter l’affaire.

Qui sont Pascal Fauret et Bruno Odos ?

Ce sont les deux pilotes qui devaient faire décoller l’avion. Pascal Fauret, 55 ans, et Bruno Odos, 56 ans, sont des anciens de l’aéronavale et amis de longue date. Ils ont été décorés à plusieurs reprises pour les services qu'ils ont rendus à la France lors de différentes opérations, notamment en ex-Yougoslavie et dans le Golfe, rappelle Ouest France

Les deux hommes, chacun père de quatre enfants, se sont ensuite reconvertis dans l’aviation d’affaires. C’est dans le cadre d’un vol pour l'entreprise de location Société nouvelle TransHélicoptère Services (SNTHS) qu’ils s’apprêtaient à décoller vers la France.

Que leur reproche-t-on ?

Les autorités dominicaines, et plus précisément la Direction nationale de contrôle des drogues (DNCD), suspecte les quatre Français de faire partie d’un réseau international de trafic de cocaïne qui relierait la République dominicaine à la France. Selon la justice dominicaine, ce réseau serait lié à la mafia marseillaise.

Après quinze mois de détention provisoire dans une prison de haute sécurité, ils sont libérés le 21 juin 2014, dans l'attente de leur jugement. En août 2015, ils sont déclarés coupables de "trafic de substances illicites et trafic international" et condamnés à vingt ans de prison. Leurs dix coaccusés dominicains, membres de différents organes de sécurité publique ou aéroportuaire, sont acquittés ou écopent de peines moins lourdes. Les Français font immédiatement appel, et sont laissés libres jusqu’au nouveau procès. Mais ils n’ont pas le droit de quitter le pays.

Si le procès en appel était programmé, pourquoi ne pas l'avoir attendu en République dominicaine ?

Bruno Odos et Pascal Fauret, qui ont toujours démenti les accusations les concernant, disent avoir été piégés par les autorités dominicaines. A ce jour, ils continuent de clamer leur innocence et affirment n’avoir jamais vu la drogue. Pour eux, cette affaire est une mise en scène. "On n'a jamais été interrogés, entendus" au cours de l'instruction, dénonce Bruno Odos, évoquant "une histoire" créée par l'accusation : "La vérité, c'est qu'on a juste fait notre travail."

Leur procès a été reporté trois fois, ce qui, pour leurs avocats, constitue une violation du droit à bénéficier d’une justice rapide. Au moment de l'audience devant le tribunal de Saint-Domingue, les témoins se contredisent, des rapports se révèlent incomplets, des preuves semblent falsifiées, explique "13h15 le samedi"



En rentrant en France, les deux pilotes espèrent pouvoir profiter du système judiciaire français. L'avocat des pilotes, Jean Reinhart, indique à France 2 qu'ils sont "venus en France pour trois raisons : chercher la justice, se soigner et voir leurs familles".

C’est si facile que ça, de s’évader de la République dominicaine ?

Pas vraiment, non. Mais il est difficile d’en savoir plus, les deux pilotes ayant refusé de se confier sur les circonstances de leur périple. "Les modalités, on n’en parle pas", a résumé Eric Dupond-Moretti, qui défend désormais Pascal Fauret.

Ce que l’on sait, c’est que leurs passeports avaient été confisqués, et qu’ils auraient rejoint en bateau l’île franco-néerlandaise de Saint-Martin, avant d’embarquer vendredi sur un vol d’Air Caraïbes pour la Martinique. Depuis là, ils auraient rejoint la métropole samedi par un vol régulier. Ils ont fait le voyage grâce à des cartes d'identité refaites récemment, selon les informations de France 2. 

Parmi les personnes ayant pu contribuer à leur évasion, revient le nom de l'eurodéputé FN Aymeric Chauprade. Il a dîné avec les pilotes juste avant leur fuite, dont il connaissait le projet. "Je ne commente pas les modes opératoires", lâche l'élu, qui ne confirme ni n'infirme sa participation à l'opération.

Selon une source proche du dossier contactée par Le Monde, "des Dominicains et des agents de l’Etat français", commandos de marine et agents de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), "ont participé à cette exfiltration, sans avoir reçu de feu vert officiel de leurs Etats respectifs". Un scénario balayé par l'avocat de Pascal Fauret, Eric Dupont-Moretti, qui parle "d'initiatives personnelles". Le Quai d'Orsay, lui, dément toute implication et affirme n'avoir été au courant de rien.  

Vient ensuite Christophe Naudin, spécialiste de la sécurité aérienne. Au micro de RTL, le criminologue et proche ami des deux pilotes affirme qu'il connaissait "tous les détails de l'opération", qui aurait coûté "un peu moins de 100 000 euros". 

>> Lire aussi : "Air Cocaïne" : cinq questions sur l'évasion des pilotes

Et en rentrant en France, ils sont tirés d’affaire ?

Rien n’est moins sûr. Car même si le gouvernement français a assuré que les pilotes ne seraient pas renvoyés en République dominicaine, ces derniers, ainsi que leurs deux compatriotes restés sur l'île, sont toujours mis en examen sur le sol français. Les pilotes ont indiqué vouloir se mettre à disposition de la justice française, et devraient bientôt être entendus à Marseille.

Une instruction judiciaire a en effet été ouverte pour "importation de stupéfiants en bande organisée et association de malfaiteurs", dès mars 2013. L’enquête vise le vol de Punta Cana mais aussi d'autres vols transatlantiques réalisés par la société SNTHS et considérés comme suspects. Dix personnes sont mises en examen, récapitule Le Figaro. L'une d'elles se trouve en détention provisoire. Il s'agit de Franck Colin, un habitué de la jet-set de la Côte d'Azur soupçonné d'avoir organisé le trafic pour le compte de trafiquants espagnols.

L'affaire "Air Cocaïne" est tellement complexe que deux journalistes du Point lui ont consacré un livre, dans lequel ils détaillent ses zones d'ombre. Interrogés par le journal Le TempsJérôme Pierrat et Marc Leplongeon affirment que l'affréteur du jet serait un playboy français installé en Roumanie et soupçonné de blanchiment d’argent à grande échelle. 

Il y avait d'autres types avec eux, que vont-ils devenir ?

Bien vu. Si les deux pilotes sont rentrés chez eux, Nicolas Pisapia et Alain Castany, condamnés eux aussi à vingt ans de prison, sont toujours aux mains de la justice dominicaine.

Et autant dire qu’ils sont très inquiets. Alain Castany, l'entremetteur, a été récemment fauché par une moto et dit risquer l’amputation. Il demande un rapatriement sanitaire. Pour son avocat, l’évasion des pilotes est "un abandon pur et simple, voire une mise en danger" de son client.



De son côté, Nicolas Pisapia a l’intention d’attendre le procès en appel, prévu pour 2016. Son avocat craint cependant une "vengeance" de la justice dominicaine, et considère que son client pourrait devoir retourner en prison.

Des craintes balayées par les deux pilotes. Sur France 2, Bruno Odos estime que "s'il se passe quelque chose de mal pour eux, ce sera la preuve que cet Etat n'en est pas un. On ne condamne pas les gens en vrac."  

Dans cette histoire, j'ai entendu parler aussi de Sarkozy, d'Afflelou… C'est quoi le rapport ?

Pour Alain Afflelou, c’est assez simple : l'opticien est le propriétaire de l’avion, qu’il utilisait pour ses déplacements personnels. Quand le Falcon était disponible, il le louait à la SNTHS pour en amortir le coût. C’était le cas le jour de l’arrestation de l'équipage à Punta Cana.

En ce qui concerne Nicolas Sarkozy, c’est plus complexe. Son nom est apparu dans le volet français de l’affaire, qui concerne la SNTHS. Comme le racontent les journalistes du Point (article réservé aux abonnés), des perquisitions au siège de la société ont révélé que l’ancien président avait utilisé leurs services à trois reprises entre décembre 2012 et mars 2013. Mais, rappelle Le Monde, "ce volet du dossier a finalement été jugé sans lien avec le trafic de stupéfiants et a été confié aux magistrats du pôle financier" qui enquêtent sur un possible abus de biens sociaux, loin de l'affaire "Air Cocaïne". 

J'ai eu la flemme de tout lire, alors j'ai scrollé vers le bas. Je peux avoir un petit résumé ?

L'affaire "Air Cocaïne" commence le 19 mars 2013 en République dominicaine, lorsque quatre Français sont arrêtés sur le tarmac de l'aéroport de Punta Cana. Dans leur avion à destination de la France, 700 kg de cocaïne. Après deux ans et demi de procédure, ils sont condamnés, en août 2015, à vingt ans de prison pour trafic international de substances illicites. Restés en liberté avant leur procès en appel, deux d'entre eux, Pascal Fauret et Bruno Odos, ont fui le pays pour rentrer en France, dans des circonstances assez mystérieuses. Clamant leur innocence, ils affirment avoir été piégés par les autorités. Les deux autres Français se trouvent toujours en République dominicaine et craignent des représailles judiciaires.

Mais les ennuis des deux pilotes ne sont pas terminés. Ils devront s'expliquer devant la justice française, qui les a mis en examen dans cette affaire en 2013. 

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