Soupçons de conflits d’intérêts visant Éric Dupond-Moretti : le ministère de la Justice perquisitionné pendant 15 heures
Cette perquisition était liée aux anciennes activités d'avocat du garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti.
Une perquisition a eu lieu jeudi 1er juillet au ministère de la Justice, place Vendôme à Paris. Cette perquisition, menée par les gendarmes de la section de recherche de Paris, a duré quelque 15 heures et ne s'est terminée que dans la nuit de jeudi à vendredi. C'est une première même pour les juges de la Cour de Justice de la République, sous les ordres desquels l'opération s'est déroulée. C'est la seule juridiction qui peut enquêter sur des ministres en exercice.
Cette perquisition s'est déroulée dans le cadre d’une enquête portant sur des soupçons de conflits d’intérêt visant Éric Dupond-Moretti, liés à ses anciennes activités d’avocat. Le garde des Sceaux était présent lors de cette perquisition et s'est dit, par l'intermédiaire de son avocat, "serein" face à cette procédure.
L'information judiciaire ouverte en janvier 2020
Éric Dupond-Moretti est visé par des plaintes déposées le 16 décembre 2020 par trois syndicats de magistrats, ainsi que par l’association Anticor. Ils lui reprochent notamment d’avoir lancé en septembre des poursuites administratives contre trois magistrats du Parquet national financier (PNF) qui ont participé à une enquête préliminaire visant à identifier la taupe qui aurait informé Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog qu’ils étaient sur écoute. C’est le dossier dit des "fadettes".
"On est chez les dingues", avait réagi vendredi 26 juin 2020 sur franceinfo Éric Dupond-Moretti après les révélations de l’hebdomadaire Le Point qui affirmait qu'en 2014 le PNF avait demandé à des enquêteurs d'éplucher les relevés téléphoniques (les "fadettes") de plusieurs avocats pour identifier la taupe, dans l'affaire Paul Bismuth, dont Éric Dupond-Moretti. Ce dernier avait déclaré sur franceinfo : "Il y a quelques juges qui dérapent et dérivent complètement". Une "République des juges", c’est "un grand danger pour la démocratie". Il s’était dit également "stupéfait" qu’on ait pu "fouiller dans ma vie privée, dans ma vie intime, dans ma vie professionnelle en épluchant des fadettes pendant 15 jours, en me géolocalisant. C’est du jamais vu dans une enquête secrète que je qualifie de barbouzade".
Une information judiciaire pour prise illégale d’intérêts a été ouverte le 13 janvier 2020 contre le ministre et ancien avocat après ces plaintes.
L'affaire des "fadettes" mais aussi le cas du juge Levrault
Un autre dossier intéresse les enquêteurs et magistrats : celui du magistrat Édouard Levrault, juge d’instruction à Monaco. À peine nommé ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti avait lancé une procédure administrative contre le juge en question, car il avait été choqué par les méthodes du magistrat dans un dossier où lui défendait, comme avocat, un policier soupçonné de corruption. Il avait critiqué les méthodes de "cow-boy" du juge, qui s'était exprimé à la télévision sur cette affaire après son départ forcé de Monaco.
Le ministre de la Justice a été officiellement écarté de ces enquêtes et de toutes les affaires en lien avec ses anciennes activités d'avocat, en vertu d'un décret de "déport" vers le Premier ministre Jean Castex. Ce dernier a lui déjà été entendu le 7 juin dans l'affaire des "fadettes", en tant que témoin.
"Ni initiative, ni impulsion" du ministre, selon son entourage
L'entourage du garde des Sceaux dénonce, "l'annonce mardi soir par Le Canard enchaîné de cette perquisition" qui constitue, selon lui "une violation du secret de l’instruction". "Nous regrettons également la publicité immédiatement donnée au déroulement de cette mesure, nouvelle violation du secret", ajoute cette source. La perquisition intervient près d’un an après les faits dont la Cour de justice de la République a été saisie. "Ce caractère tardif ne manque pas d’étonner alors même que les avocats d’Éric Dupond-Moretti ont pris le soin de transmettre dès l'annonce de l'ouverture de l'enquête tous les éléments utiles", affirme-t-elle à franceinfo.
Dans chacun des deux dossiers évoqués, "il n’y a eu ni initiative, ni impulsion de la part d’Éric Dupond-Moretti, la décision découle naturellement du travail de l’administration", souligne l’entourage du ministre. "À chacune des étapes, à chacun des échelons, dans les échanges de mails qui seront versés au dossier, il apparaît clairement qu’un consensus se dégage au sein de l’administration pour saisir" l’Inspection générale de la justice (IGJ) "sans qu’aucune orientation de la décision par le garde des Sceaux n’ait été opérée", poursuit cette source. Dans ces deux dossiers, Éric Dupond-Moretti n’a fait que suivre "l’avis de son administration", affirme-t-elle à franceinfo.
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