: Récit "J’ai été interpellée par trois femmes qui cherchaient un enfant" : comment un village de l'Aisne a plongé dans l'horreur après la mort de Tom
Lundi soir, Tom, 9 ans, a disparu alors qu'il était parti cueillir des cerises en compagnie d'un ami et d'un adulte qu'il connaissait. Son corps a été retrouvé quelques heures plus tard, dans la cour d'une maison abandonnée du Hérie-la-Viéville.
"Mon copain, tu vas me manquer." À côté des bouquets de fleurs et de bougies, une poignée de messages d'enfants ont pris place, accrochés tant bien que mal sur le grillage de la petite baraque délabrée en briques rouges et en parpaings. Dans la cour, dont l'entrée est barrée d'un ruban jaune – "gendarmerie nationale, zone interdite" –, s'amoncellent des palettes et des tôles. Au seuil du jardin se dresse un cerisier. C'est dans cette maison inhabitée du Hérie-la-Viéville (Aisne) que le corps sans vie de Tom, 9 ans, a été retrouvé lundi 28 mai, "dénudé" et présentant "des traces de viol". Jeudi, un habitant du village, Jonathan M., a été mis en examen et écroué, soupçonné d'être l'auteur du crime.
Deux jours après la mort de l'enfant, l'émoi et la sidération planent sur le petit village de 230 âmes, niché dans les champs à 30 km à l'est de Saint-Quentin. En amont de la bourgade, sur la départementale 246 qui la traverse, un lieu-dit nommé La Désolation donne le ton du drame qui vient de se dérouler.
Parti cueillir des cerises
Ce lundi en fin d'après-midi, Tom enfourche son vélo et quitte la maison familiale, où il réside avec ses deux frères aînés et sa mère. Comme le font d'autres enfants dans le village, il part cueillir des cerises, déjà rougies par les premières journées ensoleillées. Le petit blond, fan de football qu'il pratique au club de Sains-Richaumont, le village voisin, est autorisé à jouer en dehors de son jardin depuis un ou deux ans seulement. Il faut dire que la commune n'est pas bien grande : en bordure de la départementale, on ne compte que huit autres rues, et quelques chemins de terre. En guise de centre-ville, la mairie, une église et un terrain de foot, que Tom et ses frères affectionnent.
C'est vers le jardin de cette maison abandonnée, à 400 mètres de chez lui, que se dirige Tom. Il y retrouve Alexandre, son meilleur ami, un peu plus âgé que lui, ainsi que Jonathan M., un voisin "un peu spécial" de 27 ans. Comment se sont-ils rejoints ? Tom et l'adulte ont-ils croisé Alexandre en chemin ? Est-ce Jonathan M. qui a suivi les deux enfants ? Les versions divergent. Les enquêteurs devront éclaircir les circonstances de leur rencontre.
Tom connaît bien Jonathan. Il était son "baby-sitter", assure la mère du suspect à franceinfo – elle avait auparavant déclaré que c'était la sœur de celui-ci qui gardait le petit garçon. "Ils avaient en tout cas des liens de connaissance, confirme Paul-Henri Delarue, l'avocat des parents de Tom, à franceinfo. Cet homme a un mode de vie marginal mais il est totalement établi dans le village et il est connu de la plupart des habitants." Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'ils se voient en dehors du domicile familial : une femme raconte avoir déjà vu Tom et ses frères à vélo discuter avec Jonathan M., devant la maison de ce dernier, située à quelques mètres.
Perçu dans le village comme un homme solitaire mais poli, ce passionné d'objets de la Première Guerre mondiale a un look qui ne passe pas inaperçu au Hérie, avec sa crête de cheveux roses et ses tatouages de mangas. Selon sa mère, il souffre par ailleurs de crises de schizophrénie, qui, jusqu'à présent, n'ont pas entraîné de violence.
"Je te rejoins tout de suite"
Vers 19 heures, la mère d'Alexandre, qui habite à côté de la maison abandonnée, sort sur le perron pour appeler son fils à table. L'enfant laisse son ami et lui rappelle : "Tom, t'as ton vélo." "Oui, vas-y, je te rejoins tout de suite", lui répond le garçon, selon un voisin. Mais Tom ne réapparaîtra pas.
Inquiète de ne pas voir son fils rentrer alors qu'un orage approche, la mère de Tom se lance à sa recherche à 19 heures. Vers 20h30, toujours sans nouvelles, elle prévient ses voisins. La nuit tombe quand "huit ou neuf personnes" s'organisent en petits groupes pour chercher l'enfant "partout dans le village", se souvient pour franceinfo un voisin qui a participé aux recherches. "J’ai été interpellée par trois femmes qui cherchaient un enfant", se rappelle une autre voisine. Découragée par "la pluie torrentielle" et "les éclairs" qui s'abattent sur le village, elle renonce à se joindre au groupe.
Jonathan M., lui, participe activement aux recherches, affirme Le Parisien. Le jeune homme explique à un voisin qu'il a vu Tom tomber d'un mur près de la maison abandonnée. "Je l’ai ramassé et ensuite il est parti", assure-t-il. "Il était serein, comme si de rien n'était. On n'aurait jamais pu le soupçonner", se souvient le voisin.
Les recherches n'ayant rien donné, la mère de Tom signale finalement la disparition aux gendarmes à 21h20. Vers 22 heures, ceux-ci arrivent dans le village et préviennent le maire, Mickaël Tellier. "Ils m'appellent pour que je les rejoigne. Ils veulent quelqu'un qui connaisse les lieux pour les aider", explique cet éleveur laitier à franceinfo. Il dirige immédiatement les militaires vers la maison au cerisier, qu'il sait abandonnée depuis la mort de son propriétaire, il y a un an.
Je sais que cette maison a un puits. Je pars vérifier avec le papa de Tom et un gendarme si le gamin est là-bas.
Mickaël Tellier, maire du Hérie-la-Viévilleà franceinfo
Le groupe arrive dans la cour peu avant 23 heures, alors que l'orage bat son plein. Caché sous une palette et des orties fraîchement coupées, le corps du garçonnet est découvert par Mickaël Tellier. L'enfant est quasi nu, simplement vêtu de chaussettes et d'un T-shirt remonté jusqu'au cou. Une "substance brillante" le recouvre, potentiellement un hydrocarbure, décrit le procureur de Laon. Comme si le meurtrier de Tom avait voulu détruire la preuve de son crime. Mais "la pluie conséquente a été de nature à interrompre un début d'allumage".
"On ne veut pas d'un autre petit Grégory"
Cette scène qu'il décrit peu, de peur de blesser la famille de Tom, Mickaël Tellier n'arrive pas à l'oublier. "Le papa est derrière moi quand je soulève la palette. Il aperçoit le corps, même si je pense que, grâce à ma présence, il ne l'a pas bien vu", détaille le maire avec émotion. Un parpaing ensanglanté est retrouvé à quelques mètres de la dépouille.
Avec le gendarme, nous bloquons le père de Tom pour qu’il ne prenne pas son fils dans ses bras. C’est dur, mais on pense aux preuves à conserver.
Mickaël Tellierà franceinfo
Les gendarmes préviennent leurs collègues de la brigade criminelle de Laon, qui viennent effectuer les premières constatations le soir même. Le parpaing ensanglanté est emmené pour réaliser des prélèvements ADN. "On fait attention à tout ce qui est présent sur la scène de crime, tout peut être une preuve", confirme à franceinfo l'un des gendarmes, qui refuse de donner plus de détails sur la scène.
Le pire serait que celui qui a fait ça puisse en réchapper grâce aux fuites dans la presse. On ne veut pas d’un autre petit Grégory...
Un gendarmeà franceinfo
"Vous avez retrouvé le gamin ?"
A 6 heures, le lendemain, alors qu'un insolent soleil se lève sur Le Hérie-la-Viéville, les gendarmes interpellent Jonathan M. à son domicile, dans une rue perpendiculaire à celle où le corps de Tom a été retrouvé. "Il est parti avec les gendarmes en voiture, sans résister", se rappelle sa voisine. Le procureur dira plus tard que Jonathan M. est le dernier à avoir vu le petit garçon en vie.
La zone est bouclée, le temps de permettre aux enquêteurs, accompagnés d'un chien renifleur, de perquisitionner la maison et d'effectuer des prélèvements dans les alentours. Cherchant des témoins, les gendarmes sonnent chez un voisin de Jonathan M. "Quand j'ai ouvert la porte, le premier truc que j'ai demandé, c'est : 'Vous avez retrouvé le gamin ?'" se souvient-il.
Il faut plusieurs heures pour que la nouvelle de la mort de Tom fasse le tour du village. Bientôt, les premiers journalistes arrivent et interrogent les habitants. Dans la petite commune où tout le monde se connaît, l'émotion est palpable. "Ce genre de tragédie arrive toujours ailleurs : on n'aurait jamais pensé que ça puisse avoir lieu ici", résume une femme.
A quelques kilomètres de là, à l'école de Sains-Richaumont, où était inscrit Tom, une cellule psychologique est mise en place pour rencontrer en priorité ses camarades de classe. Ce matin-là, certains élèves ne se sont pas présentés. D'autres, qui ont l'habitude de venir seuls, ont été accompagnés par leurs parents, terrorisés par la nouvelle de la mort du petit garçon.
La mairie du Hérie-la-Viéville met aussi en place une cellule psychologique, pour la famille de Tom et les habitants ayant participé aux recherches. Les parents de la petite victime sont les premiers à en bénéficier, mardi soir. Le lendemain, une reconstitution du crime est organisée, sur demande du procureur, pour en éclaircir les circonstances.
Car après plus de 24 heures de garde à vue, Jonathan M. nie sa présence sur les lieux, avant de se murer dans le silence. Ce n'est que dans la nuit de mercredi à jeudi qu'il finit par livrer de premiers détails sur les faits. S'il ne reconnaît pas le viol et le meurtre du petit garçon, il parle de "flashs" où il se revoit frapper quelque chose, sans dire s'il s'agit de Tom.
Le suspect est finalement mis en examen jeudi pour "meurtre d'un mineur de 15 ans précédé ou accompagné d'un viol" et écroué, sans rien dire des événements qui se sont déroulés dans le jardin. Un silence qui présage de longs mois d'enquête, durant lesquels la famille de Tom et celle de Jonathan M., dont les huit frères et sœurs ainsi que les parents habitent au Hérie, vont être forcés de cohabiter. "Je pense que la dame ne pourra pas rester ici longtemps, imagine une voisine. Depuis son jardin, elle peut voir l’endroit où son fils a été tué."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.