Joué-lès-Tours, Dijon, Nantes : trois attaques et un simple concours de circonstances
Ni la piste terroriste, ni un éventuel phénomène de mimétisme ou même une loi des séries ne permettent de relier ces trois faits divers.
Joué-lès-Tours, Dijon, Nantes... Sur ces trois attaques, une seule est présentée comme une "affaire de terrorisme" par les autorités : celle du commissariat de Joué-lès-Tours, le 20 décembre. Pour les deux autres, à Dijon et à Nantes, le mode opératoire est identique : un véhicule fonce délibérément sur la foule. Et "Allahou akbar" a été prononcé dans deux cas. Sinon, ces attaques sanglantes ne présentent que de rares points communs.
Si Manuel Valls dit "comprendre les inquiétudes vives et légitimes" des Français, le Premier ministre a assuré, mardi 23 décembre, qu'il n'y avait "aucun lien" entre ces attaques. Car tout laisse à penser que ces trois faits divers n'ont pas de liens entre eux et qu'il ne s'agit que d'un concours de circonstances. Voici pourquoi.
Des attaques liées par le terrorisme islamiste : non
A Joué-lès-Tours, l'action du jeune Burundais qui a blessé au couteau trois policiers au commissariat avant d'être abattu est imputée au terrorisme et à l'islamisme. L'homme, converti à l'islam depuis trois ans, aurait crié "Allahou akbar" avant de passer à l'acte. Dans le cas de Dijon, les autorités refusent de parler de terrorisme et évoquent "le fait d'un déséquilibré", rappelant que le chauffard a effectué "157 passages psychiatriques entre 2001 et 2014". L'homme souffre d'une "pathologie psychiatrique ancienne et lourde" faite de "délire mystique". "Pour me donner du courage, j’ai crié 'Allahou Akbar' pour annihiler tout esprit critique", a-t-il expliqué aux enquêteurs. La qualification d'"entreprise terroriste n'est donc pas retenue". A Nantes, l'homme qui a foncé sur le public du marché de Noël n'a tenu "aucun propos à connotation religieuse" et n'avait apparemment pas d'antécédents psychiatriques. Mais son comportement était devenu "instable" depuis plusieurs mois, selon la procureure de la République.
Difficile donc de lier ces trois attaques. La piste terroriste n'est privilégiée que dans le cas de celle de Joué-lès-Tours. Pour René-Georges Querry, ancien inspecteur général de police et ancien chef de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste, Manuel Valls a raison lorsqu'il assure qu'il n'y a "aucun lien" entre les trois affaires. "Je ne pense pas qu’on puisse maquiller aujourd’hui une enquête et cacher la réalité des faits à l’opinion publique, dit-il à 20 Minutes.fr. Des dizaines de personnes travaillent sur ces affaires. Pour mentir, il faudrait pouvoir obtenir le silence de nombreuses personnes. C’est impossible."
Selon Jean-Pierre Bouchard, psychologue et criminologue, "il y a (...) trois profils différents qui se dégagent, trois mobiles différents et trois histoires différentes, même si on peut trouver quelques points communs : le rôle joué par un embryon d'idéologie religieuse dans l'attaque commise dans un commissariat de Joué-lès-Tours et dans une moindre mesure, dans celle survenue à Dijon, et un mode opératoire similaire à Dijon et Nantes", déclare-t-il à l'AFP. L'expert estime aussi que "les auteurs des attaques de Dijon et de Nantes n'ont pas agi pour les mêmes raisons", soulignant que l'homme de Nantes a "pu vouloir se suicider dans un baroud d'honneur, en fonçant dans la foule".
Le phénomène de mimétisme : pas impossible
Dans l'attaque perpétrée à Dijon, l'assaillant, qui a prononcé un "Allahou akbar" n'avait pas eu connaissance de l'agression des trois policiers au commissariat de Joué-lès-Tour, selon le parquet. Le suspect de Nantes a-t-il, lui, voulu copier l'attaque de Dijon ? L'enquête le déterminera. A l'heure actuelle, rien ne l'indique, mais les spécialistes n'écartent pas totalement cette thèse. "L'hypermédiatisation de Dijon a pu influencer une sorte de mimétisme", explique le psychiatre Roland Coutanceau au Parisien (article payant).
"Le mimétisme est une façon d'exister", précise Gérard Lopez, psychiatre et fondateur de l'institut de victimologie de Paris, interrogé par L'Express.fr. "Il y a eu un battage médiatique autour du drame de Dijon et on y participe tous. On n'a pas arrêté d'en parler : cela peut inciter. Tous les impulsifs qui ont une personnalité fragile peuvent être tentés de sauter le pas, cela peut même devenir une épidémie." Une position qui n'est pas partagée par Roland Coutanceau : "Il faut être prudent sur une comparaison des affaires. Et, rassurons-nous, la médiatisation d’un acte hors norme n’a pas d’effet épidémique. Cela dit, on ne peut pas exclure que la diffusion en boucle d’un tel acte dans les médias agisse comme un vecteur d’excitation, un ingrédient supplémentaire pour celui qui aurait décidé d’agir. Comme un élément catalyseur de sa détermination."
La loi des séries : elle n'existe pas
En matière de faits divers, on invoque souvent, à tort, la loi des séries. Il faudrait plutôt parler de concours de circonstances et de probabilités que des faits plus ou moins similaires se produisent de façon rapprochée dans le temps. Les exemples sont nombreux : des crashs d'avions en 2005, des accidents de train durant l'été 2013, de nouveaux crashs d'avions à l'été 2014... On l'évoque aussi parfois lorsque les circonstances des faits sont similaires : enfants oubliés par leurs parents dans des voitures, attaques de chiens dangereux, etc. La loi de la probabilité explique ces coïncidences temporelles : il y a X risques que tel événement se produise à l'instant T.
Lorsqu'un drame est mis en lumière, les médias et le public ont tendance à plus se focaliser sur cet événement. S'il se reproduit, on aura tendance à se dire "un malheur n'arrive jamais seul". Mais il ne s'agit que d'un ressort psychologique qui attire notre attention et nous rend plus réceptifs à l'événement. "[Dans] cette démarche de répétition naît un effet de sens : en assimilant deux occurrences, en reliant deux faits, on fait naître du néant une loi des séries ou une forme de fatalité qui confère une signification autrement plus importante à des événements en soi peu importants", expliquent Annik Dubied et Marc Lits dans Le Fait divers (éd. PUF, 1999). En d'autres termes, nous créons une forme de cohérence entre des faits qui ne le sont pas.
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