Cet article date de plus de cinq ans.

Attaque à la préfecture de police : comment l'institution lutte-t-elle contre la radicalisation dans ses rangs ?

L'auteur de la tuerie, Mickaël Harpon, n'avait fait l'objet d'aucun signalement. Pourtant, depuis 2016, les services de police ont mis en place plusieurs dispositifs pour lutter en interne contre la radicalisation, notamment islamiste.

Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Des policiers après l'attaque au couteau à la préfecture de police de Paris, le 3 octobre 2019. (BERTRAND GUAY / AFP)

Des "dysfonctionnements", des "failles". Le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, a reconnu, mardi 8 octobre, lors de son audition à l'Assemblée nationale, l'incapacité des autorités à prévenir la tuerie à la préfecture de police de Paris. Le fonctionnaire qui a tué quatre policiers, Mickaël Harpon, est soupçonné de s'être radicalisé. Cette attaque illustre les limites de la détection de ce phénomène au sein de l'institution policière. 

Depuis 2015, une vingtaine de personnes ont été mises à l'écart de la police en raison de leur radicalisation, selon un décompte du ministère de l'Intérieur recueilli par franceinfo. Mickaël Harpon n'a pas fait l'objet d'une telle mesure. Ces dernières années, la police a pourtant renforcé son arsenal de détection. 

Une enquête administrative lors du recrutement

Logiquement, la vigilance commence au moment de la phase d'embauche du personnelCréé en 2017, le service national des enquêtes administratives de sécurité (Sneas) du ministère de l’Intérieur vérifie le profil des candidats au recrutement dans plusieurs services privés ou publics relevant de la sécurité ou de la défense, dont la police. Ce service est composé de 28 personnes, comprenant 23 agents issus de la police nationale et de la gendarmerie nationale et 5 réservistes.  

Le Sneas réalise des enquêtes administratives afin de vérifier "que le comportement des personnes physiques ou morales intéressées n’est pas incompatible avec l’exercice des fonctions ou des missions envisagées", précise le Code la sécurité intérieure

Pour mener ces enquêtes, le service a accès à sept fichiers de police et de renseignement. Les agents du Sneas soumettent les candidats à un "criblage", en croisant les informations contenues dans ces fichiers. Cette opération leur permet de savoir si une personne à des antécédents judiciaires, si elle est recherchée, si elle a commis une infraction à caractère terroriste, ou si elle s’est radicalisée.

En 2018, le Sneas a enquêté sur le recrutement de 10 840 fonctionnaires et agents de la police et a écarté cinq candidats. Cependant, ce dispositif n'est valable que pour les personnes embauchées à partir de 2017. Le personnel en poste avant cette date n'a pas été soumis à ce type d'enquête de la part du Sneas. La loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, adoptée en 2017, prévoit pourtant un criblage rétroactif. S'exprimant devant l'Assemblée nationale mardi, le secrétaire d'Etat à l'Intérieur, Laurent Nunez, a assuré que la publication de la circulaire permettant son entrée en vigueur était "imminente"

Les députés Eric Diard (LR) et Eric Poulliat (LREM), auteurs d'un rapport parlementaire sur la radicalisation dans les services publics, publié en juin 2019, préconisent que le service renforce ses effectifs, en passant à 69 agents d'ici à 2020. "Il faut augmenter les membres du Sneas pour qu'on ait un rétrocriblage massif et permanent", a estimé Eric Poulliat dans une interview à l'agence Reuters, mardi. Laurent Nunez est allé dans ce sens, en annonçant le même jour un objectif de 3 millions de criblages dès 2021, contre 318 000 en 2018. 

Des signalements auprès de la hiérarchie

Au cours de leur carrière, les agents de police suspectés de radicalisation islamiste peuvent faire l'objet d'un signalement écrit de la part de leurs supérieurs hiérarchiques. Selon le rapport parlementaire de juin 2019, la préfecture de police de Paris a recensé une quinzaine de signalements, sur 43 000 agents. Parmi les cas identifiés, une dizaine d'agents de la préfecture ont été signalés pour "des suspicions de comportements radicalisés" et "quatre ou cinq" pour avoir des "contacts avec des milieux radicalisés", précise le rapport. 

Le cas de Mickaël Harpon témoigne cependant de dysfonctionnements dans ce système. En 2015, il a tenu des propos, sur son lieu de travail, dans lesquels il justifiait l'attentat de Charlie Hebdo. Dans une note consultée par France Inter, l'actuelle cheffe de l'antiterrorisme à Paris, Françoise Bilancini, admet que cet incident a fait "l'objet de discussions entre membres de son service sur une éventuelle radicalisation". Mais si "ces éléments ont été portés verbalement à la connaissance de la hiérarchie", aucun signalement écrit n'a été établi. Christophe Castaner a regretté que ces signalements ne soient pas "automatiques". 

Selon plusieurs syndicats de police, difficile de demander aux agents de signaler leurs propres collègues. "C'est facile de dire qu'il n'y a pas eu de signalement, mais la hiérarchie ne peut pas se reposer sur les personnels", lance Philippe Capon, secrétaire général du syndicat Unsa Police, interrogé par franceinfo. "Il n'y a pas toujours de signalement, car il y a parfois la peur d'être accusé de discrimination", confirme à l'AFP David Le Bars, secrétaire général du Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN-Unsa). "Il faut trouver des systèmes automatiques pour faire remonter l'information et pour déculpabiliser les agents", a concédé le député Eric Poulliat auprès de Reuters. 

Par ailleurs, au cours de leur carrière, les 400 000 personnes ayant accès à des informations classées voient leur réhabilitation réexaminée. Parmi ces agents habilités, 11% le sont par le ministère de l'Intérieur, dont dépend la police nationale. Les habilitations secret-défense, comme celle de Mickaël Harpon, sont renouvelées tous les sept ans par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Un délai rallongé en 2011, puisque jusqu'à cette date, le contrôle intervenait tous les cinq ans. "On voit des pseudo-experts qui viennent sur les chaînes d'info en continu expliquer qu'il faudrait le faire tous les ans, mais finalement, on n'aurait plus de policiers sur le terrain. Ils seraient chargés d'effectuer des enquêtes sur leurs collègues", défend le commandant de police Christophe Rouget, du Syndicat des cadres de sécurité intérieure, auprès de franceinfo.

Une cellule spéciale au pouvoir révocatoire limité

Depuis 2016, l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), la police des polices, s'est dotée d'une cellule spéciale, chargée d'enquêter sur les soupçons de radicalisation chez les fonctionnaires de police, survenue "postérieurement à l'entrée dans la police". Pour que l'IGPN se saisisse d'un dossier, l'agent de police doit avoir fait l'objet d'un signalement. "Une réunion trimestrielle rassemblant la DGSI, le renseignement territorial, la direction de la formation de la police nationale et l’IGPN permet d’évoquer les personnes sources de préoccupation", poursuivent les auteurs du rapport parlementaire de juin 2019. 

L'IGPN procède à la fois à une enquête de personnalité et à une enquête d'entourage. La famille, les amis et même le voisinage de l'agent suspecté peuvent être interrogés. Le policier est quant à lui soumis à un questionnaire. "Pour traiter les cas de radicalisation en cours de carrière, la police nationale dispose d’une panoplie d’outils", écrivent les députés Eric Diard et Eric Poulliat. A l'issue de l'enquête, l'agent concerné peut-être muté, se voir retirer son habilitation au secret-défense ou encore être radié. 

D'après le rapport parlementaire, six agents ont été révoqués depuis 2015. "Ce n’est pas la radicalisation en tant que telle qui motive la révocation, mais ce sont les manquements au devoir de neutralité (prosélytisme), à l’obligation de loyauté, au devoir d’exemplarité, au devoir de réserve", détaille le rapport. 

La justice peut par ailleurs s'opposer à une révocation si elle la juge insuffisamment justifiée. Le tribunal administratif a ainsi suspendu l'une des six révocations prononcées par l'IGPN. Lorsqu'un agent de police suspecté de radicalisation conteste sa révocation, le tribunal n'a en général pas accès aux informations confirmant les soupçons, issues de "notes blanches" que les services de renseignement rechignent à partager pour ne pas identifier leurs informateurs, regrettent Eric Poulliat et Eric Diard. Les deux élus avancent l'idée d'autoriser les services à ne donner leurs informations qu'au juge, et non aux autres parties.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.