Les home-jackings, un phénomène en augmentation qui ne touche pas que les célébrités
"Je ne souhaite cette épreuve à personne, même pas à mon pire ennemi." La chanteuse Vitaa a pris la parole sur son compte Instagram, quelques heures après avoir été victime d'un home-jacking à son domicile de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), mercredi 20 décembre. Les malfaiteurs se sont introduits à son domicile au petit matin, le visage dissimulé, armés de battes de baseball et de barres de fer. Ils se sont emparés de sacs de luxe et de bijoux avant de prendre la fuite, selon une source proche de l'enquête. "Ma famille et moi avons vécu l'une des nuits les plus éprouvantes et traumatisantes de nos vies", poursuit la chanteuse dans sa publication.
De nombreuses personnalités ont été ciblées : les gardiens du Paris Saint-Germain Gianluigi Donnarumma et Alexandre Letellier, l'animateur Bruno Guillon, la présentatrice Anne-Sophie Lapix, ou encore le chef Jean-François Piège... Mais il ne s'agit que des victimes médiatiques d'un phénomène bien plus vaste. "Les cibles sont surtout M. et Mme Tout-le-Monde, beaucoup d'artisans, de chefs d'entreprise : tous ceux qui ont de l'argent supposé", observe Guillaume Maniglier, chef adjoint de l'Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO).
"Ils se font passer pour un livreur, un voisin, un ouvrier…"
Les autorités ont recensé 515 home-jackings et tentatives de home-jacking en 2023, contre 475 en 2022, soit une hausse d'un peu plus de 8%, selon les chiffres fournis par l'OCLCO. Toutefois, une baisse a été auparavant observée pendant plusieurs années consécutives. Ainsi, en 2019, on recensait 585 faits de ce type. Il y a un "effet loupe", souligne Loubna Atta, porte-parole de la préfecture de police, car "plusieurs célébrités ont été touchées, ce qui a conduit à une forte médiatisation du phénomène".
Le scénario est souvent le même : des hommes masqués pénètrent au domicile de leur cible, la plupart du temps sans effraction. "Ils se font passer pour un livreur, un voisin, un ouvrier…", décrit Loubna Atta. Cette dernière rappelle que le terme anglais de "home-jacking" (qui signifie littéralement "piraterie de domicile"), formé sur le modèle du "car-jacking" (pour les voitures), n'a pas d'existence juridique : il recouvre l'ensemble des vols commis dans un logement en présence des occupants.
Ils s'attaquent parfois à des habitations dans plusieurs quartiers, mais en général, les auteurs "opèrent sur des zones plus petites, sur lesquelles ils peuvent être extrêmement actifs, en mode sériel", détaille Guillaume Maniglier. Ils utilisent de plus en plus régulièrement les réseaux sociaux pour repérer leurs victimes. "C'est tout bête, mais un selfie en bas de chez soi suffit déjà à donner son adresse", affirme David Sudan, avocat spécialiste de ce type de dossiers. Sans parler des photos de l'intérieur des habitations, qui fournissent des indications précieuses.
"Ils se disent qu'ils auront plus facilement accès au coffre"
On compte toutefois encore énormément de repérages plus classiques, "en allant dans les beaux quartiers pour essayer de détecter une maison plus isolée, avec une apparence d'opulence", explique Guillaume Maniglier. Il existe par ailleurs beaucoup d'échanges de "plans" entre malfaiteurs : "L'un possède une information intéressante et la monnaye à une autre équipe". Sans parler des livreurs, "qui sont facilement soudoyés, et qui ont toute une série d'adresses en stock", ajoute l'avocat David Sudan.
Sa consœur Mary Krief, qui représente plusieurs victimes, assure que certaines d'entre elles ont été visées parce que juives. "Deux de mes clients ont été identifiés par la présence sur leur porte d'une mezouzah [un rouleau de parchemin que la communauté juive appose pour protéger son foyer]", affirme-t-elle.
"Malheureusement, pour certains, la judaïté est synonyme de richesse."
Mary Krief, avocateà franceinfo
L'avocate observe aussi depuis quelques années un glissement dans le mode d'action des agresseurs. Alors qu'ils préféraient auparavant s'en tenir à des cambriolages classiques, en l'absence des occupants, ils font désormais en sorte que ces derniers soient présents. "Ils se disent qu'ils auront plus facilement accès au coffre, et terrorisent leurs victimes, pour qu'elles donnent les codes."
De plus en plus de jeunes délinquants multirécidivistes
Deux types de profils se dégagent. Il y a d'une part les équipes très bien préparées, "dotées d'armes de guerre". Elles effectuent "un gros travail" en amont et disposent d'une logistique leur permettant "de se projeter à l'étranger", relève Guillaume Maniglier. Fin janvier, plusieurs commanditaires en Suisse, basés dans la région lyonnaise, ont ainsi été interpellés après une "grosse année d'enquête", précise le chef adjoint de l'office central contre le crime organisé. Ils ciblaient des gérants de sociétés horlogères helvètes. "Après les avoir séquestrés, ils se rendaient dans leurs entreprises pour récupérer des métaux précieux, de l'or, des espèces…" Ces auteurs expérimentés, âgés en moyenne "de 30 à 40 ans", "peuvent être violents à dessein, pour faire parler une victime ou sa famille", selon le policier.
Néanmoins, l'essentiel des équipes sont constituées de jeunes délinquants, multirécidivistes. "La plupart ont entre 16 et 25 ans", pointe Loubna Atta, dont les statistiques concernent Paris et son agglomération. Les enquêteurs observent même un rajeunissement chez les auteurs arrêtés. "On a attrapé un adolescent de 14 ans, et la plupart ont moins de 20 ans", glisse une source haut placée au sein de la police judiciaire, qui enquête sur les faits les plus graves et les plus complexes. "Ils sont connus pour des délits de droit commun : outrage, rébellion, défaut de permis ou vols de téléphones dans des gares."
"Certains ont un passif dans les stupéfiants et aspirent à être reconnus du monde du banditisme en commettant des home-jackings."
Un officier de police judiciaireà franceinfo
Salomé Cohen, avocate au barreau de Paris, qui défend plusieurs prévenus impliqués dans ce type d'affaires, remarque elle aussi qu'ils sont plusieurs à délaisser le trafic de drogue, un "business dans lequel il faut avoir une certaine forme d'expérimentation" pour tirer son épingle du jeu. Sans compter que le danger dans ce milieu s'est accentué : le nombre d'homicides ou de tentatives d'homicide a bondi de 57% entre 2022 et 2023. De quoi refroidir ceux qui espéraient s'y faire une place. "Beaucoup ont le sentiment que le home-jacking est un peu à la portée de tout le monde, d'autant qu'il n'y a même pas besoin d'armes pour se lancer", analyse l'avocate.
"Une équipe de bras cassés"
Les auteurs opèrent d'ailleurs avec un matériel "très disparate, comme des marteaux ou des pistolets à impulsion électrique", raconte David Sudan, qui représente également des prévenus ayant sévi dans ce type de cambriolages. La "démocratisation" des home-jackings a ouvert la voie à des "équipes très amatrices, qui prennent parfois très peu de précautions et se font interpeller beaucoup plus facilement", relève-t-il.
Dans la nuit du 1er au 2 janvier, quatre autres hommes, âgés de 19 à 23 ans, ont été arrêtés lors d'une tentative de cambriolage chez Nikos Aliagas à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne). Leur procès s'est tenu au tribunal correctionnel de Créteil, le 30 janvier. "On avait vraiment affaire à une équipe de bras cassés", lâche l'avocat d'un des prévenus, qui préfère rester anonyme. "Ils venaient à peu près du même coin des Yvelines, mais ne se connaissaient pas tous entre eux. Ils ont été recrutés la veille, sur Telegram. Aucun ne savait où il mettait les pieds, mais on leur avait promis un beau butin", ajoute-t-il.
L'équipe a rapidement été mise en fuite par le système d'alarme de la propriété. Une patrouille de la BAC qui se trouvait dans les environs les a poursuivis sur plusieurs rues, avant que les fuyards ne finissent par heurter un terre-plein central, puis un arbre, mettant un terme à la course-poursuite.
Un manque d'expérience qui peut entraîner une grande violence
L'amateurisme est également manifeste dans l'affaire Bruno Guillon. L'animateur de Fun Radio et sa famille ont été victimes d'un home-jacking, dans la nuit du 26 au 27 septembre, à leur domicile de Tessancourt-sur-Aubette (Yvelines). "Sur les trois auteurs, deux portaient leurs propres chaussettes en guise de gants", relève un policier qui a travaillé sur ce dossier. Selon lui, "il y avait vraiment un faible niveau d'anticipation, ils ont dû avoir les indications une heure avant".
L'animateur a été menacé par une arme de poing, tandis que sa femme a été ligotée et bâillonnée, sous la menace d'un marteau. Les cambrioleurs se sont également rendus dans la chambre de leur fils de 14 ans, où ils ont attaché l'enfant avec un serflex et un collier de serrage. Dans de telles affaires, le manque d'expérience des agresseurs laisse souvent place à des débordements violents.
"Comme les assaillants ne sont pas très assurés, à la moindre résistance, ils paniquent, et n'hésitent pas à frapper les victimes."
Une source policièreà franceinfo
Le policier cite une autre affaire, concernant deux octogénaires séquestrés début décembre à Viroflay (Yvelines), qui s'en sont sortis "vivants mais très amochés". "Ils se sont débattus, ce qui leur a valu de se faire frapper au visage. On parle de petits vieux d'1,60 m." Leurs cris ont permis de mettre en fuite les auteurs, qui ont rapidement été arrêtés et sont actuellement en détention provisoire. "Ils vont prendre du ferme, sans aucun doute", prédit le policier.
Des victimes "marquées à vie"
De l'avis des différents acteurs interrogés par franceinfo, la justice se montre globalement sévère avec les assaillants. Ils sont nombreux à comparaître, en raison du "très haut taux d'élucidation sur les home-jackings", se félicite Guillaume Maniglier. "Il y a souvent beaucoup de traces à exploiter, des recoupements à faire, des vidéos à exploiter, ce qui nous amène régulièrement à être en capacité d'interpeller tout ou partie des commandos".
Pour la tentative de cambriolage avortée chez Nikos Aliagas, les prévenus ont été condamnés à des peines allant jusqu'à 18 mois ferme. L'un des prévenus, qui avait deux mentions à son casier pour refus d'obtempérer, a écopé de deux ans de prison, dont un an de sursis probatoire, et un an sous bracelet électronique.
Salomé Cohen a défendu un certain nombre de délinquants qui ont effectué leur premier passage en prison lorsqu'ils étaient encore mineurs. "Ils sortent, recommencent, ressortent et finissent par prendre trois à quatre ans de prison ferme à 20, 21 ans. Les peines sont lourdes, parce qu'il y a des victimes, et c'est très souvent pris en compte", assure l'avocate.
Ces dernières sont "marquées à vie", assure Mary Krief, qui a défendu une mère de famille ligotée en présence de ses trois petites filles, en plein après-midi. "Les enfants hurlaient tellement fort que ça a fait fuir les auteurs", relate l'avocate. Depuis, sa cliente a acheté des battes de base-ball, et veut absolument déménager. "Elle n'est pas venue à l'audience, elle ne supporte pas l'idée de revoir ses agresseurs."
Evoquant l'avenir, Guillaume Maniglier se veut rassurant : "Un nombre très important d'équipes ont été interpellées ces derniers mois, soit dans le cadre d'enquêtes de plusieurs mois, soit en flagrant délit. Plusieurs dizaines de malfaiteurs ont ainsi été arrêtés dans toute la France, ce qui a dû avoir un impact sur ces réseaux." Les prochains mois devraient permettre de savoir si le phénomène a bien été endigué ou s'il s'agit "d'une mode ascendante, qui continue de faire des émules".
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