Retraites : l'IGPN a engagé "59 enquêtes judiciaires" depuis le début des manifestations
Agnès Thibault-Lecuivre, cheffe de l'IGPN, l'inspection générale de la police nationale, a indiqué jeudi 20 avril sur franceinfo qu’elle allait "proposer des sanctions au préfet de police" contre l'unité de la Brav-M qui avaient menacé et humilié à Paris un groupe de jeunes dans la nuit du 20 mars au 21 mars lors d'une manifestation spontanée contre la réforme des retraites. Elle s'est dite "extrêmement choquée" par ce qu'elle a entendu dans un enregistrement audio capté à l'insu de la brigade. On entend notamment un policier menacer directement un jeune : "La prochaine fois, tu monteras dans une ambulance", avait-il lancé. Par ailleurs, la patronne de la police des polices a indiqué que l'IGPN avait été saisie de "59 enquêtes judiciaires", principalement sur Paris depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites. "On a un rétablissement de l'ordre qui est rendu complexe du fait de la radicalisation extrêmement violente d’individus, et un usage de la force par les policiers qui peut entraîner des plaintes", a-t-elle expliqué.
franceinfo : Cela fait trois mois que la contestation contre la réforme des retraites a commencé. Combien y a-t-il d'enquêtes sur votre bureau ?
Agnès Thibault-Lecuivre : Nous avons été saisis de 59 enquêtes judiciaires, principalement sur Paris, mais pas seulement. Ce chiffre démontre qu'il y a des vidéos qui méritent que nous puissions expertiser, analyser ce qui s'est passé avant, qu'est ce qui s'est passé après. Ces vidéos démontrent un usage de la force. Cet usage de la force, est-il légitime et illégitime ? Il y a des plaintes de manifestants qui considèrent qu'il y a eu une action violente à leur égard. À nous de démontrer si l'usage de la force est conforme à la loi ou non.
Quand il n'y a pas de vidéo, il n'y a pas d’enquête ?
Pas du tout ! Il peut y avoir des plaintes sans vidéo. Il ne faut pas réduire nos investigations aux seules vidéos. On fait un travail très minutieux de recoupement. On va chercher les bandes radio de la police, on va chercher toutes les vidéos qui peuvent être des vidéos privées, mais aussi des vidéos publiques. On va aussi chercher à retrouver des témoins. Tous les éléments sont nécessaires pour nos enquêtes, pas seulement la vidéo. Ce serait trop simple parce que sinon, tout le monde peut être enquêteur.
Est-ce qu'il y a eu une accélération des enquêtes de la police des polices depuis l'utilisation du 49.3 comme l'affirme la Défenseure des droits ?
L'accélération est à mettre en lumière au regard d'un changement dans les manifestations, avec une radicalisation de certains individus. On a un rétablissement de l'ordre qui est rendu complexe du fait de la radicalisation extrêmement violente d'individus, avec un usage de la force par les policiers qui peut entraîner des plaintes. Mais encore une fois, celui qui est victime d'un usage de la force, c'est peut-être un usage légitime. C'est extrêmement important qu'on fasse ce travail d'investigation. Certes, nous avons 59 procédures judiciaires aujourd'hui, ça ne veut pas dire 59 déclarations de culpabilité. C'est tout le travail d'investigation que nous devons mener.
Comment réagissez-vous quand vous entendez l'enregistrement sonore capté à l'insu de l'unité de la Brav-M qui avait menacé et humilié un groupe de jeunes en mars lors d’une manifestation spontanée contre la réforme des retraites ?
Comme citoyenne, ainsi que j'avais déjà pu le dire, je suis extrêmement choquée. Qu'est-ce qui est attendu des policiers ? Encore plus dans un conflit, dans un contexte de défiance vis-à-vis de l'État ? C'est une exemplarité. Ça n'a pas été le cas ce jour-là. Nous avons été saisis le soir même de la révélation de cet enregistrement dans les médias par le préfet de police d'une enquête administrative au titre du devoir de réaction de l'administration, ce qui est fondamental. Cette enquête administrative, je suis sur le point d'en remettre les conclusions au préfet de police.
Quelles sont vos conclusions ?
On a fait la retranscription de cet enregistrement. Nous avons sollicité auprès de l'autorité hiérarchique les rapports des agents. D'ailleurs, je tiens à souligner que nous n'avons eu aucune difficulté à avoir ces rapports. Nous avons ensuite fait tout un travail de recoupement. À quel agent on peut ou non attribuer tel ou tel manquement. C'est tout ce travail qui a été fait. Des manquements qui vont, pour certains, relever d'un comportement tout à fait contraire à l'exemplarité attendue.
Cela veut dire que vous allez réclamer des sanctions ?
Quand bien même, ainsi que l'a souligné l'Autorité hiérarchique, ce sont des policiers qui étaient à l'issue d'une vacation particulièrement complexe dans un contexte de rétablissement de l'ordre tendu, ça n'autorise en rien, ça ne justifie en rien d'avoir un comportement qui est contraire à la bonne tenue, contraire à l'exemplarité qui doit être attendue en toutes circonstances de la part des policiers vis-à-vis de la population. Je vous confirme que nous allons proposer des sanctions au préfet de police.
La semaine dernière à Paris, lors, probablement, d'une course-poursuite avec la police, trois mineurs qui circulaient sur le même scooter ont chuté. Une jeune fille est depuis entre la vie et la mort. L'avocat de ces trois jeunes affirme que la police a délibérément percuté le scooter. Avez-vous des éléments qui confirment ou qui infirment cette thèse ?
Nous avons été saisis par le parquet de Paris dans le cadre d'une enquête judiciaire. À l'heure où je vous parle, les investigations sont en cours. Encore et toujours pour parvenir à la manifestation de la vérité, pour faire toute la lumière sur les faits qui sont dénoncés. C'est faire des constatations, bien évidemment à la fois sur le véhicule de police et sur le scooter sur lequel étaient les trois jeunes. Ça va être un certain nombre d'auditions, un travail encore de recoupement. S'il y a des responsabilités à établir, nous devons apporter tous les éléments de preuves utiles à l'autorité judiciaire pour que celle-ci décide ou non ensuite de poursuites contre des policiers qui auraient commis des fautes pénales.
Depuis 2014, tous les policiers sont censés porter un numéro d’identification, le numéro Rio. On constate que ce n'est pas toujours le cas. Pour quelles raisons ?
Le code de déontologie des policiers et des gendarmes l'indique très clairement, ce numéro doit être porté par les policiers. Dans la très grande majorité, ce numéro est porté. Vous avez ensuite des cas, notamment en maintien de l'ordre ou compte tenu des tenues, compte tenu des boucliers, le port du Rio n'est pas toujours vu de façon évidente. Mais pour parer cette difficulté, vous avez des marquages sur les casques, sur les tenues pour parvenir à identifier.
Avez-vous déjà eu des difficultés pour identifier un policier ?
Ça peut arriver. Je ne vais pas vous dire le contraire, mais le numéro Rio ne doit pas être l'alpha et l’oméga. C'est important de le souligner. Le Conseil d'État d'ailleurs l'a rappelé. L’objectif, c'est que l'usager de la police nationale puisse savoir à quel policier il a affaire et nous l'IGPN, de pouvoir relever des manquements administratifs pour pouvoir proposer à l'autorité judiciaire de caractériser une infraction pénale. Évidemment que nous devons l'identifier et c'est aussi pour ça que nos rapports avec toutes les directions d'emploi des policiers sont particulièrement resserrés pour arriver à cette identification.
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