Témoignage "Même s'il y a légitime défense, vous avez pris la vie de quelqu'un" : comment un policier se remet d'avoir fait usage de son arme

Article rédigé par franceinfo - Gabin Grulet
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En 2022, les policiers ont tiré à 285 reprises, soit une hausse de 10% par rapport à il y a dix ans, selon l'IGPN. Photo d'illustration. (REMY PERRIN / MAXPPP)
Franceinfo a recueilli le témoignage rare d'un ancien policier qui a tué dans le cadre de ses fonctions, en marge du match entre le PSG et l'Hapoël Tel Aviv en 2006.

"On n'entre pas dans la police pour pouvoir tuer des gens. Notre arme, on veut qu'elle reste dans son étui. La date du 23 novembre 2006, je ne vais jamais l'oublier ", témoigne Antoine Granomort, un ancien policier qui a tué dans le cadre de ses fonctions. Encore récemment, à Rouen le 17 mai, un policier de 25 ans a abattu un homme qui avait incendié la synagogue et qui fonçait sur les forces de l'ordre, armé d'un couteau. Franceinfo a recueilli le témoignage d'Antoine Granomort, qui a utilisé son arme en marge du tristement célèbre match de Coupe d'Europe entre le Paris Saint-Germain et l'Hapoël Tel Aviv. Policier pendant 13 années, cet homme de 50 ans n'a jamais parlé de ses cauchemars. Il se confie aujourd'hui.

Le soir du 23 novembre 2006, le gardien de la paix est chargé de la sécurité de ce match du PSG, au Parc des Princes. À la fin de la rencontre, il tente de s'interposer dans un attroupement. "Je vois un petit jeune qui court, des supporters qui ont des ceintures, des bâtons, qui commencent à me traiter de 'sale noir', lui de 'sale juif'. Je commence à prendre des coups, mes lunettes tombent. Moi, je tombe aussi. Je vois une ombre qui se jette sur moi pour me donner un coup de pied et là, je tends ma main droite et je tire sur l'ombre qui est en face de moi", raconte Antoine Granomort.

La balle blesse ce supporter et en tue un autre, Julien Quemener, 25 ans. En 2011, la justice conclut à un non-lieu pour légitime défense. "Même si on vous dit qu'il y a une légitime défense, qu'il y a les termes de loi, vous vous dites toujours que vous avez pris la vie de quelqu'un. Je suis resté cinq, six ans avec ce traumatisme." 

"Cinq à six ans à faire des cauchemars, à me lever la nuit, à être sous anxiolytiques."

Antoine Granomort, ancien policier

à franceinfo

"On n'a plus envie de sortir. On n'a plus envie de voir des gens. On a les yeux qui sont tout le temps larmoyants et je vais devoir vivre avec ça toute ma vie. Maintenant, c'est dur. Mais bon, je sais que pour les parents, c'est encore plus dur et je ne demande pas un pardon. Je demande juste une écoute et de leur dire que j'étais désolé que leur fils se soit retrouvé là ce jour-là". Antoine a écrit une lettre pour les parents de Julien, qu'il aimerait un jour leur remettre.

La question du soutien psychologique

Pour les policiers, ce sont aussi souvent des années de procédure judiciaire avant de savoir s'ils ont fait usage de leur arme en toute légalité, des années souvent éprouvantes. L'avocat Laurent-Franck Liénard est spécialisé dans la défense des policiers. "En 30 ans de barreau, j'ai eu trois passages à l'acte suicidaire parce qu'ils n'ont pas supporté le poids, le fait d'avoir ôté une vie et la procédure judiciaire qui est très dure à supporter aussi, puisque non seulement, ils se sentent coupables, mais en plus, on les désigne comme coupables", explique cet avocat.

Aujourd'hui Antoine dit aller mieux, grâce à sa femme, ses enfants et son nouveau métier d'infirmier. Mais il est en colère contre l'institution policière et le manque, d'après lui, de soutien psychologique à l'époque.

"Vous êtes accompagné, mais c'est un mot qui est rapide. Moi, j'avais l'impression de parler à un mur."

Antoine Granomort, ancien policier

à franceinfo

"J'en ai vu une dizaine avant de voir le bon psychologue qui m'a dit : 'Mais monsieur, ce n'est pas de votre faute.' C'est ça que je voulais peut-être entendre", témoigne Antoine.

Lorsqu'un policier tire, il peut demander à être suivi par le service de soutien psychologique opérationnel (SSPO). En moins de dix ans, le nombre de psychologues a doublé, selon la cheffe du service Catherine Pinson. "Il y a quelques années, on considérait que pour un policier, ça faisait partie du métier. Il y a cette image aussi un peu virile du policier, de l'autorité, de réprimer un peu ses émotions. Je crois quand même qu'il y a une forme de prise de conscience", explique cette psychologue. "Ce qui est important, c'est qu'il soit bien accompagné. Retracer, mémoriser la situation avec un protocole spécifique, ça permet d'atténuer l'ancrage mnésique qui est propre au traumatisme", poursuit Catherine Pinson.

Les syndicats déplorent un manque de formation

Les forces de l'ordre les plus touchées par du stress post-traumatique peuvent bénéficier d'un établissement spécialisé près de Tours, créé en 1952 par l'association nationale d'action sociale des personnels de la police nationale et du ministère de l'Intérieur (Anas). La gestion du stress et des émotions fait partie maintenant de la formation des jeunes policiers. Mais selon le secrétaire général du syndicat Unité, Grégory Joron, ce n'est pas suffisant. "En fait, on n'est pas préparé à ça. Il faudrait être mis en situation régulièrement, ce qui n'est pas assez fait. La dimension psychologique du tir pour neutraliser un individu, on n'a pas de formation à ça. On est encore très loin de ce qu'on pourrait faire", regrette-t-il. 

"On sait qu'aujourd'hui, malheureusement, ça peut arriver quand même très souvent, ce qui n'était quand même pas le cas avant."

Grégory Joron, secrétaire général du syndicat Unité

à franceinfo

"Donc tout ça prend aussi une autre dimension et demande forcément, je pense, à l'institution d'évoluer rapidement par rapport à ce qu'on vit aujourd'hui sur le terrain", poursuit Grégory Joron. Du côté de l'Unsa, autre syndicat, le secrétaire général Thierry Clair se souvient : "Quand j'ai commencé dans les années 1990, il n'y avait presque pas de psychologues, donc ça va mieux." Mais le policier estime qu'il faut encore développer ces services : "Il faudrait que ce soit systématique, que les psychologues soient au plus proche des policiers." Selon les derniers chiffres de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), la police des polices, en 2022 les policiers ont tiré à 285 reprises, soit une hausse de 10% par rapport à il y a dix ans.

En moyenne, sur 25 ans, on recense plus de 40 suicides par an chez les policiers, selon un baromètre de la Mutuelle des forces de sécurité (MGP) en 2021. Ce baromètre indique aussi qu'un quart des policiers est confronté à des pensées suicidaires. Les stress post-traumatiques vont au-delà de l'usage de l'arme : confrontation à la violence, impression d'inutilité, difficulté de trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Une association d'aide anonyme aux policiers a été créée en 2019 : "SOS Policiers en Détresse". Elle reçoit en moyenne 6 000 appels par an.

Comment un policier se remet d'avoir fait usage de son arme. Témoignage recueilli par Gabin Grulet.

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