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Témoignage Refus d’obtempérer à Paris : "Si la balle qui a tué ma fille n'avait pas été tirée par un policier, l'enquête avancerait-elle plus vite ?", interroge la mère de Rayana

Le 5 juin 2022, Rayana, 21 ans, meurt d'une balle dans la tête tirée par un policier dans le quartier de Barbès. Elle était la passagère d'un véhicule dont le conducteur avait refusé d'obtempérer. Onze mois plus tard, les policiers n'ont toujours pas été auditionnés, déplore la famille de la jeune femme.
Article rédigé par Mathilde Lemaire
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Rayana, 21 ans, est morte le 5 juin d'une balle dans la tête tirée par un policier dans le quartier de Barbès, à Paris. (FAMILLE DE RAYANA / FRANCEINFO)

C’était il y a bientôt un an. Le 4 juin 2022, dans le quartier populaire de Barbès, dans le 18e arrondissement de Paris, un automobiliste refuse deux fois de s’arrêter quand des policiers à vélo essayent de le contrôler. Les fonctionnaires finissent par ouvrir le feu. La passagère reçoit une balle mortelle dans la tête : elle s’appelait Rayana, avait 21 ans et n’avait rencontré le conducteur que quelques heures plus tôt, en soirée. Aujourd’hui, sa famille déplore que l’enquête confiée à l’IGPN (Inspection Générale de la Police Nationale) sur les responsabilités des policiers soit quasi au point mort.

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Une information judiciaire a été ouverte pour violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Les policiers sont ressortis libres de leur garde à vue trois jours après les faits, au mois de juin dernier. Ils n’ont alors été soumis à aucun contrôle judiciaire, ni mis en examen. Ils avaient expliqué avoir agi dans le cadre légal face à un homme qui les visait avec sa voiture, et donc était dangereux pour eux et les passants. Une version contestée.

"Elle allait aux meetings d'Emmanuel Macron"

Onze mois plus tard, ces trois fonctionnaires n’ont toujours pas été auditionnés par le juge d’instruction. Les résultats de l’expertise balistique ne figurent toujours pas au dossier. La famille de Rayana craint l’oubli et l’impunité. "Depuis le décès de mon enfant, j’attends que son dossier en justice avance, mais il n’avance pas. Aucune convocation de personne malgré la promesse des juges", déplore, amère, Noura, 62 ans, l’inconsolable et très digne maman de Rayana. "Je demande justice dans un pays de justice. Ma fille avait, elle aussi, confiance dans les institutions de notre pays. Peu de temps avant sa mort, elle allait aux meetings d’Emmanuel Macron. C’était une jeune fille qui s’intéressait aux choses politiques, qui aimait son pays et était fière d’être française, fière d’être liée à ce pays de loi."

"Dans notre famille, on respecte la police, mais les policiers que mon enfant a croisés ce matin-là, je ne les comprends pas. Ma fille était passagère, n’avait rien fait, et au lieu de la protéger, ils ont tiré sur elle. C’est cette réalité-là qui me fait si mal"

Noura, mère de Rayana

à franceinfo

En étouffant un sanglot, elle confie lutter "pour ne pas perdre espoir". Le regard dans le vide, Noura s’interroge ensuite : "Si la balle qui a tué ma fille avait été tirée par un civil et non un policier, le travail d’enquête avancerait-il plus vite ? La justice y mettrait-elle plus de moyens ?" Les trois policiers n’ont été soumis à aucune interdiction d’exercer leur métier, ni de porter une arme. Cela aussi fait cogiter Noura qui, sans cesse, se refait le film de ce jour où elle a perdu sa fille unique qui vivait encore chez elle dans le 20e arrondissement de Paris. Sa fille dont le casier judiciaire était vierge.

Noura, la mère de Rayana, et Me Florian Lastelle, avocat de la famille, en avril 2023. (MATHILDE LEMAIRE / RADIOFRANCE)

La mémoire de Rayana "salie" sur des plateaux de télé

La sexagénaire est comme agacée de devoir le préciser, mais elle y tient "pour répondre", dit-elle, à "ceux qui se sont rués sur les plateaux de télévision au moment du drame et ont sali sa mémoire en parlant d’elle comme d’une délinquante". C’était en pleine campagne législative. Des politiques, mais surtout des représentants syndicaux de la police ont pris, dans les médias, la défense des policiers en garde à vue avec parfois peu de nuance et une connaissance du dossier forcément incomplète."Je vis ici à Paris. Alors, forcément, je me dis que si ça se trouve, je peux les croiser, que la personne qui a tiré mortellement sur ma fille est peut-être toujours sur le terrain, confie la maman qui continue de travailler comme cheffe dans un restaurant de la capitale et promet de se battre "pour la vérité et la mémoire de Rayana".

"Souvent, j’y pense, je me demande s'il ou elle est lui-même un papa ou une maman. S'il ou elle a conscience d’avoir enlevé la vie de mon enfant. S'il ou elle travaille en uniforme, porte son arme"

Noura, maire de Rayana

à franceinfo

Noura aurait aimé que les trois policiers qui ont tiré sur la voiture dans laquelle se trouvait sa fille soient suspendus, n’aient plus le droit de porter d’arme, le temps de l’enquête. L’IGPN, la police des polices a bien – en plus de l’enquête judiciaire dirigée par le juge – ouvert une enquête administrative suite à ces coups de feu intervenus sur un refus d’obtempérer. C’est de l’enquête administrative que découlent le plus souvent les propositions de sanction interne à la police. Mais dans un cas comme celui-ci, cette seconde enquête est comme mise sur pause, le temps que la première établisse la matérialité des faits. Contactée à ce sujet, la Préfecture de Police de Paris apporte finalement une réponse aux interrogations de Noura, expliquant : "Aucun des trois fonctionnaires en cause n'a été suspendu à ce stade. Les trois fonctionnaires n'exercent toutefois plus leur fonction sur la voie publique".

"Les policiers n'ont pas été auditionnés"

L’avocat de la famille de Rayana, Me Florian Lastelle, partage les mêmes interrogations, la même colère que ses clients : "Des témoignages, des vidéos doivent être sérieusement examinés dans ce dossier. Les policiers n’ont pas été auditionnés et donc n’ont pas été confrontés aux éléments à charge qui pourraient largement justifier des mises en examen. C’est incompréhensible avec les mois qui passent. Lorsque des policiers font des fautes, il faut les constater. Et j’ai le sentiment – et j’espère que ce n’est que mon sentiment – qu’aujourd’hui, on a dans cette affaire des policiers qui protègent d’autres policiers".

"Rappelons qu’on parle d’une jeune passagère totalement innocente qui a reçu une balle dans une zone létale par un policier situé à une distance qu’on estime entre un mètre et un mètre cinquante"

Maître Florian Lastelle, avocat de la famille de Rayana

à franceinfo

Maître Lastelle tient à signaler que tout était parti d’un contrôle pour défaut de ceinture de sécurité. Selon lui, le conducteur refusait de s’arrêter et en cela, il était en tort, mais l’avocat ajoute : "Ce conducteur n’a pas tenté de foncer sur les policiers et rien ne peut justifier, expliquer la rafale de neuf balles tirées en plein jour un samedi dans un secteur fréquenté, par des familles notamment".

L’idée que la jeune Rayana puisse n’être considérée que comme "un dommage collatéral" dans cette affaire est insupportable à Me Lastelle qui veut croire que les trois policiers seront, un jour, jugés et condamnés. Il espère même un procès aux assises.

L’avocat des trois fonctionnaires, Me Laurent-Franck Liénard, que nous avons sollicité n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Le témoignage de la mère de Rayana, tuée d'une balle dans la tête tirée par un policier dans le quartier de Barbès en juin 2022, au micro de Mathilde Lemaire

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