Ce que l'on sait de l'attaque terroriste contre le professeur décapité à Conflans-Sainte-Honorine
Neuf personnes dont un mineur ont été placées en garde à vue, a appris franceinfo de source judiciaire. Il s'agit des parents, d'un grand-parent et du petit frère du suspect, mais aussi d'un parent d'élève qui avait posté une vidéo sur internet.
Un professeur d'histoire-géographie, qui avait montré à ses élèves des caricatures de Mahomet, a été décapité près d'un collège vendredi 16 octobre à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) dans "un attentat terroriste islamiste caractérisé", selon les termes d'Emmanuel Macron, trois semaines après l'attaque devant les anciens locaux de Charlie Hebdo.
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Emmanuel Macron réunira d'ici dimanche un Conseil de défense restreint, a annoncé l'Elysée à franceinfo, samedi.
Neuf personnes, dont un mineur, ont été placées en garde à vue, a appris franceinfo samedi de source judiciaire. Les parents, un grand-parent et le petit frère de l'assaillant ont été interpellés à Evreux (Eure). Un parent d'élève qui avait posté une vidéo sur Facebook, appelant notamment à l'éviction de l'enseignant, fait également partie des gardés à vue, tout comme un homme apparaissant sur cette vidéo et ayant accompagné le père au collège, ainsi que son épouse.
Que s'est-il passé ?
C'est la police municipale d'Eragny-sur-Oise qui a alerté la police nationale après avoir découvert une personne décapitée. Selon les informations de France 3 Ile-de-France, il était à peu près 17 heures quand les policiers de la BAC de Conflans-Saint-Honorine se sont rendus sur place.
A proximité du collège du Bois d'Aulne, ils ont fait face à un homme qui les a menacés en criant "Allah Akbar". Il a tiré sur les policiers avec un pistolet air soft (pistolet à bille à air comprimé qui n'est pas létal), selon les informations de franceinfo. Les policiers ont fait feu à dix reprises et ont abattu l'assaillant. Les forces de l'ordre lui avaient demandé de mettre son arme à terre, ce dernier a refusé.
Une témoin jointe par France 2 a raconté les instants qui ont suivi le meurtre : "On a vu deux voitures de police qui cherchaient quelque chose. Alors on leur a indiqué, on leur a fait des grands gestes. J'ai prévenu ma mère pour qu'elle s'enferme chez elle. Et puis elle m'a rappelée, elle me dit : 'J'entends des coups de feu, j'entends des coups de feu'."
Que sait-on de la victime ?
La victime, Samuel P., est un professeur d'histoire, père de famille de 47 ans. "Il a été assassiné parce qu'il enseignait, parce qu'il apprenait à des élèves la liberté d'expression, la liberté de croire et de ne pas croire", a affirmé sur place Emmanuel Macron, liant directement sa mort avec une polémique ayant eu lieu dans son établissement quelques jours plus tôt.
Selon les informations de franceinfo, il avait montré pendant l'un de ses cours des caricatures de Mahomet à ses élèves, il y a une semaine, suscitant une vive émotion au sein de l'établissement, qui s'était répercutée dans la commune. Il avait fait l'objet de menaces après ce cours. La victime aurait, selon Rodrigo Arenas, coprésident de la FCPE, "invité les élèves musulmans à sortir de la classe" avant de montrer un dessin du prophète accroupi avec une étoile dessinée sur les fesses et l'inscription "une étoile est née".
Pour avoir montré ces caricatures, il était visé par une plainte déposée par un parent d'élève le 8 octobre, a appris franceinfo de source proche de l'enquête, confirmant une information de BFMTV. Ce père d'une élève du collège Bois d'Aulne de Conflans-Sainte-Honorine avait porté plainte pour "diffusion d'images pornographiques" car on voyait le prophète nu sur une de ces caricatures. Le professeur avait, quelques jours plus tard, porté plainte à son tour pour "diffamation publique", a ajouté la source proche du dossier, confirmant une information de BFMTV.
Sur France Inter, le père d'un élève de 13 ans, qui se trouvait dans la classe de ce professeur ce jour-là, a réagi. Selon lui, le professeur avait demandé aux élèves musulmans de sortir, avant de montrer les caricatures : "Apparemment, il n'a pas fait ça méchamment. Mon fils m'a dit qu'il avait fait ça pour préserver les enfants, pour ne pas les vexer. Il leur a dit : 'Je vais montrer une image. Je vous conseille de sortir pour pas être vexés, pour ne pas être choqués'", a insisté le père de famille, expliquant que l'enseignant "n'a pas voulu être condescendant ou manquer de respect". Si des parents d'élèves étaient venus voir l'enseignant pour expliquer "qu'il avait fait une erreur, mais de rien du tout", le parent d'élève souligne qu'"il y avait beaucoup de tensions sur les réseaux sociaux".
Que sait-on de l'assaillant ?
Le suspect est un jeune homme de 18 ans, né à Moscou en 2002 et d'origine tchétchène, a appris franceinfo de source proche du dossier. Selon nos informations, il était inconnu des services de renseignement.
Les enquêteurs cherchent maintenant à savoir s'il a lui-même posté un message sur Twitter montrant une photo de la tête de la victime décapitée avec un message adressé à Emmanuel Macron, "le dirigeant des infidèles", disant vouloir venger celui "qui a osé rabaisser Muhammad".
A qui l'enquête a-t-elle été confiée ?
Le parquet de Pontoise s'est aussitôt dessaisi au profit du Parquet national antiterroriste qui a ouvert une enquête pour "assassinat en relation avec une entreprise terroriste" et "association de malfaiteurs terroriste criminelle".
Le service régional de police judiciaire de Versailles, la Sous-direction antiterroriste (Sdat) et la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) sont chargés de cette enquête.
Quelles sont les réactions ?
Emmanuel Macron a qualifié les faits d'"attentat terroriste islamiste". Sur place, il a assuré que que la nation ferait bloc contre "l'obscurantisme" pour "protéger et défendre" les enseignants. "Tous et toutes, nous ferons bloc. Ils ne passeront pas. L'obscurantisme et la violence qui l'accompagne ne gagneront pas. Ils ne nous diviseront pas. C'est ce qu'ils cherchent et nous devons nous tenir tous ensemble", a ajouté le chef de l'Etat.
"C'est la République qui est attaquée" avec "l'assassinat ignoble de l'un de ses serviteurs", a réagi pour sa part Jean-Michel Blanquer, sur Twitter. Le ministre de l'Education nationale a annoncé qu'il recevrait samedi matin les représentants du personnel de l'établissement et les parents d'élèves, et qu'il s'adresserait en vidéo "à tous les professeurs, à tous les personnels et aux familles."
Du côté des syndicats d'enseignants, les réactions sont vives. "Nous sommes sous le choc", a déclaré Sophie Vénétitay, du Snes-FSU, premier syndicat du secondaire, au micro de franceinfo. "Nous avons ce soir un collègue qui a été assassiné, parce qu'il faisait son métier, parce qu'il avait choisi de faire cours en utilisant des caricatures, qui sont un des meilleurs moyens pour ouvrir l'esprit des élèves à l'autre, pour se confronter à la contradiction."
"Nous sommes tous sous le choc. Nous avons un collègue qui a été assassiné parce qu'il faisait son métier." @SVenetitay sur @franceinfo.#JeSuisProf #Eragny pic.twitter.com/0OuQBf40an
— SNES-FSU (@SNESFSU) October 16, 2020
Même émotion du côté du SE-Unsa : "C'est l'horreur qui frappe l'école de la République", a lancé son secrétaire général, Stéphane Crochet. "C'est l'école qui est attaquée pour tout ce qu'elle représente dans sa volonté de construire les esprits, d'ouvrir les esprits de tous, a-t-il dit. C'est une attaque au plus profond de l'école et une attaque à la République."
L'attentat a également soulevé une vague d'indignation dans la classe politique, tous bords confondus. A l'Assemblée nationale, les députés se sont levés pour "saluer la mémoire" du professeur et dénoncer un "abominable attentat". "C'est le drame absolu, je suis sonnée, K.-O., c'est épouvantable", a réagi sur franceinfo Michèle de Vaucouleurs, députée MoDem de la 7e circonscription des Yvelines. Cette attaque atteint un "niveau de barbarie insoutenable", a condamné la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen. "Ignoble crime", s'est indigné le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon.
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