Renseignement et lutte contre le terrorisme : la fusion de la DST et des RG a été "une erreur profonde"
Depuis les attentats de 2015, les critiques pointent la fusion des Renseignements généraux et de la Direction de surveillance du territoire. Dans son livre, "Une histoire secrète des RG", Brigitte Henri fait le même constat.
Après les attentats de Paris en novembre 2015, puis de Nice et de Saint-Étienne-du-Rouvray, en juillet 2016, les mêmes critiques sont revenues, le même constat amer : la réforme des Renseignements généraux français, opérée en 2008 par le président de l'époque, Nicolas Sarkozy, a été contre-productive. Pire, elle aurait affaibli le pays et l'aurait privé d'un réseau solide face au terrorisme islamiste. C'est ce que ce dénonce Brigitte Henri dans son livre, Une histoire secrète des RG, publié le 22 février (Flammarion).
Ancienne commissaire divisionnaire de la police nationale, Brigitte Henri a travaillé pendant plus de vingt ans pour les Renseignements généraux. Elle se confie à franceinfo sur ce passé et sa vision sur l'évolution des Renseignements généraux en France.
franceinfo : Pourquoi un livre à charge contre l'ancien président Nicolas Sarkozy ?
Brigitte Henri : Parce que j'estime qu'il a fait une erreur profonde en fusionnant la Direction centrale des renseignements généraux [RG] avec la Direction de la surveillance du territoire [DST], le 1er juillet 2008. Cette fusion s'est mal passée. La DCRI [Direction centrale du renseignement intérieur, devenue la DGSI en 2014] qui a été créée à la suite de cette fusion, n'a pas rempli son rôle. C'était une citadelle fermée sur elle-même qui n'a pas su coordonner l'ensemble des renseignements, qui n'a pas su, non plus, aller sur le terrain et recueillir des informations très pertinentes, notamment sur les réseaux terroristes.
D'après vous, on a fusionné deux entités, la DST et les RG, qui n'avaient pas du tout la même culture.
Exactement ! Ce n'était pas deux entités opposées, parce que ces deux entités fonctionnaient en osmose. Mais effectivement, leur travail était profondément différent. La DST s'occupait de l'ingérence des pays étrangers sur notre territoire et du contre-espionnage, de façon générale, alors que les RG n'étaient pas du tout sur ce créneau. Ils s'occupaient de tout ce qui était social, économique, politique et puis de la lutte contre le terrorisme, qu'il soit interne ou externe.
Nicolas Sarkozy aurait voulu se venger sur les Renseignements généraux qui avaient enquêté sur lui ?
Oui, je pense que cette fusion se fait sur un terreau de méfiance, de représailles, vis-à-vis d'Yves Bertrand [directeur des RG de 1992 à 2004], qui, pourtant, n'est plus aux Renseignements généraux à ce moment-là, puisqu'il est rentré à l'Inspection générale de l'administration. Mais son empreinte reste très forte au sein des RG et Nicolas Sarkozy a eu du mal à reconnaître que les Renseignements généraux aient enquêté sur son patrimoine – du moins, c'est ce qui se disait à l'époque. Et depuis qu'il est ministre de l'Intérieur, il veut imposer son poulain, Bernard Squarcini, ce qu'il n'arrive pas à faire jusqu'au départ d'Yves Bertrand.
Bernard Squarcini prend la tête de la nouvelle DCRI en 2008. Vous dites qu'à partir de ce moment-là, les RG sont "désossés", avec moins d'agents sur le terrain.
C'est devenu une administration bureaucratique dans le mauvais sens du terme. C'est une institution qui fonctionne très renfermée sur elle-même, obligeant les fonctionnaires qui y travaillent à rédiger des tas de rapports, à demander des tas de permissions pour pouvoir passer un coup de fil, converser avec un homologue de la PJ [police judiciaire]. Ça devient une lourde machine qui ne remplit plus son rôle.
Est-ce à cause de cette réforme de 2008, à cette défiance envers les RG, qu'on passera plus tard, à côté des terroristes comme Mohammed Merah ?
Tout à fait. La DCRI va passer à côté, tout simplement parce qu'il n'y a plus de renseignement de terrain. Les RG étaient spécialisés dans la surveillance des quartiers difficiles, de l'islam radical, ils suivaient des groupes qu'ils connaissaient, ce qui n'est plus le cas avec la DCRI (...) Et en même temps, certains hommes politiques, de droite comme de gauche, ont tenté d'utiliser les RG pour leur propre bien et non pas pour le bien de l'État.
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