Attentats : le commandant des pompiers de Paris raconte la soirée meurtrière du 13 novembre
Philippe Boutinaud a été auditionné par la commission de la défense nationale et des forces armées.
"La plus importante opération de secours jamais effectuée par les pompiers." Philippe Boutinaud, commandant de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), se souvient de la soirée des attentats du 13 novembre 2015, minute par minute. Il a témoigné devant la Commission de la défense nationale et des forces armées, le 16 décembre. Le compte-rendu de l'audition a été publié en janvier 2016.
De 21h19 à 8 heures du matin, il livre un récit précis des quatre phases d'intervention des sapeurs-pompiers, des centaines d'appels reçus aux multiples interventions sur les différents sites touchés par les attentats. Francetv info a relevé, dans ce témoignage inédit, les cinq faits les plus marquants.
680 personnes mobilisées
"L’opération du 13 novembre constitue assurément la plus grosse opération de secours par le nombre de victimes [130 morts, sans compter les terroristes] depuis les années 1980 et peut-être la plus importante jamais effectuée par les pompiers de Paris, si l’on exclut les bombardements de la seconde guerre mondiale", souligne Philippe Boutinaud.
"Entre 21h30 et 22 heures, nous avons reçu 700 appels, dont certains faisaient état de fusillades, d’autres d’explosions, d’autres de scènes de panique ou de prises d’otages. On nous indiquait de très nombreuses adresses différentes", raconte le commandant. Pour porter secours à toutes ces victimes, 430 pompiers de Paris ont été déployés sur le terrain, soutenus par 250 agents et aidés par les différentes associations agréées de sécurité civile, comme la Croix-Rouge, l’Ordre de Malte, la Croix-Blanche et la Protection civile de Paris. Au lieu des six ambulances de réanimation habituelles, 28 véhicules ont été mobilisés cette nuit-là.
Une "course mortifère" redoutée par les secours depuis l'été
"Nous étudiions notamment depuis cet été le cas d’une course mortifère dans Paris", explique Philippe Boutinaud. La BSPP avait en effet construit un plan d'action à partir d'un scénario d'attaques sur plusieurs sites. Pour s'entraîner, les équipes s'exercent tous les samedis, testant chaque semaine de nouveaux déroulements.
"Les pompiers de Paris sont donc préparés à intervenir dans ces contextes. Mais ils ne peuvent pas agir seuls", ajoute le commandant des sapeurs-pompiers. Il avait d'ailleurs organisé, avec le préfet de police et le chef du service d'aide médicale d'urgence (Samu), un exercice de simulation, le 13 novembre au matin.
Pourquoi il ne fallait pas faire évacuer le Stade de France
Lors du match de football opposant la France et l'Allemagne, trois kamikazes avaient également déclenché leurs bombes aux abords du Stade de France, à Saint-Denis. Sur internet, beaucoup ne comprenaient pas pourquoi les tribunes n'étaient pas évacuées et le match arrêté. Quelque 72 000 personnes étaient alors dans l'enceinte du stade.
Ils comptent expliquer pourquoi ils ont évacué Hollande du Stade de France mais ils ont pas arrêté le match? #PrayForParis
— Eya (@Niama_Eya) 14 Novembre 2015
"Pendant que les spectateurs regardaient le match, dès lors qu’aucune explosion n’avait eu lieu à l’intérieur, les gens risquaient moins dans le stade que dehors où des kamikazes auraient pu se mêler à la foule pour alourdir le bilan", justifie Phillippe Boutinaud. "Par ailleurs, cela laissait aux secours et aux policiers un répit pour travailler plus sereinement après les deux premières explosions de kamikazes", ajoute-t-il.
Les dysfonctionnements lors de l'intervention
Lors de son audition, Philippe Boutinaud a également soulevé les dysfonctionnements qui ont gêné l'intervention. Il explique tout d'abord que, les pompiers n'étant pas armés, "il convient de travailler avec les forces de sécurité pour mieux assurer la protection des secours ainsi que celle des victimes." Le commandant a également constaté que le centre d'appels du Samu a vite été submergé, "si bien qu’il lui fut plus difficile de se coordonner rapidement avec nous dans la soirée du 13 novembre."
Le commandant souligne également qu'il a été difficile, pendant l'intervention, de localiser le commandant des opérations police (COP) sur chaque site. "Nous avons demandé que le COP porte une chasuble d’identification", a déclaré Philippe Boutinaud. "Cet élément s’avère très important, car les COP sont responsables des plans rouges alpha circulation (Prac) qui ouvrent les itinéraires et donc les axes d’arrivée et d’évacuation pour les secours", a-t-il précisé.
Le commandant dénonce enfin les rumeurs qui se sont propagées pendant les attentats. Il cite notamment celle d'un tireur soi-disant posté à la gare du Nord le soir des attentats, et qui aurait fait de nombreuses victimes. Une perte de temps pour les sapeurs-pompiers : "Nous sommes parvenus à dissiper [la rumeur] en demandant aux appelants s’ils avaient vu eux-mêmes des blessés ou le tireur. Beaucoup avaient entendu dire, mais aucun n’avait vu. Il s’agit d’un problème récurrent", regrette le commandant de la BSPP.
Après l'intervention, le soutien aux équipes
Après cette difficile nuit, le travail du commandant était loin d'être terminé. "Dès leur retour d’interventions, j’ai demandé à tous les garçons et les filles qui avaient participé aux secours la nuit du 13 au 14 novembre d’écrire librement ce qu’ils avaient fait", raconte Philippe Boutinaud. Un exercice qui comporte deux objectifs : mieux comprendre le déroulé de l'intervention et aider psychologiquement les personnes qui ont assisté à ces scènes d'horreur. "Les pompiers au Bataclan ont découvert 78 morts dans la salle de spectacle et ont entendu sonner les téléphones portables des personnes décédées que leurs proches tentaient de joindre. Ce sont des moments difficiles", explique-t-il. Tous les pompiers présents le 13 novembre ont donc vu un psychologue et un psychiatre.
Philippe Boutinaud a également mis en place plusieurs nouveaux dispositifs afin de faciliter le travail des équipes. Un véhicule satellite lui a ainsi été accordé, pour éviter que les pompiers soient dépendants des téléphones portables. "Enfin, pour améliorer la connaissance des gestes qui sauvent, j’ai proposé à madame la maire de Paris et au préfet de police une action qui débutera à partir de la mi-janvier 2016", explique-t-il. Le samedi après-midi, les Parisiens pourraient donc se rendre dans des centres de secours pour apprendre les bons gestes pour arrêter une hémorragie, pour réaliser un garrot ou un massage cardiaque.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.