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Au procès des attentats du 13-Novembre, des "gueules cassées" témoignent des ravages des balles de kalachnikov

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La cour d'assises spéciale de Paris a entendu des parties civiles du Bataclan, jeudi 7 octobre, au procès des attentats du 13-Novembre. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE INFO)

"Pourtant, je n'étais pas dans une tranchée, mais dans une salle de concert", a raconté par exemple Gaëlle au deuxième jour d'audition des parties civiles du Bataclan.

Elle s'avance à la barre, silhouette élancée et gracieuse. Gaëlle a fêté ses 40 ans cette semaine : "J'aurais aimé un cadeau plus chouette que d'être devant vous mais je ne me plains pas." Gaëlle est vivante, contrairement à son compagnon Mathieu, dont la photo s'affiche sur les écrans de la cour d'assises spéciale de Paris. Ce "super papa" n'est pas ressorti du Bataclan. Elle oui. En tenant sa joue arrachée par une balle de kalachnikov. Ses cicatrices et son récit insoutenable (qui peut heurter la sensibilité des lecteurs), jeudi 7 octobre, au procès des attentats du 13-Novembre, témoignent de la violence de ces armes de guerre utilisées par les terroristes ce soir-là.

L'indicible récit de la tuerie

Le couple était situé à l'entrée de la salle de concert, première zone visée par les trois kamikazes du groupe Etat islamique. Mouvement de foule, les corps tombent. Gaëlle réalise qu'elle est grièvement blessée "en voulant retirer quelque chose sur son visage. La partie gauche était entièrement détachée, ma main droite s'enfonçait directement à l'intérieur de ma bouche pour retirer les dents car je les avalais et ça me faisait tousser". Ses mots sont étouffés par les larmes.

Elle poursuit l'indicible, décrivant l'os de son bras, "perpendiculaire au reste de mon bras". La lumière se rallume dans la salle, les gens gémissent autour d'elle. Sauf Mathieu. "Je pensais qu'il faisait le mort vu qu'il ne me répondait pas." Elle aussi fait la morte "pendant un temps interminable. Je me vidais de mon sang, je me sentais partir tout doucement, l'odeur de poudre et de sang étaient insoutenables".

"Et puis là j'ai vu ma vie défiler, j'ai entendu mon fils de 7 ans me parler comme une hallucination : 'Maman, faut que tu te lèves, faut que tu sortes'."

Gaëlle, blessée au Bataclan

devant la cour d'assises spéciale de Paris

Gaëlle doit attendre l'arrivée des forces de l'ordre pour être évacuée. "J'ai réussi à me mettre accroupie et me lever comme par magie. Un homme m'a aidée, j'ai su après que c'était le négociateur de la BRI. Il m'a avoué que mon visage avait hanté ses nuits jusqu'à ce qu'il apprenne que j'étais encore en vie." Gaëlle se souvient ensuite de l'évacuation dans un "resto japonais à Oberkampf" puis vers l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Des "Oh mon dieu" à son arrivée. Le réveil en réanimation est "terrible", avec toutes ces "machines qui la maintiennent en vie" et les "premiers mots du chirurgien : 'Vous êtes une gueule cassée'." 

"J'ai réalisé que j'étais une victime de guerre entre Bastille et République. Pourtant, je n'étais pas dans une tranchée mais dans une salle de concert."

Gaëlle, blessée au Bataclan

devant la cour d'assises spéciale de Paris

Des opérations chirurgicales à n'en plus finir

"L'anesthésiste m'a prise en photo, raconte Gaëlle. Je me suis demandée s'il fallait la projeter ici et puis je me suis dit 'A quoi bon'. Cette photo, c'est le point de départ de ma nouvelle vie." Une vie rythmée par 40 interventions chirurgicales depuis six ans, dont la dernière en août, pour "réparer ma face fracassée" ainsi que son bras. Ce dernier a été reconstitué avec les os de son bassin "mais a recassé trois ans après, quand j'ai voulu moi-même couper une pomme de terre pour me faire une purée". Un "bras pirate" constellé de cicatrices en croix.

"Je me sens comme un patchwork rapiécé de partout."

Gaëlle, blessée au Bataclan

devant la cour d'assises spéciale de Paris

Gaëlle a dû retourner vivre chez ses parents. Nourrie à la sonde, "je suis redevenue un bébé, mes parents m'ont donné naissance une deuxième fois, j'ai dû tout réapprendre, même à marcher". Ses parents s'occupent aussi de son jeune fils pendant les "trachéotomies, les fixateurs externes, les gastrectomies, les greffes et auto-greffes en tout genre, les antibiothérapies, les maladies nosocomiales, les infections, les allers-retours à la Pitié, les passages aux urgences".

"Je fais des rêves simples comme croquer dans une pomme, boire un café sans que la moitié ne dégouline à côté, embrasser quelqu'un sans risquer de lui faire peur."

Gaëlle, blessée au Bataclan

devant la cour d'assises spéciale de Paris

Malgré la "fatigue", Gaëlle "travaille à transformer son handicap en force", entourée de l'amour de ses proches et de son garçon. Il la questionne beaucoup. "Il m'en veut d'être sortie ce soir-là, il s'agace des regards sur mon visage, il ne grandit malheureusement pas dans l'insouciance avec laquelle j'ai grandi à son âge, résume-t-elle. Face à tout cela, je me sens impuissante. J'écoute ce que me dicte mon cœur et j'improvise."

Des balles qui "délabrent"

Dans la salle d'audience, une autre femme défigurée par les balles des terroristes au Bataclan écoute. Son compagnon, Pierre-Sylvain, lui aussi grièvement blessé à la tête, a témoigné pour elle à la barre, juste avant Gaëlle. Il décrit l'effet de ces projectiles de guerre, utilisés sur des civils : "Ils délabrent beaucoup et provoquent des brûlures. Le risque principal, c'est le risque infectieux lié à la poudre et aux débris de limailles."

L'énumération clinique de leurs blessures glace la cour. Pierre-Sylvain "a pris une balle en travers de la figure, elle est rentrée sous l'œil, a contusionné l'os, ça m'a soufflé la joue." La balle d'Hélène "est rentrée par la tempe droite, a contusionné le lobe temporal du cerveau, déclenché une hémorragie, est ressortie en arrachant les os propres du nez et a détruit toute la partie inférieure de l'orbite".

Eux aussi ont enchaîné les opérations de reconstruction. Et six ans après, Hélène "a retrouvé un visage qu'elle peut montrer sans susciter de réactions". Ce couple n'est resté que "douze minutes" dans la salle de concert avant de pouvoir s'enfuir. Douze minutes "d'enfer" que Pierre-Sylvain résume ainsi : "Ce que j'ai vu ce soir-là, ce sont des criminels qui prenaient plaisir à tuer."

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