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Au procès des attentats du 13-Novembre, le témoin François Molins fend l'armure de procureur

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Le procureur général près la Cour de cassation, François Molins, devant la cour d'assises spéciale de Paris, au procès des attentats du 13-Novembre, le 17 novembre 2021. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE TELEVISIONS)

Rompu à l'exercice de communication, le magistrat, désormais procureur général, a endossé mercredi un autre rôle devant la cour d'assises spéciale de Paris.

Comme tous les témoins, il a commencé par décliner son identité : "François Molins, 68 ans, magistrat, domicilié 5 quai de l'Horloge." C'est l'adresse de la Cour de cassation, où l'ancien procureur de la République de Paris occupe les fonctions de procureur général. C'est aussi l'adresse du palais de justice où se tient le procès des attentats du 13-Novembre.

Rompu aux règles d'une cour d’assises, celui qui occupe désormais le plus haut poste de magistrat du parquet fait face au président, mercredi 17 novembre. Une situation inédite pour lui. Celui qui fut le "supérieur hiérarchique" des trois avocats généraux à sa droite n'est pas là pour porter l'accusation mais pour témoigner. Il ne communique pas, il raconte.

"Je pense que si je suis là, c'est pour dire à la cour ce que j'ai vécu au cours des 11 jours de l'enquête [préliminaire]", commence François Molins, assis derrière le pupitre en raison d'une sciatique. Il se livre à une sorte de "retex" personnel et professionnel, du nom de ces "retours d'expérience" qu'il organisait au parquet de Paris après chaque attentat "pour déterminer ce qui avait mal fonctionné, être meilleurs la fois d’après".

Pour le 13 novembre 2015, rien ne semblait pouvoir préparer les magistrats de la section C1 [antiterroriste] à "des actes d'une telle ampleur et sur huit sites". Six ans après, le magistrat le plus connu des Français – qui étaient régulièrement suspendus à ses conférences de presse maîtrisées – est prêt à rendre des comptes.

"Cet attentat terroriste n'a pas été évité. J'ai toujours vécu ce type de situation comme un échec."

François Molins, magistrat

devant la cour d'assises spéciale de Paris, le 17 novembre 2021

Son accent pyrénéen n'a pas changé, son phrasé est toujours aussi chirurgical. Mais son débit est plus rapide. Il lui faut résumer en préambule les trois années qui ont précédé les attentats. "On a commencé à être confrontés au terrorisme jihadiste dans les années 2011-2012. On assiste alors aux départs de Français dans les zones tribales du Pakistan et d'Afghanistan."

En mars 2012, quelques mois après son arrivée au parquet de Paris, survient l'attentat commis par Mohamed Merah à Toulouse et Montauban. Le grand public découvre le visage du procureur. Celui-ci va malheureusement réapparaître plusieurs fois, au gré de "l'intensification de la menace" et de la "massification du contentieux" jihadiste. Dans son costume sombre, François Molins l'illustre par deux chiffres : "dix dossiers ouverts en 2012, contre 239 en 2016." Au milieu, il y a la proclamation du califat par le groupe terroriste Etat islamique, en juin 2014. Malgré la judiciarisation des cas de Français tentant de rejoindre ou rejoignant la zone irako-syrienne, les attentats se multiplient. "Avec le 13-Novembre, on bascule dans la tuerie de masse."

"J'ai compris tout de suite"

Comme tous les témoins passés avant lui à la barre, François Molins raconte son 13-Novembre. Fatigué par trois jours de réunions à Marrakech (Maroc) consacrées à la lutte contre le terrorisme, il s'apprête ce soir-là à se coucher tôt, quand il reçoit vers 21 heures un appel l'informant d'une explosion au Stade de France.

Le magistrat passe du "nous" au "je" : "J'ai le réflexe d'allumer mon téléviseur sur une chaîne d'informations en continu, je vois un bandeau sur les fusillades. J'ai compris tout de suite qu'on y était, que c'était quelque chose de très lourd qui se dessinait." Le collectif reprend le dessus : "On a envisagé rapidement la saisine de la section C1." François Molins "rameute les troupes", active la cellule de crise du parquet de Paris.

Puis le "je" revient : "J'arrive sur les scènes de crimes, il n'y a encore aucun enquêteur, que des primo-intervenants. Je suis tombé sur un brave brigadier du 11e [arrondissement], qui a enlevé son gilet pare-balles pour me le mettre, ça donne une idée de la situation." Il arrive vers 22h30 au Bataclan, où sont positionnées les forces d'intervention. Deux heures plus tard, à 00h20, l'assaut est donné.

"Quand j'entre dans le Bataclan, c'est l'horreur, c'est dantesque. Jamais je n'aurais imaginé un bilan aussi lourd."

François Molins, magistrat

devant la cour d'assises spéciale de Paris, le 17 novembre 2021

L'émotion affleure derrière le récit cadencé : "Je n'oublierai jamais le visage d'une dame, les cheveux au carré, la tête posée sur un sac à main, avec un téléphone qui sonnait. Je suis rentré trois fois dans le Bataclan, je ne sais pas si je n'arrivais pas à y croire ou si je refusais d'y croire."

Des "erreurs" dans l'identification des victimes

Le directeur d'enquête reprend ensuite la main à la barre. François Molins déroule l'identification des véhicules des terroristes et de leur loueur, Salah Abdeslam, en fuite. Et la traque des deux terroristes "toujours dans la nature", Abdelhamid Abaaoud et Chakib Akrouh. L'"amateurisme" avec lequel ils ont géré l'"après", réfugiés dans un buisson à Aubervilliers puis dans un appartement à Saint-Denis, le laisse encore pantois. Le 18 novembre, ils sont tués dans l'assaut du Raid.

Dans l'"après" du procureur, il y a surtout la douloureuse identification des 130 victimes, dont le parquet de Paris est en charge. "Il y a eu des erreurs malgré les retex passés, admet François Molins. On dote les victimes d'un bracelet en code-barres et d'une fiche médicale associée à ce numéro. Compte tenu des multiples scènes de crimes, il y a eu des doublons et des bracelets souillés de sang qui étaient illisibles. Je mesure le caractère insupportable de ce type d'erreurs pour les victimes."

A l'Ecole militaire, désignée tardivement comme lieu d'accueil, "j'ai vu de nombreuses familles complètement désorientées. Je me souviens avoir moi-même confirmé les décès à deux d'entre elles", poursuit-il. François Molins assume son choix d'avoir confié la gestion des corps au seul Institut médico-légal de Paris, pour ne pas "compliquer davantage le parcours des familles". Mais le haut magistrat assure avoir mis une "pression maximale" à son directeur pour tenir "les délais" dans les opérations de médecine légale.

Cinq conférences de presse après les attentats

Chapitrant sa déclaration liminaire, François Molins en vient à la "communication" post-attentats et aux cinq conférences de presse qui ont suivi, entre le 14 novembre, "la plus dure car nous étions encore dans la sidération", et le 21 mars, après l'arrestation de Salah Abdeslam et avant les attentats de Bruxelles. "On s'est dit que l'institution judiciaire était la seule qui pouvait porter une parole crédible et fiable."

"On a vite compris que la communication permettait de gérer les peurs, de rassurer nos concitoyens. Je pense avec le recul que cet exercice est indispensable et j'espère qu'il a contribué à renforcer la confiance du public en la justice".

François Molins, magistrat

devant la cour d'assises spéciale de Paris, le 17 novembre 2021

Aujourd'hui, le procureur général ne répond pas aux questions des journalistes mais à celles de la cour. Etait-il averti d'une menace sur le Bataclan ? "A aucun moment on est en possession d'éléments qui permettent de penser que le Bataclan est une cible." L'intervention policière aurait-elle pu être menée plus rapidement ? "On n'est pas au Far West, où l'on entre dans un saloon avec des portes qui s'ouvrent." L'assaut de Saint-Denis a-t-il été bien dirigé ? "C'est une opération qui n'a pas connu le meilleur des bouclages, mais je ne ferai aucune critique sur des policiers qui exposent leur vie."

Le "super proc", comme l'avaient surnommé les médias, fait ni plus ni moins le même constat que de nombreux témoins avant lui à cette barre : "Je ne prétends pas qu'on a bien fait. On a fait au mieux, comme on a pu."

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