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Procès des attentats du 13-Novembre : depuis près de trois semaines, la colère et la douleur des victimes ricochent sur le box des accusés

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Une rescapée du Bataclan à la barre, au procès des attentats du 13 novembre 2015, au palais de justice de Paris, le 7 octobre 2021. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)

Depuis le début des témoignages des parties civiles, de rares échanges ont eu lieu entre la barre et le box. Les hommes jugés écoutent, impassibles, les témoignages terribles et les paroles qui leur sont adressées. 

"Tout nous sépare. J'ai le plus grand mépris pour eux. Des gens qui se font manipuler, dont la seule expression est celle de la violence et une vision du monde complètement moyenâgeuse." Ludovic se tient devant la cour d'assises spéciale de Paris, le 8 octobre. C'est un rituel depuis le début de l'audition des parties civiles au procès des attentats du 13-Novembre voici deux semaines et demie. Chaque rescapé ou proche de victime qui témoigne précise ses attentes vis-à-vis de ce rendez-vous judiciaire. Et saisit l'occasion de s'adresser aux 14 accusés présents, sur les 20 jugés.

"Est-ce que vous avez déjà vu une mare de sang, des corps déchiquetés, est-ce que vous avez déjà entendu des hurlements ?" leur lance Cédric. Cet homme de 43 ans, rescapé de la tuerie du Bataclan, est profondément traumatisé. Il a assisté à l'agonie de plusieurs blessés dans la salle de concert, où 90 personnes ont été assassinées. "Vous avez attaqué des gens innocents, non armés, pas des militaires qui pouvaient riposter. Nous, on n'est pas responsables de ce qui se passe en Syrie ! Je comprends votre colère, comprenez la nôtre", poursuit-il en regardant sur sa gauche. Silence dans le box.

Un échange à sens unique

L'échange est à sens unique puisque, s'il tolère les prises de parole spontanées des accusés, le président Jean-Louis Périès ne souhaite pas les faire réagir à ce qu'ils entendent. En cause, la crainte de dérapages et un planning très serré. Plus de 300 parties civiles témoignent pendant cinq semaines et 70 ne connaissent pas encore leur date de déposition. Cette longue séquence de témoignages ne sera donc pas ponctuée par les interventions des accusés, comme cela avait été fait lors du procès des attentats de Charlie Hebdo, Montrouge et de l'Hyper Cacher

Ce choix est également dicté par l'attitude de Salah Abdeslam, l'accusé le plus médiatique de ce procès. Ses interventions n'ont pas laissé entrevoir une possibilité de "dialogue", quand bien même il a lui-même prononcé ce mot. Mutique pendant l'instruction, le seul survivant des commandos terroristes s'est exprimé à plusieurs reprises, se présentant dès le premier jour du procès comme un "combattant de l'Etat islamique". Au sixième jour, il a justifié les attentats par les frappes de la coalition en Syrie et en Irak : "On a combattu la France, on a visé la population (...), il n'y avait rien de personnel." "On peut se faire la guerre, s'entretuer, se détester, mais la porte du dialogue doit toujours rester ouverte", a-t-il osé encore un peu plus tard, soutenant que les terroristes étaient ses "frères".

Sa seule réaction après le témoignage d'une victime est allée dans le même sens. "On est musulmans nous aussi. A partir du moment où on tue, on n'est plus musulman", tance Sira, la sœur d'Asta Diakité, tuée dans sa voiture pendant la fusillade au niveau du Petit Cambodge et du Carillon. "Quand nous avons attaqué, nous avons attaqué les mécréants. Si nous avons touché des musulmans, ce n'était pas notre intention", répond l'accusé devant une salle médusée.

Des accusés impliqués à des degrés divers

Ces propos n'ont bien sûr pas échappé aux parties civiles assises dans la salle d'audience et derrière la webradio, dispositif inédit mis en place pour ce procès historique. Dès le deuxième jour de leur audition, des rescapés du Stade de France et des terrasses ont ainsi invectivé Salah Abdeslam, le qualifiant de "lâche" et de "racaille". "Si vous me le permettez, monsieur le président, j'aurais 1 000 fois préféré qu'il se fasse péter en se ratant comme son frère [Brahim Abdeslam, tué malgré sa ceinture explosive défectueuse], comme ça, nous aurions tous gagné du temps", fustige Olivier, blessé au Carillon. 

Si le président laisse les parties civiles exprimer librement leur colère, il a tenu à faire une mise au point au bout d'une semaine d'auditions, "nécessaire" pour la "sérénité des débats".  

"Vous êtes nombreux à vous adresser aux accusés. Je rappelle juste qu'ils bénéficient de la présomption d'innocence et que pour nombre d'entre eux, ils contestent leur participation aux faits."

Jean-Louis Périès, président de la cour d'assises spéciale de Paris

au procès des attentats du 13-Novembre

Les neuf terroristes qui ont semé l'effroi ce soir-là dans Paris sont tous morts, après s'être fait exploser ou avoir été neutralisés par les forces de l'ordre. Selon les enquêteurs, Salah Abdeslam devait être le 10e homme, mais il a fui en Belgique en laissant sa ceinture explosive défectueuse derrière lui. Ce trentenaire originaire du quartier de Molenbeek, à Bruxelles, est le seul à être poursuivi comme coauteur. Dix accusés − dont six absents sont jugés pour complicité, huit pour association de malfaiteurs terroriste criminelle et un pour recel de terroriste. Logisticiens, convoyeurs, artificiers ou membres des commandos, ils sont soupçonnés, aux côtés de Salah Abdeslam, d'avoir été impliqués à des degrés divers dans les attaques. 

Des questions sans réponses

Mais pour les parties civiles qui témoignent, ces hommes ne forment qu'un seul et même bloc, indissociable de celui des kamikazes et des tireurs. "Je laisse à la cour le soin de juger ces assassins", fulmine Nicole, la mère d'une rescapée. Le patron de La Belle équipe, où 21 personnes ont été tuées, les qualifie ''d'assaillants" : "Je n'attends pas de réponse [de leur part]. Ils sont de simples fantassins du mal, des écervelés disciplinés, qui n'ont rien à avoir avec l'islam, une belle religion." Derrière ces paroles, il y a "l'idée sous-jacente que les accusés vont prendre conscience de quelque chose, qu’ils se trompent dans leur interprétation de l’islam, qu’ils ont attaqué des innocents et que ça n’a pas de sens", observe pour franceinfo Gérard Chemla, avocat de nombreuses parties civiles.

"Comment avez-vous pu penser que la mort de plus d'une centaine de gens ici pouvait compenser la mort de gens là-bas ? interroge Claude, 57 ans, rescapé de La Bonne bière. Vous pensez qu'on vit mieux en Syrie ?"  Cet ancien inspecteur du travail veut croire à la possibilité d'un dialogue.

"Le pardon, ça se demande. Votre condamnation, ça ne me réparera pas et ça ne m'apaisera pas. Mais ça ne m'empêchera pas non plus, si vous le désirez un jour, y compris en prison, d'aller vous parler. Mais il faut avoir le courage d'être des hommes."

Claude, rescapé de La Bonne bière

au procès des attentats du 13-Novembre

"La figure" de Salah Abdeslamqui reste pour l'instant l'accusé le plus connu, "pousse les parties civiles à interpeller davantage le box", note pour franceinfo Virginie Sansico, historienne membre d'un groupe de recherche sur le procès des attentats du 13-Novembre. "Le fait qu'il s'exprime a déclenché quelque chose, y compris des initiatives sur le modèle de la justice restaurative", à l'instar de celle de Claude, ajoute-t-elle.

"Inverser le rapport de force"

Les mots des parties civiles vont-ils réellement cheminer jusqu'au box ? Pour l'instant, un seul accusé a spontanément manifesté sa "compassion", au deuxième jour des témoignages. "Très sincèrement, j'en peux plus, je suis très peiné, je n'ai pas dormi de la nuit, notamment avec le témoignage de Maya grièvement blessée au Carillon. Je suis extrêmement touché", a fait savoir Yassine Atar, le frère de l'ordonnateur des attentats, Oussama Atar. Poursuivi pour avoir détenu une clé de la planque bruxelloise de la cellule terroriste, il poursuit : "Je voudrais que les gens sachent qu'il peut y avoir des gens dans ce box qui sont peinés par les témoignages. On est des êtres humains. Moi, je ne suis pas un terroriste."

Depuis, les accusés n'ont plus pipé mot. Comme l'ensemble de la cour, ils écoutent en silence les récits effroyables livrés à la barre. Un écran de retransmission a été activé pour qu'ils puissent voir les parties civiles de face depuis le box. 

Pour Gérard Chemla, il est "vain" et risqué d'attendre une réponse de leur part sur ces témoignages. Sollicités par franceinfo, les avocats de la défense n'ont pas souhaité s'exprimer à ce sujet. "Si l'un d'entre eux dit : 'Vous avez raison, je regrette', on va penser que c’est utilitaire", reprend l'avocat des parties civiles. L'important, selon lui, est la possibilité pour ces dernières "d'inverser le rapport de force" pendant ces cinq semaines. Leur nombre, leurs larmes et leurs cicatrices pèsent plus lourd que les images des scènes de crime, épargnées aux victimes, mais aussi aux accusés. "Qui sont les soldats ? blâme Maureen, 34 ans, réchappée du Bataclan. Ceux qui organisent [ces attaques] et tuent des personnes désarmées ou ceux qui, fracassés, blessés, ont perdu leur amour, leur enfant (...) et qui malgré tout se lèvent tous les matins et avancent ? En fait, qui sont les vrais guerriers là-dedans ?"

"Les parties civiles disent aux accusés : 'On a été obligés de vous subir, vous êtes obligés de nous subir'."

Gérard Chemla, avocat de parties civiles

à franceinfo

Les témoignages des parties civiles doivent se poursuivre jusqu'à la fin octobre, avant les premiers interrogatoires de personnalité des accusés, début novembreLa jeune Jessica, qui peine à se tenir debout à la barre six ans après avoir été criblée de balles à La Belle équipe, les a prévenus : "Vous allez nous voir et nous entendre !" 

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