Procès du 13-Novembre : le journal de bord d'un ex-otage du Bataclan, semaine 25
David Fritz-Goeppinger fait partie de la douzaine de personnes prises en otage par les terroristes au Bataclan. Photographe, il tient son journal de bord pendant toute la durée du procès des attentats du 13-Novembre.
Depuis le 8 septembre 2021 le procès des attentats du 13-Novembre se tient à Paris. David Fritz-Goeppinger, victime de ces attentats est aujourd’hui photographe et auteur. Il a accepté de partager via ce journal de bord son ressenti, en image et à l'écrit, durant les longs mois que durent ce procès fleuve, qui a débuté le mercredi 8 septembre 2021 devant la cour d'assises spéciale de Paris. Voici son récit de la 25e semaine d'audience.
>> Le journal de la vingt-quatrième semaine
13 avril 2022, vicissitudes de l'audience
Mercredi 13 avril. Même chose qu’hier mais avec la pluie en prime. Je fais la queue pour prendre un café, il est bientôt treize heures. Je souris en me rendant compte que j'en suis venu à chérir ces moments entre amis, même si je ne veux pas être naïf, la fin du procès approche et la fin de ces instants conviviaux aussi. J'en ai déjà parlé hier mais j'appréhende chaque jour le vide sidéral que la fin de l'audience laissera dans nos vies. Avant que le procès ne commence et bien que je sache que je suis particulièrement sociable, j'étais loin d'imaginer le véritable village qu'est devenu V13. Des amitiés naissent et certaines rencontres sont devenues des verres en terrasse, creusant des liens plus profonds, le dehors et le dedans. La voix robotique du "coffee bar" devenue le trait d’union accompagnant la plupart des discussions complices. Au début, et en tant que partie civile, la découverte du procès m'impressionne. J'étais soufflé par tant de préparation, tant d'investissement pour que justice soit faite. Avec le recul et sept mois après mes premiers pas dans le sanctuaire, la surprise a laissé la place à l'habitude et l'habitude à la lassitude. En venant aujourd'hui, je réalise que sur le premier planning d'audience que nous avons reçu l'été dernier, la date de fin du procès était fin avril. Je me souviens de mon épouse et moi, naïfs, en train de réserver des vacances début mai, optant pour deux semaines de battement au cas où le procès prendrait du retard. Raté. Puis le second planning annonçait une fin le 22 mai, puis le suivant le 24 juin. Au fond, je me demande si mon cerveau n'était pas resté sur cette première chronologie et s'il n'accuse pas le coup de ces quatres semaines de retard.
Les derniers interrogatoires des accusés concernant les faits ont commencé hier. À deux mois de la fin du procès, j'ai le sentiment qu'ils sont l'ultime point culminant du procès, avant une nouvelle suspension d'une semaine, suivie d'ultimes dépositions de parties civiles et de l'audition de témoins cités par les avocats de victimes. L'audience d'hier s'étant terminée tard, le président a déplacé l'audition d'Ali Oulkadi à aujourd'hui. Mohammed Amri et Hamza Attou ont été interrogés hier sur le trajet Paris-Bruxelles. Concernant l'implication d'Oulkadi dans la fuite de Salah Abdeslam, l'homme a déplacé le principal accusé d'un quartier à l'autre de Bruxelles et a donc contribué à la perte de sa trace par les autorités franco-belges. Ali Oulkadi fait partie des accusés libres à l'audience et je croise souvent sa route dans les couloirs ou les marches du Palais de Justice. Bien que je sois sur place, je ne suis l'audience que d'une oreille mais comme hier, les parties tournent les questions dans tous les sens : "Pourquoi n'avez-vous pas dénoncé Salah Abdeslam ? Pourquoi l'avoir aidé ? Quand avez-vous appris pour son implication dans les attentats ?" En creux, l'homme regrette tout ce qu'il a fait ce jour-là et déclare à la barre: "Avec le recul, bien sûr que je me rends compte, j'ai transporté un gars qui a participé au massacre de 131 personnes !" Sur le fait de n'avoir pas dénoncé le fuyard, il relate la même "peur" dont a témoigné Mohammed Amri hier, mais il admet qu'il en veux aux frères Abdeslam d'avoir gâché sa vie et il ne comprend pas comment ils ont pu préparer des attentats alors qu'eux même possédaient une terrasse de restaurant. À l'ultime question de son conseil, maître Dosé : "C'est votre dernier interrogatoire, que voulez-vous dire ?" L'homme, visiblement ému, fait référence à l'audio du Bataclan diffusé il y a deux semaines et avoue qu'il lui a "glacé le sang". Il poursuit en remerciant les parties civiles qui viennent à sa rencontre et le saluent : "Elles me font sentir Ali. Vous ne pouvez pas savoir comment ça fait chaud au coeur, ça fait ma journée." Pour conclure, il pense à ses proches et adresse un ultime message en direction du box : "Ma fille me demande : pourquoi tu vas travailler en France ? Elle croit que je vais travailler, je n'arrive pas à trouver les mots pour lui dire. Si tu n'avais pas décidé de m'appeler ce soir-là, je ne serais pas ici. Comme Mohammed Amri et Hamza, des vies gâchées pour rien."
L’accusé entendu après Ali Oulkadi est Mohamed Abrini sur la suite de la cavale du groupe. Le président et la cour démarrent l’interrogatoire concernant la nuit du 12 et le 13 novembre. Pour rappel, Mohamed Abrini vient de regagner la Belgique après avoir laissé derrière lui la cellule terroriste responsable des attentats. En creux, "l’homme au chapeau" explique qu’il reprend sa vie normalement et se rend au restaurant qu’il tient jusqu’à le quitter pour signer le bail d’un appartement (dont il a déjà fait référence à l’audience). Sur le fond, on apprend peu de choses, tant les faits ont été décortiqués ces dernières semaines. J’ai l’impression de vivre encore et encore et encore la même audience. Comme excédé par les questions du parquet, Mohamed Abrini annonce qu’il ne répondra pas aux avocats des parties civiles et conclut : "J’en suis arrivé à un point ou j’ai répondu tout ce que je voulais répondre. Il y a des avocats qui se lèvent et ils n’ont aucune question, ils se lèvent pour se voir à l’écran ? Je ne sais pas moi !" Les conseils de victimes se lèvent un à un et essayent d’extirper des bribes de réponses de l’accusé mais celui-ci demeure muet. La seule réponse qu’il donnera sera : "Je ne ferai pas d’exception, maître." Après quelques remarques de ses conseils, l'homme tient à ajouter, dans un dernier signe en direction des victimes : "Je voudrais juste rajouter quelque chose, pour moi le 13 novembre ne devrait jamais avoir eu lieu. Je suis sincèrement désolé. (...) Ça vaut ce que ça vaut, mais je tenais à présenter mes excuses. (...) Je n'ai même pas les mots. Il y a trop de colère en moi."
L’audience d’aujourd’hui me renvoie la même impression que celle d’hier. J'écoute encore et encore et encore les mêmes mots et phrases déjà prononcées sans changements ni modifications. J’ai pourtant conscience que c’était aujourd’hui la dernière fois que nous entendons les hommes du box sur le dossier. Finalement je me rends compte que je ne sais même pas ce qu'est un procès normal, alors saurai-je un jour ce qu’un procès de pratiquement dix mois peut-il être ?
Je quitte l’audience alors que le président l’a suspendue avant l’interrogatoire de Salah Abdeslam.
À demain.
Retour au Palais de Justice
Jeudi 14 avril. Comme je l’indique dans les lignes au-dessus, la voix de Salah Abdeslam filtrait à travers les portes de la salle d’audience principale à mon départ du Palais. Si je le quitte, c’est aussi car je commence à en avoir assez des prises de parole (ou pas d’ailleurs) du principal accusé. Comme je l’ai indiqué dans quelques-uns de mes billets, j’ai l’impression que c’est désormais lui qui contrôle le rythme de l’audience et hier soir n’a pas dérogé à ce qui est désormais devenu une règle. Je lis attentivement les livetweets sur son audition et découvre qu’il a, en creux, accepté de livrer des détails sur sa soirée du 13-Novembre et les conditions dans lesquelles il a renoncé à commettre "son" attentat. Il décrit avec précision le cloisonnement utilisé par les membres de la cellule et développe en expliquant qu’il connaissait très peu de détails sur les autres attentats, y compris celui que son frère devait commettre. La version qu’il livre à la cour colle parfaitement aux déclarations récemment faites par d’autres accusés et certains témoins, j’ai du mal à le croire. Enfin, je n’y arrive pas et je ne pense pas réussir à le faire un jour. En réalité, je ne sais pas non plus à quel degré la vérité s’exprime dans ses déclarations et cela, en plus du fait qu’il rythme l’audience, brouille mon envie de la suivre. J’apprends aussi que la longueur de l’interrogatoire a poussé le président à suspendre l’audience.
J’écris alors que la dernière audition de Yassine Atar a commencé. On sait désormais que l’accusé est bavard, son flot de parole inonde les enceintes de la salle de retransmission. Le président a peu de questions mais essaye de canaliser l’accusé pour obtenir des réponses plus courtes. Aux questions de Nicolas Braconnay (qui le cuisine pendant une longue demi-heure) sur l’audio que Khalid El-Bakraoui a enregistré et dont le fichier porte le nom de "Yass", l’accusé se défend : "Moi, j’ai rien demandé à El-Bakraoui ! J’en sais rien si ce message m’était destiné !" Et malgré l’insistance de l’avocat général sur ce point, il maintient sa version : il n’a pas connaissance de ce message et ne comprend pas pourquoi il porte ce nom.
Les parties civiles n’ayant pas de questions, c'est maître Kempf qui prend la parole pour interroger Yassine Atar. Ces derniers mois, un échange qui a lieu le 14 novembre entre Khalid El Bakraoui et Yassine Atar a été pointé du doigt par plusieurs parties. La défense justifie que la teneur de cet échange était liée à "un aspirateur sans tuyau", incongru. J’avoue qu’à de nombreuses reprises, je ri de bon cœur face à certains moments d’audience. Après des problèmes de micro, de projection, des mots employés… Mais je n’étais pas préparé au presque fou rire qui me prend face à la projection demandée par maître Kempf. L’avocat explique, en préambule de son interrogatoire, qu’il a versé au dossier des diapositives sur lesquelles sont retranscrites les discussions entre Mohamed Bakkali, Khalid El Bakraoui et son client. Il demande ensuite à un interprète arabophone présent à l’audience de se rapprocher pour traduire des fichiers audio en direct. Au fond, je pense que l’avocat essaie d’expliquer et justifier la raison des échanges entre son client et deux des protagonistes liés aux attentats. D’un côté (celui d’El Bakraoui), il s’agit de la vente d’un terrain, de l’autre (celui de Bakkali) celle d’un aspirateur. Yassine Atar développe : "C’est un aspirateur qui coûte cher ! Il [l’acheteur] me harcelait pour avoir un tuyau, c’est pour ça que je contactais Bakkali." Ce n’est pas la stratégie de la défense qui me fait rire mais simplement l’idée d’imaginer quelqu’un découvrir un aspirateur sans tuyau. La lecture des messages fait sourire tout le monde, y compris l’avocat responsable de celle-ci, mais aussi le président. Dans l’un des enregistrements, traduit par l'interprète, l'acheteur se plaint que Yassine Atar ne lui réponde plus depuis qu’il "roule en Lamborghini". L’accusé se défend : "C’était pas ma voiture mais celle de mon patron." Le président, dans un trait d’humour qui saisit de rire l’assemblée : "Mais vous l’avez ramené, le tuyau, finalement ? Vous rouliez en Lamborghini, vous auriez pu ramener un tuyau d’aspirateur !" Dans ces jours compliqués à vivre, ces moments de rires sont comme des bulles d’air qui nous laissent souffler et oublier, ne serait-ce qu’un infime instant, que nous assistons à un procès sur des faits terribles. Finalement, même ici, le son d’un rire collégial peut fendre l’atmosphère. L’audience est suspendue peu après.
Je profite de parler de l’humour à V13 pour parler de Babou, victime de l’attentat contre le Carillon. Je la croise pour la première fois dans la salle d’audience, carnet à la main et regard vissé sur les écrans. Je découvre plus tard qu’elle livre chaque jour, via les réseaux sociaux, des comptes rendus dessinés de l’audience. D’une justesse incroyable et bourrés d’humour, ses dessins contribuent à l’expression de notre quotidien chamboulé par l’audience. À la suspension, nous nous retrouvons sur les marches pour une courte séance photo, c’est elle sur le portrait du jour. J’avais aussi envie de partager cette planche datant du 13 janvier qui m’a faite beaucoup rire.
Après la suspension, la cour entend Ali El Haddad Asufi. Plongé dans l’écriture et la préparation du billet, j’écoute son interrogatoire de manière fragmentaire. Le président annonce une nouvelle suspension avant la seconde et ultime partie de l’audition de Salah Abdeslam.
Après quelques questions de la cour, la voix du parquet s’exprime à travers Nicolas Braconnay. L’avocat général, d’une précision chirurgicale, interroge le principal accusé qui a décidé de collaborer avec la cour. En les entendant, j'ai vraiment l’impression que l’avocat général reprend le fil des événements, un par un, pour que la vérité s’exprime, et il ponctue chacune de ses questions de remarques acides en direction de l’accusé, comme celles-ci : "L’avantage à choisir le moment où on parle c’est qu’on peut adapter ses déclarations aux débats." Ou bien : "Je note que c’est incompatible avec la vérité" au sujet d’une réponse de Salah Abdeslam. Bien que je ne sois pas dans la salle principale, j’ai l’impression qu’un profond silence accompagne l’échange des deux hommes. Camille Hennetier se lève ensuite. Je n’arrive plus à suivre.
Je ne viendrais pas à l’audience demain, besoin de couper. Celle-ci est suspendue jusqu’à mercredi pour s’ouvrir sur un nouveau chapitre : l’audition des experts psychiatres ayant évalué les accusés.
À la semaine prochaine.
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