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Procès des attentats du 13-Novembre : les avocats belges qui défendront les accusés ne seront quasiment pas rémunérés

Beaucoup des accusés du procès qui doit débuter le 8 septembre 2021 sont belges. Et leurs avocats aussi. Or, ceux-ci ne pourront pas être rémunérés via l'aide juridictionnelle. "Comment défendre sérieusement ces hommes sans être dans l'angoisse de voir nos cabinets couler ?" alerte l'un d'eux.

Article rédigé par Mathilde Lemaire
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
La salle aménagée pour le procès des attentats du 13 novembre 2015, au Palais de Justice de Paris. (THOMAS SAMSON / AFP)

Le 8 septembre débutera devant la Cour d'assises spéciale de Paris l'un des plus grands procès de l'histoire judiciaire française, par son ampleur et son retentissement : celui des attentats du 13 novembre 2015, qui ont fait 131 morts. Dans le box, il y aura 14 accusés, dont une majorité de ressortissants belges, puisque c'est une cellule belge qui a préparé et mené ces attaques. Certains de ces accusés sont défendus par des avocats d'outre-Quiévrain, qui vont faire des allers-retours Bruxelles-Paris pour les défendre durant les huit mois d'audience. La question de la rémunération de ces avocats se pose. Ils ne devraient pas pouvoir accéder à l'aide juridictionnelle en France.

L'aide juruidictionnelle est ce dispositif qui permet aux justiciables modestes de voir leur avocat rémunéré par l'État. Les frais, dont les honoraires de l'avocat, sont alors pris en charge. Et cette prise en charge peut être totale en cas de faibles revenus. Dans les affaires terroristes, l'aide juridictionnelle est de droit pour toutes les parties civiles sans conditions de revenus. 

Pas de dérogation

Pour ce procès du 13-Novembre, un avocat représente souvent plusieurs victimes et additionne donc les aides, même s’il y a dégressivité : un avocat va toucher 100% de l'aide juridictionnelle pour la première partie civile qu'il représente, 70% pour la deuxième, 60% pour son troisième client, 50% pour le quatrième et ensuite 40% à partir de la cinquième partie civile et pour chaque victime supplémentaire. Pour le procès du 13-Novembre, étant donné le nombre de parties civiles – plus de 1 700 – cela représente une somme évaluée à plusieurs millions d’euros.

Côté défense, il y a une seule aide juridictionnelle par accusé. Et c’est presque le phénomène inverse qui se produit. Le dossier du 13-Novembre est si lourd, avec 131 journées d'audience programmées, qu'il faut souvent plusieurs avocats pour un accusé. Ces avocats seront priés de se partager l'aide juridictionnelle de 272 euros par jour. Les avocats belges, eux, ne peuvent pas y prétendre. "Pas de dérogation", dit à franceinfo la Chancellerie. Et cela malgré le caractère exceptionnel du procès.

"Il n’existe pas de base légale, aucun mécanisme qui permettrait de rétribuer un avocat étranger dans une procédure pénale."

Le ministère de la Justice

à franceinfo

La survie des cabinets en jeu

Me Stanislas Eskenazi défend depuis six ans Mohamed Abrini, accusé notamment d'avoir accompagné les commandos de Bruxelles vers Paris et de leur avoir fourni des armes. L’essentiel des actes d’enquête et auditions ont eu lieu en Belgique pour son client. Avant le procès, ils ont dû venir à deux reprises seulement à Paris, pour que Mohamed Abrini soit présenté aux magistrats français.

Alors, l’avocat belge ne cache pas une certaine amertume de se retrouver quasiment sans aucune possibilité de rémunération pour le procès à venir. "Il s’agit d’un dossier gigantesque avec une pression émotionnelle gigantesque, décrit Me Eskenazi, et on demande à des avocats de venir défendre ces personnes accusées de crimes terroristes sans avoir la garantie de pouvoir faire survivre leurs cabinets par la suite."

"En terme de droits de la défense, je trouve qu’on est à la limite d’une frontière où un procès équitable n’est pas garanti."

Me Stanislas Eskenazi, avocat d'un des accusés

à franceinfo

"Il ne s’agit pas ici pour moi et mes confrères de s’enrichir, juste de défendre sérieusement ces hommes sans être dans l’angoisse de voir nos cabinets couler", argumente Me Eskenazi, qui espérait obtenir pour ce procès hors normes que deux aides juridictionnelles par accusé puissent être versées.

Le ministère belge leur paye le Thalys

L'avocat devra plus vraisemblablement compter sur sa consœur française, très récemment désignée, pour partager avec lui l'unique aide juridictionnelle de leur client. Cela ferait 136 euros par jour, sans compter la part à verser sans doute aussi aux collaborateurs de leurs deux cabinets, qui devront être sollicités, étant donné la densité du dossier.

Le ministère belge de la Justice versera, de son côté, à Me Eskenazi et aux autres avocats belges qui interviendront sur ce procès des attentats de Paris une allocation couvrant seulement leurs frais de transports. Soit les allers-retours en train Thalys entre Bruxelles et Paris.

Impossible pour les avocats belges d’envisager d’être rémunérés par leurs clients directement ou par leurs familles. En effet, en France comme en Belgique, un dispositif oblige de geler les avoirs d'une personne accusée de terrorisme.

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