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Comment les personnes radicalisées sont-elles suivies en France ?

Après les attaques de vendredi dans l'Aude, le débat sur l'efficacité du suivi des personnes en situation de radicalisation est relancé. Franceinfo détaille l'organisation du système de prévention et de prise en charge de la radicalisation.

Article rédigé par franceinfo - Juliette Campion
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 10min
Arrestation d'un homme suspecté de radicalisation sur l'île de La Réunion, en avril 2017. (MAXPPP)

Comment empêcher des personnes qui ont basculé dans le jihadisme de passer à l'acte ? Il n'y a pas de "formule magique", seulement "des bonnes pratiques", constatait Edouard Philippe lors de la présentation du plan national de prévention de la radicalisation, le 23 février.

Un mois jour pour jour après l'annonce de ces 60 mesures par le Premier ministre, le terroriste jihadiste Radouane Lakdim a fait quatre morts dans des attaques perpétrées à Carcassonne et Trèbes (Aude), vendredi 23 mars. Connu des services de renseignement, il était fiché S (pour "sûreté de l'Etat") et figurait aussi dans le fichier FSPRT (fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste). Que contiennent ces fichiers ? Comment sont-ils alimentés ? Et, plus généralement, comment s'organise le suivi des personnes soupçonnées de radicalisation ou déjà identifiées comme radicalisées ? 

Le FSPRT, un fichier dédié à la radicalisation religieuse

Créé en mars 2015 par un décret confidentiel, le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) recense les individus identifiés comme radicaux religieux susceptibles de nuire à la sécurité de l'Etat. Le fichier S, lui, regroupe des profils très variés, comme des militants politiques, anti-OGM ou encore des hooligans, pouvant représenter une menace pour la sécurité nationale.

D'après les derniers chiffres publiés par le ministère de l'Intérieur, le FSPRT regroupe près de 20 000 personnes. Ces individus sont répartis en plusieurs catégories, selon leur niveau de menace : pris en compte, clôturé, en veille, autres statuts. La majorité des fichés, près de 11 000, sont dans la première catégorie.

Les chiffres extraits du dossier de presse "Prévenir pour protéger" mise en ligne le 23 février 2018 (GOUVERNEMENT.FR)

Dans Le Parisien, Olivier de Mazières, préfet de police des Bouches-du-Rhône et spécialiste du terrorisme, explique : "Le haut du spectre, c'est-à-dire les individus les plus radicalisés, les plus dangereux [sont] suivis par la DGSI [Direction générale de la sécurité intérieure]." Il ajoute que toutes ces personnes font "l'objet de procédures judiciaires et beaucoup sont en détention". Les suspects considérés comme moins dangereux sont surveillés par le Service central du renseignement territorial (SCRT). "Reste une minorité de personnes dites 'en veille', qui ne présentent plus de danger", conclut Olivier de Mazières. 

D'après ces chiffres, la grande majorité des individus fichés sont des hommes majeurs (75%). Le FSPRT recense par ailleurs 255 majeurs et 68 mineurs de retour de la zone syro-irakienne. 

Chiffres extraits du dossier de presse "Prévenir pour protéger" mis en ligne le 23 février 2018
 (GOUVERNEMENT.FR)

Des signalements et un suivi au niveau départemental 

Cette vaste base de données nationale est gérée par l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat). Créée en 1984, l'Uclat est placée sous l'autorité du directeur général de la police nationale. Depuis 2014, ses activités se sont recentrées sur la coordination de la lutte antiterroriste en centralisant les renseignements en provenance de France et de l'étranger. Cette structure a un rôle majeur dans la lutte antiterroriste : elle a notamment géré le dossier des "revenants" de la zone de guerre irako-syrienne. C'est Amin Boutaghane, un commissaire de police proche de Gérard Collomb, qui est la tête de cette structure depuis février 2018. 

Ce fichier national est alimenté par les informations provenant de deux structures présentes dans chaque département. La première est l'état-major de sécurité, composé des différents responsables sécuritaires départementaux (police, gendarmerie, justice, etc.). La deuxième est le Centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation (CNAPR). Il gère un numéro vert, mis en place en avril 2014, qui peut être contacté du lundi au vendredi et permet de conseiller les proches des individus radicalisés. Le CNAPR dispose aussi d'un formulaire de signalement en ligne, accessible sur le site stop-djihadisme.gouv.fr. Une cellule de suivi départementale analyse ces signalements, avise la police et la justice si besoin et organise une prise en charge.

Selon le rapport sénatorial rendu en 2017 sur les politiques de déradicalisation, le CNAPR a reçu 51 429 appels et 4 850 formulaires entre le 29 avril 2014 et le 30 juin 2017. Au total, 5 723 signalements ont été enregistrés. Dans leur rapport, les sénatrices Esther Benbassa (EELV) et Catherine Troendlé (LR) concluent que ce "dispositif de signalement qui assure un rôle central majeur dans l'identification, l'analyse et le suivi des cas de radicalisation para[ît] démontrer une certaine efficacité".

Des mesures particulières pour les mineurs 

Dans son plan anti-radicalisation présenté le 23 février, Edouard Philippe a promis "une prise en charge au long cours et notamment un suivi psychologique" des 68 mineurs de retour de Syrie et d'Irak, pour "favoriser leur réinsertion"

Plus largement, les mineurs identifiés comme radicalisés ou pouvant le devenir font l'objet de mesures particulières d'accompagnement. D'après le site stop-djihadisme.gouv.fr, ils peuvent être suivis sur le plan judiciaire. Soit au titre de la protection de l'enfance, appliquée par le juge des enfants, qui identifie les mineurs "dont les parents sont repérés en risque de radicalisation" avec possiblement un risque de départ vers des zones de combat. Soit au titre de l'ordonnance de 1945, relative à l'enfance délinquante, qui peut poursuivre les mineurs pour "des faits de nature terroriste" ou des "faits de droit commun lorsqu'ils sont repérés en voie de radicalisation"

La protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) est, quant à elle, chargée d'assurer le suivi des mineurs ou jeunes majeurs "faisant l’objet d’une mesure judiciaire civile ou pénale" mais aussi dans le cadre d'actions de prévention. En soutien, 69 "référents laïcité et citoyenneté" ont été recrutés pour intervenir dans les établissements les plus en proie à la radicalisation des mineurs. Ils sont chargés d'éviter les "ruptures familiales, scolaires et sociales des mineurs" et de prévenir de potentiels actes violents et départs en Syrie. 

De nouveaux dispositifs pour suivre les détenus radicalisés 

Actuellement, on compte 1 123 détenus de droit commun identifiés comme radicalisés, d'après les chiffres du plan national de prévention de la radicalisation.

Les détenus radicalisés, condamnés pour faits de terrorisme ou pour du droit commun, seront désormais regroupés dans des "quartiers étanches" à l'écart des autres prisonniers, et répartis dans des établissements pénitentiaires partout en France, a annoncé Edouard Philippe vendredi 23 mars. 

Au total, 504 personnes sont détenues pour des faits de terrorisme islamiste (TIS) et sont donc considérées comme particulièrement dangereuses. Elles ont l'obligation de passer par les quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER). Ces unités expérimentales, mises en place dans les prisons d'Osny (Val-d'Oise), Fresnes (Val-de-Marne) et Fleury-Mérogis (Essonne), servent à déterminer la dangerosité de ces détenus pour adapter leur suivi. La réforme anti-radicalisation du 23 février prévoit la création de deux nouvelles unités : l'une à Vendin-le-Vieil dans le Pas-de-Calais (60 places) et une autre à Condé-sur-Sarthe dans l'Orne (30 places environ). L'objectif est d'évaluer 250 détenus par an.

Ensuite, les détenus radicalisés étaient jusqu'ici placés, selon leur dangerosité, soit à l'isolement, soit dans le quartier pour détenus violents de la prison de Lille-Annoeullin, qui compte 28 places (rebaptisé "Quartier de prise en charge de la radicalisation"), soit en détention ordinaire. La réforme portée par Edouard Philippe prévoit que, désormais, les radicalisés ne seront plus emprisonnés avec les autres détenus mais seront placés dans des quartiers spécifiques, comptant entre 15 et 20 détenus. 

Le Premier ministre a également annoncé la création de 1 500 places pour isoler les détenus radicalisés, dont 450 d'ici la fin de l'année. 

Enfin, 635 détenus radicalisés considérés comme moins dangereux sont, pour leur part, suivis par les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) en milieu ouvert, donc hors de la prison. C'est pour ces personnes que le programme baptisé RIVE (Recherches et intervention sur les violences extrémistes), longtemps tenu secret par le gouvernement, a été lancé à Colmar fin 2016. Il a pour objectif de "désengager" les détenus de la "violence extrémiste" en misant sur le milieu ouvert. Dans ce cadre, une personne est suivie individuellement par cinq intervenants (éducateur, psychiatre et aumônier notamment) pendant un an. Le dispositif va être étendu dans un premier temps à Marseille puis à Lille et Lyon. 

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