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Terrorisme : les "quartiers d'évaluation de la radicalisation" en prison, nouvelle approche pour gérer les détenus jihadistes

La ministre de la Justice Nicole Belloubet a visité, jeudi, le quartier d'évaluation de la radicalisation (QER) de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne). Ces unités ont pour objectif de déterminer la dangerosité des détenus radicalisés.

Article rédigé par Mathilde Lemaire
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3 min
La prison de Fleury-Mérogis (Essonne), le 14 décembre 2017. (PHILIPPE LOPEZ / AFP)

"Les djihadistes français capturés en Irak et en Syrie doivent autant que possible être jugés dans ces pays", a déclaré jeudi 4 janvier la ministre de la Justice Nicole Belloubet, en visite à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne). Plusieurs Français qui avaient rejoint Daech ont en effet été arrêtés récemment au Kurdistan. Nicole Belloubet ne ferme toutefois pas la porte à des retours en France. 

La ministre a découvert au cours de sa visite une unité expérimentale, le quartier d’évaluation de la radicalisation (QER). Les 505 hommes et femmes incarcérés à ce jour en France pour des faits de terrorisme, doivent y transiter pour que l'administration pénitentiaire détermine leur niveau de radicalisation et adapter leur suivi en prison.

En quoi consistent les QER ?

Il existe trois quartiers d'évaluation en France : à Osny (Val-d'Oise), Fresnes (Val-de-Marne) et donc celui de Fleury-Mérogis. Dans la maison d'arrêt de l'Essonne, ce QER est installé sur tout un étage avec plus de caméras et quatre fois plus de surveillants. Ces derniers sont spécialement recrutés pour intervenir dans le domaine de la radicalisation. Les détenus emprisonnés en QER sont seulement de passage, pour quatre mois, le temps d’évaluer leur degré d’adhésion à l’idéologie jihadiste et leur dangerosité. Les différents acteurs du monde pénitentiaire tentent de déterminer leur risque de passage à l’acte violent. À Fleury-Mérogis, la deuxième session de travail avec des détenus vient de s'achever.

Qui sont les détenus qui y sont intégrés ? 

Un tiers des détenus enfermés en QER reviennent de Syrie, d’Irak ou de Tchétchénie. Les autres se sont radicalisés en France, souvent via internet et une partie d'entre eux ont tenté de rejoindre les rangs du groupe Etat islamique. Certains des détenus sont incarcérés pour des faits de terrorisme, d’autres sont en prison pour des crimes différents mais ont été repérés pour leur pratique radicale de l’islam. Ces détenus radicalisés ont entre 20 et 40 ans. Certains ont fait des études, d’autres sont moins lettrés. Le quartier de Fleury-Mérogis peut accueillir au maximum 20 détenus. Ils sont tous en cellule individuelle. 

Comment sont-ils évalués ?

Les 20 détenus du quartier d'évaluation de la radicalisation sont passés au scanner au cours de leur quatre mois de présence. Ils passent 18 entretiens individuels de plusieurs heures avec des psychologues, éducateurs, conseillers d’insertion et de probation, membres du renseignement, imam... Tous les 15 jours, en commission, ces professionnels étudient en détail chacun des cas. Ces encadrants avaient peu l’habitude de travailler ensemble ; ils mettent désormais leurs compétences en commun pour cerner les détenus radicalisés et déceler ceux qui se dissimuleraient derrière une fausse repentance. En plus du sport, des cours et activités classiques, les 20 détenus ont des séances de "contre discours", c'est-à-dire de déradicalisation.

À l’issue des quatre mois d'évaluation, des rapports sont rédigés. Les cas jugés préoccupants - les prosélytes, les violents - sont placés à l’isolement. Ils représentent une minorité des détenus. Les autres rejoignent des cellules individuelles, dans des prisons classiques, où ils auront un suivi spécifique par un binôme composé d'un éducateur et d'un psychologue. Au total, une centaine de binômes ont été constitués en France. L'objectif est de dispatcher ces détenus sur tout le territoire.

Pourquoi avoir créé ces QER ?

La dissémination des détenus radicalisés est une nouvelle approche dans la gestion de la radicalisation en prison. Dans un premier temps, la France avait favorisé le regroupement de ces détenus dans des unités dédiées. Cette stratégie a été abandonnée après une agression à la prison d’Osny (Val-d'Oise), en septembre 2016 : deux surveillants d’une de ces unités avaient été grièvement blessés par un détenu jihadiste sans doute aidé de complices. Le détenu en question ne semblait pas avoir le profil le plus inquiétant et n’avait jamais été en Syrie. 

Avec l’expérience, l’administration pénitentiaire a compris que la dangerosité de ces individus n’est pas forcément proportionnelle à la gravité des faits pour lesquels ils sont incarcérés. Il y a autant de profils que de radicalisés. Pour les braqueurs ou les pédophiles, par exemple, une fois la "recette" pour les encadrer et les réinsérer trouvée, on la duplique. Pour les détenus radicalisés, en revanche, il n'y a pas de recette unique, d’où l’importance d’une évaluation et d'un suivi individualisé. Cela a un coût financier important mais, dans les prochains mois, on devrait voir se développer ces quartiers d’évaluation de la radicalisation. Ainsi, Nicole Belloubet a affirmé, vendredi sur BFMTV, vouloir multiplier le nombre de QER par deux ou trois. Certains pourraient être installés en province. 

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