Au premier jour du procès de l'assassinat de Samuel Paty, la justice décortique "l'engrenage" qui a conduit à la mort du professeur

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Les accusés et leurs avocats à l'ouverture du procès de l'assassinat de Samuel Paty, devant la cour d'assises spéciale de Paris, le 4 novembre 2024. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)
Huit personnes sont jugées depuis lundi devant la cour d'assises spéciale de Paris pour leur implication supposée dans l’attentat qui a coûté la vie au professeur d'histoire-géo, le 16 octobre 2020.

"Un corps décapité, avec une tête disjointe à côté." La voix du président de la cour d'assises spéciale de Paris, Franck Zientara, résonne dans une salle d'audience silencieuse, lundi 4 novembre. Au premier jour du procès de l'assassinat de Samuel Paty, ses mots soulignent la violence dont a été victime le professeur "à 300 mètres du collège Bois d'Aulne à Conflans-Sainte-Honorine, sur le trajet emprunté par celui-ci jusqu'à son domicile", le 16 octobre 2020 dans les Yvelines, "autour de 16h54". Il rappelle que l'assaillant, Abdoullakh Anzorov, un jeune réfugié de 18 ans originaire de la république russe de Tchétchénie, islamiste radical, est "neutralisé à 17h04", après avoir "pointé une arme de poing" et s'être dirigé vers les forces de l'ordre, "malgré les sommations". Tué sur le coup, l'assaillant est le grand absent de cette audience, comme dans de nombreux procès pour terrorisme.

Le magistrat continue d'égrener les faits pendant deux heures et demie, sans faillir, passage obligé en préambule de l'audience. Il détaille aussi les investigations qui ont conduit à l'arrestation des suspects qui vont être jugés. Huit adultes sont accusés d'être impliqués, à divers degrés, dans la mort de l'enseignant d'histoire-géographie.

Deux d'entre eux, Azim Epsirkhanov et Naïm Boudaoud, amis de l'assassin, sont renvoyés pour complicité d'assassinat terroriste et encourent la perpétuité. Les deux jeunes hommes, originaires d'Evreux, en détention provisoire, ont pris place dans le box des accusés en verre transparent, lundi matin, juste avant l'ouverture du procès.

Des jeunes hommes principalement jugés

A l'appel du président de la cour d'assises spéciale, Azim Epsirkhanov se lève. L'apparence de ce jeune homme de 23 ans est soignée : il porte un costume cravate bleu foncé sur une chemise blanche, une barbe bien taillée. Quant à Naïm Boudaoud, 22 ans, mince, en pull gris moulant, il déclare qu'il était inscrit en BTS et vivait chez sa mère avant d'être incarcéré.

D'autres visages juvéniles apparaissent parmi les six autres accusés jugés pour association de malfaiteurs terroriste criminelle, mais qui comparaissent libres. Certains, comme Louqmane Ingar, sont encore étudiants. Une seule femme comparaît : Priscilla Mangel, 36 ans, "sans profession", qui a échangé de nombreux messages avec Abdoullakh Anzorov, en particulier dans les jours qui ont précédé l'attentat.

Chacun à une extrêmité du box des accusés, Abdelhakim Sefrioui et Brahim Chnina, deux hommes plus âgés aux crânes parsemés de courts cheveux blancs, sont accusés d'avoir participé "à l'élaboration et la diffusion de vidéos présentant des informations fausses ou déformées destinées à susciter un sentiment de haine" à l'égard de Samuel Paty.

La quête mortifère de l'assaillant décortiquée

Car l'enquête des juges d'instruction démontre que ce sont ces "vidéos" qui ont attisé la haine et conduit à l'assassinat de l'enseignant d'histoire-géo, comme le retrace la cour dans son rappel des faits. Ainsi, dès le 7 octobre 2020, Brahim Chnina désigne, dans ses publications sur les réseaux sociaux, Samuel Paty comme "un professeur voyou", en réaction aux confidences de sa fille. La collégienne affirme que son professeur a montré des caricatures de Mahomet nu, lors d'un cours d'éducation morale et civique intitulé "Situation de dilemme : être ou ne pas être Charlie". En réalité, l'adolescente était absente ce jour-là. Jugée à huis clos avec cinq autres ex-collégiens par le tribunal des enfants de Paris, elle a été condamnée il y a un an à 18 mois de prison avec sursis pour dénonciation calomnieuse. Elle sera entendue comme témoin au procès fin novembre.

Deux jours après la diffusion des vidéos de Brahim Chnina, Abdoullakh Anzorov entre en contact avec lui, tout comme avec Priscilla Mangel. Les échanges se poursuivent jusqu'au jour des faits. En parallèle, l'assaillant poursuit sa quête mortifère et, la veille de l'assassinat de Samuel Paty, se rend avec Azim Epsirkhanov et Naïm Boudaoud à Rouen pour acheter un couteau retrouvé sur la scène de crime. "C'est dans ces conditions que les accusés" sont renvoyés devant la cour d'assises spéciale de Paris, souligne son président en fin de lecture.

"Les responsables sont là", affirme, de son côté, face aux journalistes, une avocate de la famille Paty. Virginie Le Roy estime que ce procès doit permettre de comprendre "l'engrenage" qui a conduit à l'assassinat de l'enseignant. Ses clients, notamment la mère de Samuel Paty, sera entendue vendredi après-midi. Certains de ses anciens collègues ont également fait le déplacement. "J'ai besoin de réponses, c'est un peu thérapeutique", déclare un professeur d'EPS à l'issue de cette première journée. "Est-ce que [les accusés] assument la montée de haine en eux ? Et puis l'attentat, comment s'est-il préparé au niveau opérationnel ? Certains accusés ont-ils donné des conseils ?", s'interroge-t-il.

Vincent Brengarth, avocat d'Abdelhakim Sefrioui, militant islamiste qui se retrouve dans le box des accusés, clame de son côté que son client "n'a strictement rien à voir avec la commission de cet attentat, ni de façon directe ni de façon indirecte". Pour faire la lumière sur l'enchaînement des faits qui a conduit à l'assassinat de Samuel Paty, la cour a jusqu'au 20 décembre.

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